‘’Le projet ne doit pas être une simple course contre les indicateurs de performance’’

Démarré en janvier 2017, le programme régional (Pareco) vise une meilleure prise en charge des consommateurs de drogues injectables. Dans cet entretien, son coordonnateur explique le choix de cette cible et le travail qui doit être fait.
Il est question, aujourd'hui, de réduire les risques auprès des Cdi vivant avec le Vih par le traitement de l'information. Pourquoi le choix de cette cible parmi les populations clés ?
Très peu de pays avaient mis l'accent sur les consommateurs de drogues injectables (Cdi) dans leurs plans stratégiques nationaux. Les chiffres disponibles venant de l'Onudc faisaient état d'un nombre de 1 778 500 Cdi en Afrique subsaharienne dont 221 000 seraient atteints du Vih. En outre, les rares chiffres disponibles dans les pays montraient que l'épidémie se généralisait chez les Cdi avec des prévalences entre 5 et 10 fois supérieures à la moyenne nationale. D'où l'importance du choix des Cdi dans ce programme régional.
En trois ans, pensez-vous pouvoir atteindre votre but ?
Le programme est trop ambitieux avec des interventions critiques comme les rencontres de haut niveau nécessitant au moins 3 à 6 mois de préparation. Trois années pour mettre en œuvre un projet régional, là où des projets-pays de moindre envergure se font sur la base d'un plan quinquennal, me paraissent insuffisantes, si on veut obtenir des résultats durables et qualitatifs. Le projet ne doit pas être une simple course contre les indicateurs de performance (Ip). Probablement, le projet aura besoin d'une extension avec ou sans coût, pour boucler les 180 activités planifiées dont la majorité est très critique.
On sait qu'il y a des lois contre les consommateurs de drogue, dans beaucoup de pays. Comment allez-vous lutter pour que ces lois soient moins répressives et se pencher plus sur le côté santé publique ?
Pour permettre aux intervenants auprès des Cdi de faciliter leur accès aux services de réduction des risques Vih/Tb et comorbidités, il est nécessaire de réviser le cadre juridique dans les pays de mise en œuvre afin de créer un environnement plus favorable aux interventions en faveur des Cdi. Dans un contexte de criminalisation et de pénalisation, c'est toujours difficile d'offrir les services aux ayants droit dans une perspective de santé publique.
Toutefois, nous avons espoir qu'avec le plaidoyer, les caravanes de sensibilisation, les réunions de haut niveau et la mise en œuvre des modèles innovants, nous y parviendrons. En fournissant aux pays les évidences qu'une démarche de santé publique vaut mieux qu'une batterie de mesures coercitives. En rappelant aux pays leur engagement pris à travers la ratification des conventions et textes internationaux, nous espérons un tant soit peu changer la donne et améliorer les conditions socio-sanitaires des Cdi.
Avec cinq pays, est-ce qu'il sera facile de faire comprendre l'objectif ?
L'objectif est clair et compris des acteurs des 5 pays. Cependant, ils ne sont pas au même niveau de mise en œuvre, avec des réalités parfois différentes. Les Ccm et les acteurs clés de tous les 5 pays ont participé, de bout en bout, au processus d'élaboration et de soumission de la note conceptuelle régionale au Fonds mondial. Donc, les objectifs sont clairs et consensuels, et assez largement partagés.
A combien peut-on estimer le taux de Cdi au Sénégal ?
A 9,4 %, selon la dernière enquête réalisée en 2011.
Est-ce que le Sénégal est sur la voie de réussir cette prise en charge des Cdi ?
D'importantes avancées sont notées au Sénégal, depuis l'étude Udsen de 2011. Le Centre de prise en charge intégrée des addictions de Dakar (Cepiad) a été créé par la suite et dispense un programme de méthadone aux Cdi. L'Alliance des communautés pour la santé (Ancs) a initié ce projet régional pour maintenir les acquis et faire passer à l'échelle les initiatives en cours. Toutefois, il y a des efforts à faire, comme la décentralisation des acteurs actions du Cepiad dans les régions ou délocaliser le programme méthadone, car les Cdi ne sont pas seulement dans la région de Dakar.
En outre, il faudrait une plus grande implication des programmes tuberculose (Tb) et hépatite, vu que ce sont les principales comorbidités ciblées par le programme régional.
La discrimination est le véritable problème de ces Cdi. Quelles stratégies comptez-vous mettre en œuvre pour une meilleure compréhension de la société ?
La discrimination et la marginalisation sont des faits réels, lorsque que nous abordons la question des Cdi. Elles émanent des lieux de prestation de services et de l'environnement social où évolue le Cdi. La discrimination pousse les Cdi à perdre l'estime de soi, l'espoir de vivre positivement dans la société et à adopter des comportements qui les exposent plus au risque d'être infectés au Vih/sida. Les politiques et programmes ne peuvent avoir un impact réel que si la question de la discrimination est suffisamment traitée. Plusieurs stratégies pourraient aider à lutter contre toutes formes de discrimination. Il s'agira de développer un programme soutenu d'information, de communication et de plaidoyer qui va cibler les autorités gouvernementales, les élus, les responsables des structures de soins, les religieux, les acteurs de la société civile, entre autres. Dans ce programme, les Cdi doivent être considérés comme acteurs clés plaideurs. Ils auront besoin d'un renforcement de capacités sur le leadership et sur l'estime de soi.
Quelle est la part de l'autorité dans cette lutte que vous êtes en train de mener ?
Nous intervenons, dans cette lutte, pour deux raisons fondamentales. Nous sommes des acteurs communautaires et notre raison d'existence est d'identifier des préoccupations de santé et d'y apporter notre contribution pour soulager les populations, afin d'améliorer considérablement leurs conditions de vie. La deuxième raison consiste à contribuer aux efforts de définition des politiques et programmes de santé de notre pays. Pour que nos actions puissent avoir un impact réel, les autorités doivent s'approprier la question et s'engager à trouver les moyens nécessaires pour une application effective des conventions ratifiées sur la question des Cdi. Des conventions de partenariat doivent également être signées entre le secteur public et les organisations de la société civile.
VIVIANE DIATTA (Envoyée spéciale à Ouagadougou)