Publié le 28 Nov 2022 - 16:27
BAISSE DES PRIX DES PRODUITS DE CONSOMMATION

Langage de sourds entre commerçants et autorités étatiques

 

La baisse des prix est, jusque-là, une équation difficile à résoudre. Malgré les menaces brandies par le directeur du Commerce intérieur, certains commerçants refusent d'obéir et décident de retenir leurs marchandises. Il est hors de question, pour eux, de vendre à perte. Au sein de la population, les avis sont partagés sur la question.

 

C'était le grand ouf de soulagement chez les consommateurs, à l'annonce de l’entrée en vigueur des mesures de baisse des prix des produits de consommation, il y a quelques jours. Mais depuis lors, rien ne se passe comme prévu. Car certains boutiquiers disent niet à la décision étatique. La raison avancée ? ''On ne peut vendre à perte''. La descente musclée du directeur du Commerce intérieur, faite récemment dans les rues de quelques quartiers de Dakar, est loin de dissuader les récalcitrants. Jusque-là, des commerçants refusent d'obtempérer en se gardant de vendre des produits, notamment le sucre.

Apparemment affecté par l'opiniâtreté de ces vendeurs, un jeune homme qui vient de terminer une partie de ses courses raconte le calvaire vécu, en voulant faire des achats : "Certains boutiquiers maintiennent toujours les anciens prix. Il y a quelques jours, j'ai voulu acheter un sachet de sucre pour préparer le thé. J'ai sillonné tellement de boutiques, au point de me décourager.'' Sans donner son nom, l'homme continue son récit, tout en défendant les commerçants. ''Si on voit bien, ils ont raison. En vérité, on ne peut pas se lever comme ça et s'en prendre aux gens dans leurs propres lieux de travail et leur imposer quoi que ce soit. Ce n'est pas respectueux. Il devait y avoir des discussions des mois auparavant, pour permettre aux commerçants de prendre leurs dispositions et se préparer en conséquence'', poursuit-il.

Un avis qui rime avec la position des récalcitrants qui, dès le début des opérations de contrôle, ont demandé qu'on leur laisse le temps d'écouler les anciens stocks qui ''ne sont pas concernés par les nouvelles mesures''. C'est d'ailleurs, cette marchandise, le sucre, qui constitue la pomme de discorde entre les commerçants et la Direction du Commerce intérieur. Sous le couvert de l'anonymat, un boutiquier déverse sa colère : "Le délai donné aux commerçants est très court pour pouvoir se préparer. C'est vraiment une situation confuse où personne ne comprend absolument rien.''

Pour son voisin, il n'existe même pas de délai et dénonce un forcing. "Vous pouvez imaginer combien ça fait mal de liquider sa marchandise purement et simplement. On nous surprend avec des ordres nous exigeant d'exécuter. C'est vraiment dommage'', se plaint-il.

Le directeur du Commerce intérieur sort la cravache

L'entêtement de certains commerçants a poussé les autorités étatiques à brandir le bâton. Il y a quelques jours, participant à des opérations de contrôle, le directeur du Commerce intérieur, Omar Diallo, n'avait pas hésité à engueuler des boutiquiers. Au vu de la situation qui prévaut toujours, il est revenu à la charge. Cette fois-ci, il menace en rappelant les sanctions pécuniaires pour intimider les contrevenants : "Les personnes incriminées seront traduites devant le procureur de la République. Pour rappel, les sanctions pécuniaires varient d'un minimum de 50 000 F CFA à un maximum de 50 millions F CFA.''

À ce propos, M. Diallo interpelle les consommateurs et leur demande plus de solidarité. Pour ce faire, le jeu est simple : dénoncer les coupables. C'est ainsi qu'il déclare : "Je voudrais préciser à l'attention des consommateurs sénégalais que lorsqu'un commerçant refuse de vendre, il commet une infraction formellement interdite par la loi. Dans ce cas, le consommateur qui est confronté à cette situation peut, soit nous le signaler, soit, si possible, se rapprocher des services départementaux ou régionaux du commerce. La réaction ne va pas se faire attendre.''

Ce faisant, le directeur du Commerce intérieur dévoile leur stratégie de traque, tout en mettant en garde contre les rétentions de stock. ''Nous avons un plan opérationnel de contrôle systématique des prix dans tout le territoire national. Chaque fois qu'on constatera un cas manifeste de refus de vente ou de rétention de stock, le produit sera saisi et vendu immédiatement aux consommateurs, sans oublier toutes les sanctions qui suivront'', fait-il savoir.

Le président de SOS Consommateurs prône la discussion

Les tiraillements entre la Direction du Commerce intérieur et les commerçants ont fini par instaurer un débat au sein de la société. Déjà, sur les places publiques visitées, beaucoup de Sénégalais sont divisés sur la question. Si certains soutiennent et encouragent les autorités, d'autres, par contre, prennent la défense des commerçants. Pour le deuxième groupe, c'est tout à fait légitime de défendre les vendeurs, vu que ce qu'ils demandent est normal et légal. ''Personne n'accepterait parmi nous de telles mesures'', laisse entendre un vieux qui vient de terminer un appel téléphonique.

Mais un citoyen qui se tient un peu à l'écart prend le contre-pied.  ''Tout ce que je peux dire, c'est que l'État a bien fait. Quelles que soient les raisons avancées par les commerçants, ils doivent obéir, car il y va de leur intérêt. Vaut mieux écouler la marchandise gardée que de subir une sanction à hauteur de 50 000  ou 50 millions F CFA, ou même être traduit en justice. Voilà pourquoi ils devaient prendre en considération les lamentations des consommateurs qui ont toujours dénoncé la hausse des prix''.

Dans cette confusion ou autorités étatiques et vendeurs sont à couteaux tirés, Massokhna Kane voit la solution autour d'une table. Le président de SOS Consommateurs pense que l'État doit discuter avec les commerçants, seul moyen de trouver un terrain d'entente.  "Il faut que l'État discute avec les vendeurs. Leur refus est justifié aussi. On ne peut pas vendre à perte. Il faut se mettre à leur place. Autant ils ne doivent pas faire des super bénéfices et des choses anormales, autant ils ne peuvent pas vendre à perte. Si on arrive à cette situation, c'est parce que, quelque part, les discussions qu'il fallait ont échoué. Ces gens sont manifestement des responsables. Donc, s'ils refusent de vendre, c'est qu'il y a problème''.

El hadji Fodé Sarr

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