Publié le 21 Jul 2025 - 10:17

L’émergence d’une nouvelle ère : Le défi de financer le développement dans un monde en remous, sans argent et sans solidarité.

 

La récente conférence sur le développement à Séville s’est déroulée dans un contexte mondial complexe, marqué par des enjeux urgents liés à la pauvreté, au changement climatique, et à la limitation des ressources financières. Selon la Banque mondiale, près de 1,7 milliard de personnes vivent encore dans l’extrême pauvreté, principalement dans les pays en développement, avec un accès limité aux services essentiels. Par ailleurs, la crise climatique mondiale intensifie ces défis.  En 2023, les émissions de CO₂ ont atteint environ 36,6 gigatonnes, soit une hausse de 2 % par rapport à l’année précédente, accentuant la nécessité d’adopter des stratégies plus durables et innovantes.

La conférence, qui a rassemblé plus de 500 participants issus de plus de 80 pays, a abordé des questions fondamentales telles que le financement alternatif du développement. Selon le rapport de l’ONU sur le financement du développement durable 2024, environ 70 % des investissements dans le développement viennent désormais du secteur privé ou de fonds non gouvernementaux, soulignant la tendance vers des approches plus décentralisées et innovantes. Cependant, cette évolution soulève aussi des interrogations sur la justice sociale et l’efficacité à long terme. Les investissements privés peuvent ne pas toujours bénéficier équitablement à toutes les populations ou régions, risquant d'accentuer les inégalités sociales et économiques. Les groupes vulnérables ou marginalisés pourraient avoir moins accès aux bénéfices. Aussi, le secteur privé privilégie souvent les investissements rentables, ce qui peut entrer en conflit avec les objectifs sociaux ou environnementaux plus larges, compromettant l’équité et la durabilité.

Les intervenants ont fortement insisté sur l’importance d’intégrer les nouvelles technologies pour favoriser la réorganisation collective. Par exemple, la couverture internet mondiale a atteint 65,6 % en 2024, selon l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), ce qui permet une ouverture majeure pour des initiatives telles que l’économie de partage, la monnaie locale numérique, ou la mise en réseau de ressources locales, des stratégies qui peuvent réduire la dépendance aux flux financiers traditionnels.

De plus, la conférence a souligné que près de 2 milliards de personnes dans le monde n’ont pas accès à une alimentation suffisante ou fiable, ce qui souligne l’urgence de repenser la solidarité et la gestion des ressources. La transition vers un modèle basé sur la coopération volontaire, la mutualisation des compétences, et la valorisation des ressources naturelles, apparaît comme une voie essentielle pour atteindre un développement durable, équitable, et résilient.

Mais alors, comment financer le développement dans un monde où la solidarité semble décroître et où la coopération « gagnant-gagnant » devient une illusion ?

Dans un monde en pleine mutations qui tourne le dos au multilatéralisme et qui privilégie les coalitions d’états volontaristes du fait de la léthargie des instructions internationales, nous sommes aujourd’hui à l’aube d’une révolution silencieuse qui pourrait bouleverser notre manière de concevoir le développement et la croissance.

La métaphore “Financer le développement sans argent et sans solidarité” soulève en elle-même une interrogation fondamentale. Est-il encore possible, à l’heure où les ressources financières et la solidarité traditionnelle semblent épuisées ou insuffisantes, d’imaginer un avenir durable ?

Cette question nous invite à réfléchir sur la fin d’une ère et l’émergence d’un paradigme nouveau, plus innovant, plus collectif.

Pendant longtemps, notre modèle de développement s’est basé sur l’accumulation de richesses financières, l’aide mutuelle entre nations, et la solidarité comme socle principal. Mais ces fondations montrent aujourd’hui leurs limites : inégalités croissantes, dépendance économique, dégradation de l’environnement, crises répétées. La nécessité d’inventer de nouvelles formes d’organisation devient une urgence.

Faut-il alors penser qu’il est impossible de continuer dans cette voie, et que l’ancien modèle doit céder la place à autre chose ?

Outre la mobilisation des ressources nationales et la lutte contre les flux financiers illicites, autres options de financement innovant, une réponse envisageable est celle d’un développement basé sur l’intelligence collective, le partage des ressources et l’innovation sociale.

La technologie, notamment le numérique, ouvre des perspectives inédites. Elle permet le partage gratuit des savoirs, la mise en réseau des acteurs locaux, et la valorisation des ressources naturelles et humaines, sans forcément recourir à des flux financiers traditionnels. Des alternatives émergent, telles que l’économie de fonctionnement, la monnaie locale, ou encore la mise en commun des biens et des idées (le partage de ressources et le partage de connaissances via des plateformes collaboratives. L’objectif est de réduire le gaspillage, de favoriser la solidarité et de maximiser l’utilisation des biens).

Ce changement de paradigme suppose une transformation profonde de notre façon de penser la solidarité. Elle ne doit pas disparaître, mais se métamorphoser, de solidarité financière à une solidarité de savoirs, de compétences, et de ressources. La créativité, l’engagement volontaire, et le sens communautaire deviennent alors les véritables moteurs du progrès. Cela demande aussi une remise en question de notre rapport à la propriété, à la consommation, et à l’aide extérieure.

L'idée d'une transformation vers un modèle basé sur l'intelligence collective, le partage et l'innovation sociale, est effectivement envisageable dans les sociétés occidentales, où la culture du changement, l'accessibilité à la technologie et l'expérimentation de nouvelles pratiques sont généralement plus favorisées. Cependant, cette transition peut également apparaître comme un défi, nécessitant une adaptation des mentalités, des infrastructures et des politiques publiques.

Dans les pays en développement, la mise en œuvre de ces nouvelles formes de solidarité et de partage présente à la fois des opportunités et des obstacles. D’un côté, la forte nécessité de solutions innovantes, la présence souvent plus forte de communautés solidaires, et le potentiel de technologies simples ou adaptées (comme les téléphones mobiles ou les réseaux traditionnels locaux) peuvent faciliter l’émergence de modèles alternatifs.

La mutualisation des ressources et l’entraide communautaire peuvent répondre à des besoins spécifiques, notamment en matière d’accès aux services et de gestion des ressources.

Cependant, ces transformations peuvent faire face à des défis majeurs, notamment en termes d’infrastructures, de régulations, d’éducation, et de stabilité politique et économique. Le risque est que, sans un cadre adapté, ces initiatives restent isolées ou peu durables en raison de contraintes matérielles ou sociales.

La fin de cette ère sera peut-être celle où l’argent, trop souvent synonyme d’inégalité et de dépendance, n’était qu’un moyen parmi d’autres pour atteindre le développement. La nouvelle ère pourrait privilégier une économie basée sur la coopération volontaire, la mutualisation, et la conscience collective. Dans cette perspective, chaque individu, chaque communauté, pourrait contribuer à un développement durable et équitable, sans dépendre ni d’argent ni de solidarité imposée.

En conclusion, imaginons un monde où la créativité humaine, le partage et le respect de la planète remplacent la simple recherche de profit et l’assistance extérieure. Ce sera alors la véritable fin d’une époque pour laisser place à une société plus résiliente, plus équitable, et plus harmonieuse. Un nouveau chapitre s’ouvre, celui de l’émancipation collective et de l’innovation sociale au service du développement. Osons ce développement !

Juillet 2025

Par Michelle Ndiaye

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