Publié le 23 May 2023 - 13:53
APPEL AU DIALOGUE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Quelques suggestions sur la forme et le fond

 

A l’occasion de la fête de l’Aïd, communément appelée Korité, le chef de l’Etat M. Macky Sall a, une nouvelle fois, appelé les « forces vives de la nation à venir dialoguer pour la préservation de la paix, la stabilité et la cohésion nationale ».

Les différentes parties vont se retrouver le 30 mai prochain pour des concertations qui vont durer quinze jours. Cette invite est, cependant, diversement appréciée par les partis politiques dont certains n’y trouvent aucun intérêt d’y participer, doutant de la bonne foi du président de la République qui, à moult reprises, avait organisé des discussions, mais sans appliquer les décisions prises. Toutefois, elle est vivement applaudie par la majorité des sénégalais qui y voient une bonne occasion de discuter très sérieusement des problèmes politiques nationaux dans l’espoir de parvenir à un consensus de nature à tempérer le climat social extrêmement tendu, qui expose le pays à l’imminence d’une crise sociopolitique abyssale.

Mais un dialogue national « pouvoir-opposition », à l’état actuel de dégradation du climat relationnel entre ces deux entités à cause de la lancinante question du troisième mandat, est voué d’avance à l’échec. En effet, aucun compromis n’est possible entre le pouvoir et l’opposition aussi longtemps que le président de la République gardera le suspens sur sa participation ou non à l’élection présidentielle de 2024. Le dialogue politique étant perdu d’avance, il faudra donc aller au-delà et organiser des concertations beaucoup plus larges, impliquant toutes les couches de la société sénégalaise pour de discuter des problèmes du Sénégal qui sont d’ordre politique et institutionnel.

De notre point de vue, le Sénégal n’a pas de problème économique et ne souffre d’aucun autre problème lié aux clivages ethniques et socioreligieux susceptibles de générer un conflit majeur de la dimension d’une guerre civile. Le problème du Sénégal est essentiellement politique (« politicienne »). C’est l’orientation hyper politicienne du pays et l’utilisation de la politique à des fins de promotion sociale et d’enrichissement personnel qui est la source transversale de tous nos problèmes. Notre système de gouvernance, la façon de faire de la politique au Sénégal et les agissements de nos hommes politiques sont à l’origine des tensions sociopolitiques actuelles qui ont motivé cet appel au dialogue, lancé par le président de la République.  

La solution, à notre avis, c’est la tenue, en urgence et sans délai, des « Assises de la gouvernance » au Sénégal afin de refondre complètement le système de gouvernance et d’introduire des réformes politiques et institutionnelles très profondes de nature à « dépolitiser » complètement la société sénégalaise et, par ricochet, à adapter nos institutions déphasées, encore trempées de colonialisme, à nos réalités. Il est impératif de passer par cette voie « réformiste » du changement pour éviter que le peuple ne soit tenté d’« arracher » sa souveraineté confisquée par une élite « politicienne » incapable de progrès, prédatrice et nuisible à la paix et à la stabilité nationales. Donc les partis politiques ne doivent pas prendre part à ces concertations, car étant la source profonde de tous les problèmes du pays, tout doit être décidé par le peuple, sans eux et à leur désavantage.

La rencontre doit regrouper, non pas ceux que le président Macky Sall appelle les « forces vives de la nation » (partis politiques, acteurs sociaux, etc.), mais le « substratum » de la société sénégalaise que constituent les chefs religieux et coutumiers, d’anciens hauts fonctionnaires de l’Etat, les forces de défense et de sécurité, les représentants des syndicats, ceux des autres corps de métiers des différents secteurs d’activité, formel et informel, la société civile, les élèves et étudiants, la diaspora, certaines Ong et des observateurs étrangers (représentants de certains pays cités en exemples en matière de justice sociale et de bonne gouvernance, etc.). Ils se réuniront en conclave pendant des semaines, voire un mois durant lequel sera fait un diagnostic sans complaisance des problèmes politiques transversaux afin de dégager des voies de solution en parfait accord avec les doléances posées par le peuple en matière d’organisation de l’Etat et de structure gouvernementale (la Constitution), de gestion étatique, de justice (les codes), d’éducation (loi d’orientation), etc.

Il conviendrait de procéder au changement des paradigmes dans ces domaines en s’efforçant d’adapter ces institutions, déphasées et extraverties, à nos réalités pour qu’elles puissent prendre correctement en charge les préoccupations du peuple. Les travaux des différentes commissions constituées, déboucheront sur un consensus autour de la manière dont le peuple voudra que le pays soit dorénavant gouverné, sur le profil des hommes politiques et les statuts des dirigeants. En effet, le profil du nouveau type d’« homo politicus » doit reposer sur une sorte de « cursus honorum » de l’individu, indépendamment du niveau d’études et du domaine du secteur d’activité, formel ou informel. En effet, il est préférable de confier des responsabilités politiques à un ouvrier consciencieux, honnête et travailleur qu’à un haut cadre ou universitaire malhonnête, insoucieux et corrompus, qui n’agit que dans ses seuls intérêts.

On assistera, inéluctablement, à la suppression de tous les avantages inhérents aux postes politiques et aux fonctions de parlementaires. Un député doit être représentatif du peuple qui l’a mandaté. Il ne doit pas être là pour un parti politique dont les préoccupations ne sont pas forcément compatibles à celles des populations. L’hémicycle doit donc refléter le peuple dans sa diversité. On parlera dorénavant de députés des enseignants, députés des commerçants, députés des artisans, députés de partis politiques, députés des handicapés, etc. Et, en lieu et place des avantages faramineux dont jouit un député, il n’y aura qu’une simple indemnité de session. La députation, ce n’est pas une vie de bourgeois, c’est une simple responsabilité.

En vue de rationaliser la vie politique nationale et de donner aux partis politiques leurs véritables lettres de noblesse, il sera envisagé un retour au « multipartisme limité » à deux, trois ou quatre grandes formations politiques, en procédant à la fusion de la foultitude des partis politiques que compte le pays, regroupés en fonction des affinités idéologiques ou alors selon leurs similitudes programmatiques. Le but recherché dans un tel mouvement fédératif partisan serait de parvenir à la mise en place de grands partis politiques à caractère intellectuel, technique et scientifique, aseptisés de tout folklore et dont les activités seront orientées, non pas uniquement vers la conquête du pouvoir, mais vers la formation citoyenne, le militantisme responsable et la réflexion aux grands défis à relever pour prévenir des malheurs et raccourcir au pays le chemin du développement.

L’activité politique, à partir de ce moment, dès l’instant qu’elle n’aura aucun avantage à offrir, écartera une certaines catégorie d’homme politique « carriéristes » et opportunistes (les politiciens), mettra fin au « clientélisme partisan », à la transhumance vers le pouvoir, et deviendra la chasse gardée d’une certaine élite patriotique et républicaine, composée d’hommes et de femmes sérieux, formés, disciplinés, inspirés et prêts à mettre gratuitement leurs biens, leurs savoir et savoir-faire au service de l’effort de construction nationale.

Il s’y ajoute que, désormais, les nominations à des postes politiques ne relèveront plus du pouvoir discrétionnaire du chef de l’Etat, mais sera soumis à un appel à candidature, basé sur des critères capacitaires, professionnels et de bonne moralité avec obligation de résultat, dans un délai précis. L’accès « critérié » aux postes de responsabilité étatique et l’exigence de résultats, à notre avis, sont des gages d’efficacité dans l’action gouvernementale et dans la gestion des biens publics. Ce qui permettra d’avoir partout, comme disent les Anglo-saxons, « The right man at the right place » ("l’homme qu’il faut à la place qu’il faut"). Naturellement, cela va conduire à la suppression de l’« Etat politicien » hyper-présidentialiste, à la reprise effective par le peuple de sa souveraineté des mains de cette élite « politicienne » prédatrice et dangereuse.

La démocratie ne sera pas en reste, elle s’adaptera au pays. Certes, la démocratie est universelle dans ses principes, mais varie dans ses formes et dans ses modes d’expression. Donc il ne faut pas que l’on soit aveuglé par l’application stricte des formes et pratiques démocratiques telles qu’elles existent en Occident. Une démocratie sénégalaise est possible. Une démocratie qui ne s’appuie pas sur une Constitution au contenu ambigu, flou et manipulable à dessein par les élites pour se perpétuer au pouvoir. Il nous faut une démocratie africaine et sénégalaise, intravertie, reposant sur des  modèles inspirés par les structures politiques, institutionnelles et sociales de nos ancêtres depuis l’Egypte pharaonique.

Devrions-nous, par exemple, continuer à dépenser des milliards de francs CFA chaque fois, dans des campagnes électorales folkloriques et des élections interminables, rien que pour désigner nos dirigeants ? Absolument, non ! Nos juristes et politologues doivent trouver d’autres alternatives aux élections  sans ces campagnes électorales initules, coûteuses et trempées de violences. La démocratie, telle qu’elle fonctionne au Sénégal et en Afrique, de manière générale, est non progressiste, rétrograde et, à la limite, déstabilisatrice. La citoyenneté aussi, étant intimement liée à la démocratie, doit être réformée et adaptée. Une démocratie africaine et sénégalaise, une citoyenneté nouvelle. Il s’agira d’une citoyenneté qui intègre nos valeurs sociétales, sociologiques et religieuses.

En définitive, nous restons persuadé que c’est par ces mesures « réformistes » hautement pragmatiques sur les plans politique, institutionnel et social qu’il sera possible d’éradiquer l’Etat-politicien et les « maladies » du pays provoquées par le « virus » de la « politique-business », de libérer définitivement le pays de l’emprise de la « politique politicienne », d’adoucir le climat sociopolitique permanemment tendu et d’éviter la « malédiction du pouvoir » qui sévit dans la sous-région. En fait, une autre façon de faire de la politique est possible pour un Sénégal nouveau, un Sénégal gouverné de façon vertueuse, responsable et efficiente. Un Sénégal qui émerge dans la paix et la stabilité, en tant que nation au sein d’une Afrique qu’il inspire dans tous les domaines.

L’heure est grave, donc pas de temps à perdre, car plus la présidentielle de 2024 s’approche, plus le temps ne donnera pas du temps aux concertations de cette envergure. Il s’agira, dès à présent, d’établir les bases du nouveau système de gouvernance qui doit être fondée sur une gestion vertueuse, rationnelle, rigoureuse et efficiente des ressources nationales afin que l’après-2024 soit, pour notre pays, une période de paix, de justice sociale, de stabilité politique et de prospérité pour tous.

                                                                                                                        Moustapha Camara

                                                                                                          Professeur d’histoire et de géographie

                                                                                                                               mcamara57@yahoo.fr

 

 

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