La commune de Ngor réclame son patrimoine foncier

Le débat sur les spoliations foncières continue. A Ngor, les populations demandent la restitution de plusieurs de leurs terres. Elles estiment que le site de l’aéroport Léopold Sédar Senghor, leur revenant de droit, doit être une zone d’extension pour leur commune devenue exiguë.
Le littoral de Dakar, la bande côtière de filaos, Yoff, la forêt de Mbao, Ouakam et maintenant Ngor. Toutes ces zones font l’objet d’un tollé foncier occupant les médias, depuis début juin. Au village de Ngor, les populations réclament un site de recasement sur le site de l’aéroport Léopold Sédar Senghor. Elles estiment que cette zone, appartenant au patrimoine de Ngor, devrait aujourd’hui abriter des équipements publics et des activités économiques, cela en raison de la promiscuité et de la précarité qui règnent dans la commune. ‘’L’étendue du saccage des terres et les résultats de la dérive spéculative dans le domaine foncier ont produit une redistribution de celles-ci au détriment des anciens propriétaires légitimes, des petits et moyens ménages agricoles et des communautés’’, déclare le porte-parole du chef de village Bamar Samba.
En plus de cette question, se pose un autre problème relatif à un lotissement en cours sur une bande traversant les communes de Yoff, Ngor et Ouakam. ‘’Il s’agit de 62 hectares sur l’axe sud-nord reliant ces trois communes. Nous avons vu l’arrêté du ministère de l’Urbanisme approuvant le lotissement. Et jusqu’à présent, nous ne sommes pas invités à la table de négociations pour voir ce qui doit revenir à Ngor, à Yoff et à Ouakam. Personne ne nous a rien dit. Pourtant, cette zone fait partie de notre territoire communal. La bande part de la banque BOA de Ouakam jusqu’à l’aéroport. A cette heure, les jeunes de Ngor devaient être en plein sit-in sur ce site, mais nous les avons calmés pour, avant tout, nous faire entendre des autorités, en espérant qu’elles écouteront nos revendications’’, explique-t-il.
De ce volet, émerge une autre équation plus ancienne, soulevant le tracé et la gestion des frontières entre les communes de Yoff, Ngor et Ouakam. Une vieille doléance qui n’a toujours pas connu de solution. ‘’Ce lotissement va créer des conflits entre ces trois communes, parce qu’il s’est référé à un découpage où l’aéroport est du côté de la commune de Ouakam, alors qu’il se trouve sur les terres ancestrales de Ngor. Les autorités de l’époque, lorsque feu Djibo Ka était ministre de l’Intérieur, ont fait un découpage maladroit sur les frontières des trois communes qu’on dénonce depuis des années’’.
Il poursuit : ‘’Les habitants de Ouakam savent très bien que, traditionnellement, leur commune s’arrête à la mosquée de la Divinité, mais on l’a poussée jusqu’à la banque BOA. La commune de Yoff est limitée par le restaurant Le Virage. Aucun habitant de Ouakam ne peut prétendre avoir un droit coutumier sur cette partie de ces terres. Entre nous, nous savons où se trouvent nos frontières, mais administrativement la situation est toute autre. Et le plan de lotissement tel que libellé veut dire que si jamais un Ngorois est attributaire d’un lot dans cette bande, il se trouverait sur le territoire de Ouakam. Donc, vu sous ce plan, c’est comme si on nous a sortis de l’assiette foncière de l’aéroport. Aujourd’hui, une bonne partie de notre assiette foncière se trouve à Ouakam, alors que ce sont des terres ancestrales des populations de Ngor. Nous demandons à l’Etat de régler ce problème’’, poursuit le porte-parole du jour.
‘’Nous sommes victimes d’un rétrécissement continu’’
A Ngor, on réclame le droit de jouir d’un patrimoine foncier communautaire spolié. Les doléances du jour semblent être le résultat d’une longue attente sans satisfaction. Au fond, les Ngorois espéraient voir un jour s’arrêter une boulimie foncière qui date de la période coloniale. En 1943 déjà, les colons ont construit, après une réquisition, un aéroport sur 864 hectares, pour le transport des troupes. Et Bamba d’ajouter : ‘’Nous avons des documents qui l’attestent. C’est aux ancêtres de notre chef de village que les colons ont demandé des terres. Nous étions en période de guerre. Donc, qui dit réquisition reconnaissait le droit de propriété de l’occupant. Cela n’a rien à voir avec la loi de 1964 qui annulait toute prétention sur une terre.’’
En 1968, survient le remembrement des Almadies sur 450 hectares. Mais une fois le lotissement terminé, des parcelles de 500 à 1 000 mètres carrés ont été attribuées à des personnalités sénégalaises et même étrangères, en 1973. La même année, le domaine de la foire de Dakar (70 ha) a été réquisitionné et l’ile de Ngor a fait l’objet d’une attribution de baux sur 15 hectares. Une autre réquisition a vu le jour en 1973, pour la construction de la piste Mermoz-Tonghor de l’aéroport Léopold Sédar Senghor ainsi que la bande verte autour. ‘’C’est la partie ouest de l’aéroport qui était non aedificandi ; on l’a attaquée et déclassée, et le massacre a continué jusque vers l’est, au niveau de virage, jusque dans les années 1980. Les zones de Tundu Rya et Warar ont été occupées jusqu’à Yoff’’, précise Bamar Samba.
En outre, l’année 2006 a enregistré la réquisition des champs de tirs des Mamelles (27 ha) et le début du partage des terres du domaine aéroportuaire. Pour les populations de Ngor, c’en est trop. ‘’De 1943 à nos jours, nous sommes victimes d’un rétrécissement continu. D’année en année, à la suite de différentes opérations de démembrement et d’expropriation confinant finalement les populations dans un espace exigu à forte densité d’habitation, Ngor est devenu, au bout du compte, un ilot dans des zones résidentielles (17). Nous attirons l’attention de l’Etat, car ce sont les terres de nos ancêtres qu’on donne à des spéculateurs, des amis, en ignorant les vrais propriétaires. Une population qui vit a besoin d’espace. Qu’en sera-t-il de l’avenir de ces jeunes qui sont là ? Vu le contexte actuel, nous sommes à l’aise pour parler et conseiller ceux qui n’en sont pas encore victimes. Nous sommes les plus concernés par ce débat sur le foncier, parce que c’est ici que cela a commencé’’, déplore-t-il.
L’exiguïté actuelle, l’absence d’aménagement de ce village érigé en commune en 1996 ont créé plusieurs conséquences. La densité de la population est devenue plus forte, le banditisme et la consommation de drogue s’accroissent. La baie de Wassiya, zone de reproduction halieutique, est gravement atteinte par la pollution des canaux des eaux pluviales, sans compter le pillage des océans. Ce qui a eu un fort impact sur leur activité principale : la pêche. Le Sénégal faisait pourtant partie des pays à mers très poissonneuses. Aujourd’hui, les autochtones ont perdu leur mode de vie traditionnel et toutes ces modifications n’ont pas bénéficié de politiques d’accompagnement.
EMMANUELLA MARAME FAYEE