Publié le 29 Sep 2015 - 01:21
AVISD’INEXPERT PAR JEAN MEÏSSA DIOP

Le sensationnalisme médiatique aurait du mérite

 

Le sensationnalisme journalistique aurait du bon. « Grâce au sensationnalisme des médias » (sic), dixit le philosophe et sociologue français, Edgard Morin, à l’émission « C’est  ce soir (ou jamais !) » sur la chaîne de télévision France 2, l’Europe, en particulier, et le monde entier, en général, ont pris conscience de l’ampleur du drame des réfugiés syriens. Et grâce au zèle de la presse occidentale, ces derniers ont pu trouver en Occident l’accueil qu’ils sont allés chercher par hordes à travers une Europe qui commence à douter.

A douter de ce que demain sera fait avec – et aussi par - ces étrangers qui vont poser (ou résoudre, pour l’Allemagne vieillissante, en tout cas) dans quelques temps des problèmes de société, religieux, politiques, économiques…  Ancien conseiller et économiste, Jacques Attali, invité à cette même émission (C’est ce soir (ou jamais !) « Face à l'afflux de réfugiés, que faire et que penser ? » de France 2, a soutenu que les migrants syriens sont une chance pour l’Europe, reprenant le titre d’un livre de l’ancien homme politique français, Bernard Stasi,« L’immigration, une chance pour la France ».

Le travers aurait du bon, soutient Morin. Donc, le célèbre tragédien grecque Euripide a eu raison de dire que « lorsque le vice a avec lui la caution des gens respectables, il est bien clair que la canaille en fera une vertu ». Pour le moment, les médias occidentaux continuent leur raffut sur ces « migrants qui seront des réfugiés »…  Le sujet se traite sous tous les angles – y compris les plus insolites comme ce reportage sur ces Syriens partis en exode avec leurs animaux de compagnie (chats, chiens…) ; ou encore cette édition de la chaîne de télévision France 24 intitulé « Technologie et migrants » ! De quoi vous en boucher un coin.

L’imagination des reporters déborde ! Et les Syriens - coqueluche de la presse européenne - auxquels s’ajoutent des Afghans, des Erythréens, en sont venus à faire comme s’ils veulent imposer le label « réfugié syrien ». En effet, on en a vu et entendu un de ces migrants exaspérés par le fait que d’autres individus soient venus se mêler à eux « alors qu’ils ne sont pas Syriens » (sic) ! Voilà ! L’hôpital qui jalouse la charité et tente même de lui opposer un ostracisme bête. Bonne chance avec vos visiteurs, avais-je dû répliquer à un ami canadien qui piaffait d’impatience de recevoir de ces Syriens. Pour eux, l’Occident, ce n’est plus les kafirs, le Satan. Ou alors si… On afflue chez eux, tout en étant convaincu qu’ils symbolisent toujours le démon, l’athéisme.

Mais dans ce foisonnement, dans ce « sensationnalisme des médias », on ne semble plus s’intéresser aux réfugiés africains ; quelle chaîne, quelle radio, quel journal, quelle agence de presse est allé voir ce que deviennent les migrants africains parqués dans des centres de rétention en des localités comme l’île italienne de Lampedusa ? A l’époque des « cayucos » (dénomination espagnole de ces pirogues à bord desquelles des Africains traversèrent la Méditerranée pour accoster en Espagne), il y a eu quelques reportages sur ce phénomène, mais pas au point qu’il ouvre pendant des semaines les éditions de journal télévisé. Hier, Radio France internationale a fait état de migrants africains dont des Sénégalais sauvés en mer… Sur les chaînes de télévision (France 24, Euronews… que votre serviteur a l’habitude de regarder), il n’y a pas eu, sur cette accident arrivé à des migrants africains, un engouement un peu similaire à celui pour les… surmédiatisés syriens ! Tant pis !

Oui, il y a les réfugiés qui font saigner le cœur des Occidentaux, mais il y a ceux qui les laissent de marbre. Et les Africains sont de ces derniers. Et les médias africains ont, eux, une ligne presque indifférente, digne au contraire de celle de leurs confrères occidentaux. Le putsch foiré au Burkina Faso les a plus passionnés que la question de ces migrants syriens dont certains commencent à être incommodes aux yeux de leurs hôtes. Qui peut reprocher à un organe de presse africain de donner la priorité rédactionnelle à des sujets qui concernent l’Afrique et les Africains ? « Sama bopp a ma gënal…», l’a si bien dit la sagesse wolof. Il y a deux siècles, un homme politique et journaliste français, Raymond Cartier, avait sorti la fameuse boutade « la Corrèze avant le Zambèze ».

Voilà un bon sujet pour une certaine Ong Horizon sans frontières qui nous semble vouloir, à tous les coups, surmédiatiser son existence plus que ses activités. Elle qui défend les émigrés et émigrants, que ne se fasse-t-elle pas entendre pour dénoncer la disparité de traitement que l’Occident fait entre Syriens et Africains ? Les premiers se voient même dérouler le tapis rouge, sous les ovations des habitants qui les accueillent avec le sourire et l’impatience, pendant que les Africains sont en centre de rétention. Les Occidentaux expliquent cette iniquité par le fait qu’il y a la guerre en Syrie. Et en Somalie, et en Centrafrique, au Mali… ? Et même quand il y eut la guerre en Côte d’Ivoire ! L’Erythrée

Puisque un sociologue et philosophe de la stature d’Edgar Morin trouve bienfaisant un certain sensationnalisme médiatique, il ne faudra pas s’étonner que, pour paraphraser Euripide, sa parole soit une onction pour les journalistes et journaux qui ont bâti leur pratique professionnelle et leur ligne éditoriale sur les excès, le voyeurisme, l’exagération et autres travers d’une presse qui comprend mal sa mission et son rôle.

Exaspéré, scandalisé, ce facebookeur sénégalais l’est en clamant, sur sa page de réseau social, son indignation que sur les chaînes de télévision du Sénégal, les espaces de spectacles que les présentateurs et leurs publics aient pu « s’éclater » sans avoir une pensée pieuse pour ces compatriotes morts dans la tragédie (plutôt que le drame ; parce que c’est plus qu’un drame) à La Mecque. Cette réprimande, bien légitime, devrait pousser à bien réfléchir.

Jean Meïssa DIOP

 

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