Publié le 5 Sep 2013 - 13:15
ALASSANE SAMBA DIOP, DIRECTEUR DE RFM

''Dans le Code de la presse, il y a plus pernicieux et plus dangereux que la dépénalisation''

 

 

Directeur de la Radio futurs médias (RFM), Alassane Samba Diop est un journaliste diplômé du Centre d'études des sciences de l'information (Cesti), 25e promotion. Il s'est confié à EnQuête à l'occasion du onzième anniversaire de Groupe futurs médias (GFM), célébré dimanche.

 

 

Aujourd'hui, comment se porte la presse sénégalaise ?

Le diagnostic qui a été fait sur la presse sénégalaise, tout le monde le sait. La presse sénégalaise rencontre aujourd'hui beaucoup de difficultés sur le plan de la viabilité de l'entreprise pour la bonne et simple raison que nous sommes dans un environnement très concurrentiel où la publicité n'est pas organisée au Sénégal. Dans les pays de grande démocratie, il y a une réglementation sur la publicité, pour définir la répartition entre les médias publics et les médias privés, et même les statistiques entre les médias organisés. Au Sénégal, je pense que l'évaluation a été faite. Le marché publicitaire de la presse peut aller jusqu'à douze milliards de francs Cfa par an. Mais si ce n'est pas organisé, personne ne sait qui fait et sait quoi. Je pense que c'est important, aujourd'hui, que les autorités et ceux qui sont dans le secteur de la presse se penchent sur ce point précis. Parce que les médias, pour moi, sont extrêmement importants pour la démocratie.

 

A qui revient, selon vous, l'organisation du marché de publicité entre les médias ?

D'abord, aux acteurs eux-mêmes, ensuite, aux agences de régulation. Et le Cnra (Conseil national de régulation de l'audiovisuel) doit avoir dans ses prérogatives l'organisation de la publicité au Sénégal. Je pense que l’État lui-même doit organiser le secteur de la publicité au Sénégal. En France, aujourd'hui, les médias publics ne sont pas traités de la même façon que les médias privés concernant la publicité. Parce que l’État français prend en charge certaines choses pour les médias publics. Il y a des médias qui, si je ne m'abuse, ne font pas de la publicité au-delà de 20 h. Cela a posé des problèmes là-bas. C'est vrai que si l’État sénégalais décide que les médias publics ne doivent pas faire de la publicité, il faudrait qu'il mette en place des subventions pour les maintenir en bonne santé financière.

 

Que pensez-vous de l'aide à la presse ?

Je ne veux pas parler d'aide parce que le mot est trop chargé. Je préfère qu'on parle de subvention ou d'organisation de la presse. Il faut qu'on la redéfinisse par rapport à la taille et aux charges des maisons de presse. Aujourd'hui en France, il y a ce qu'on appelle la médiamétrie qui permet d'évaluer le taux d'audience, l'impact des radios et des télévisions. Et c'est en fonction de cela que la subvention est allouée. Et moi, je pense qu'on doit changer le mode de subvention au Sénégal. Au lieu de donner des enveloppes ou des chèques à des médias, il faudrait qu'on investisse ou qu'on mette l'argent dans des facteurs de production. Il ne faut pas oublier que la vocation de la subvention est de soutenir l'entreprise de presse. Et qui dit soutien à l'entreprise de presse, dit soutien aux travailleurs. Il y a des journalistes qui n'ont peut-être pas accès à la Caisse de sécurité sociale ni à la carte de l'Ipres (Institution de prévoyance retraites du Sénégal). C'est des travailleurs qui sont appelés à prendre leur retraite dans l'avenir, il faut qu'on pense à cela. Il y a peut-être des journalistes qui ne sont pas payés selon la convention collective. Il y a des patrons de presse qui sont confrontés à des problèmes pour l'achat du papier, le paiement de factures d'électricité et de téléphone. Je pense qu'on peut trouver des formules pour que l'argent puisse aller dans ces facteurs de production pour permettre la viabilité des entreprises de presse.

 

Les responsables des entreprises de presse ont-ils poussé la réflexion dans ce sens ?

Oui. Je crois que le Synpics (Syndicat des professionnels de l'information et de la communication du Sénégal) avait déjà engagé la réflexion. Il y a le projet de Code de la presse qui dit aujourd'hui beaucoup de choses sur la viabilité de l'entreprise de presse. Mais il y a quelques articles du code qui posent problème. Le gouvernement et l'Assemblée nationale doivent prendre leurs responsabilités pour que le code de la presse soit voté et appliqué. On doit surtout éviter les articles qui peuvent contrarier les entreprises de presse ou les mener à la mort. Il y a un article dans le code de la presse dont les gens ne parlent pas. Je crois que le plus dangereux, ce n'est pas la dépénalisation, c'est la possibilité qu'aura le procureur de fermer un journal pendant trois mois. Imaginez aujourd'hui que l'on ferme un journal pendant trois mois, mais c'est la mort de l'entreprise. Pour moi, cet article-là est plus pernicieux et plus dangereux que la dépénalisation. Il faudrait que la profession se penche sur l'article qui pose problème et en discute pour trouver un consensus afin de permettre aux gens de faire leur travail.

 

 

Le dernier rapport trimestriel du Cnra invite les médias à dépolluer l'espace audiovisuel. Quelle commentaire en faites-vous ?

Pratiquement, chaque année, le Cnra fait le même constat. C'est une bonne chose en soi. Le Cnra est notre organe de régulation qui veut que les journalistes reviennent aux fondamentaux. Mais il y a une question beaucoup plus profonde, c'est la formation du journaliste. Je pense qu'on exerce un métier libéral qui demande un minimum de formation. Si aujourd'hui la formation est beaucoup plus accentuée, cela va peut-être aider à atténuer les avis du Cnra. Si l'on est sorti d'une bonne école, on connaît son métier, on connaît les interdits, on évite certaines dérives. Les maisons de presse ont l'obligation de former les gens. La convention collective dit que la maison de presse doit mettre en place un fonds de 2% de son chiffre d'affaires pour la formation des journalistes. A Futurs médias, nous sommes dans cette dynamique depuis longtemps. Tous les journalistes subissent une formation avec une entreprise ou une maison de communication, et ainsi aider les gens à avancer. Je pense que c'est important quand vous formez un journaliste pour qu'il maîtrise mieux son métier, il sera peut-être moins dangereux que celui qui l'exerce en ignorant les règles.

 

Qu'est-ce qui explique la similitude des grilles des programmes dans l'audiovisuel sénégalais ?

Pour moi, c'est un manque d'imagination qui en est à l'origine. Il faudrait que les responsables des programmes dans les radios et les télévisions sachent réfléchir. S'il y a du copier-coller, c'est un manque de créativité. A Futurs médias, on a changé de programmes. On fait maintenant des journaux à deux voix. On a ''Rfm matin'' qui passe des information sur un ton assez gai. Le soir, il y a ''Rfm soir'' dans lequel intervient un invité. En outre, on a une émission qui s'appelle ''Taataan xibaar'' comme ''wax sa xalaat''. Elle permet aux auditeurs d'intervenir à l'antenne pour relater un fait qui s'est passé dans leur localité. Cela nous permet d'alerter par rapport à un problème qui se pose. C'est une façon d'exprimer notre citoyenneté en tant que radio citoyenne.

 

 

 

 

 

 

 

 

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