Publié le 21 Jul 2020 - 01:14

C’était Ousmane Tanor Dieng

 

Le destin du premier Ministre ivoirien Amadou Gon Coulibaly rappelé à Dieu le 08  juillet 2020 ressemble étrangement à celui de son aîné Feu Ousmane Tanor Dieng. Le Président Macky Sall qui nous avait  fait l’honneur de l’accompagner à Abidjan à la cérémonie d’hommage au défunt pour manifester sa solidarité et sa compassion à son frère ainé Alassane Ouattara nous a bien  offert l’occasion de faire ce constat.  Cette journée de ce  14 juillet au Pays des Lagunes  aussi intense en émotion  ravive encore notre douleur en nous rappelant les souvenirs de cette journée inoubliable du 19 juillet 2019. Car un an après sa disparition, son ombre continue toujours de nous hanter.

Depuis le royaume de l’Éternel,  ce regard plein de mystère, impénétrable,   comme l’œil de Caïn nous suivra et nous surveillera toujours, nous les descendants d’Abel, tueurs d’innocents citoyens, non pas par la mâchoire d’âne, mais par une arme  aussi  lâche que mortelle : une langue plus venimeuse que celle de la vipère, chargée de haine, de propos injurieux, diffamatoires,  mensongers, de déballages  sur la personne d’honnêtes hommes, femmes.

Il continuera, outre-tombe  de  troubler notre sommeil, notre quiétude, d’interpeller nos  consciences, nous les  pauvres mortels dans nos rares moments de lucidité pour nous rappeler  à nous et aux générations futures  ce que doit un Homme, un Homme d’Etat , un Homme Politique :  cultivé , travailleur infatigable, courtois , humble, sobre, discret, patriote, républicain, loyal et fidèle jusqu’au bout et au-delà envers son chef. Et quoi d’autre ? L’homme cultivait aussi dans son jardin intérieur des vertus, entre autres celle  qui ne court plus hélas les rues.

Il se trouve que le Président Tanor avait  toujours  fait sienne cette règle non écrite : de toujours garder  les secrets d’Etat, demeurer imperturbable, impassible en toutes circonstances comme l’ont fait le Président  Moustapha Niasse, feu Djibo Ka et le Président Macky Sall, alors opposants  qui en savaient pourtant  beaucoup sur l’Etat et sur des personnes, des adversaires,  mais demeuraient  muets, gardant le silence   jusque dans la tombe. Cet homme dont nous ne nous consolerons jamais de sa disparition avait  toujours fait sien ce credo de Rabelais : «  Fais ce  que tu voudras ; parce que les gens biens nés, bien instruits, conversant en compagnie honnête, ont par nature un instinct et un aiguillon , qui toujours les pousse à accomplir des faits vertueux et les éloigne du vice, aiguillon qu’ils nommaient honneur. »

La nouvelle était tombée  quelques heures  après la victoire de  nos valeureux lions dont vous étiez en tant que grand sportif  leur soutien inconditionnel.

Tous ceux qui ont connu cette silhouette svelte, cette démarche ferme, ce regard  grave, cette allure pleine de vie  se sont posés cette même question : Comment ?

La  joie  des sénégalais qui avaient continué à fêter notre qualification en finale de la CAN dans une chaude ambiance  fut de courte durée. Il avait été décidé par le décret divin du Tout Puissant, Allah notre Créateur, que vous serez le grand absent à ce grand rendez vous  tant attendu, pour le quel vos prières ne nous ont guère fait défaut, depuis  votre  lit d’hôpital.

Depuis, cette  liesse populaire s’était dissipée dans  une morne ambiance. 

C’est que les Sénégalais, hommes, femmes, enfants, vieux des  villes et  des hameaux les plus reculés du pays, dans leur vécu quotidien vous avaient  toujours intégré en leur sein comme  un fils, frère, mari, père  gendre, ami modèle

« L’unanimité n’existe que chez les peuples de dieux et d’esclaves »,  dit-on. 

 En vérité, nous de l’opposition, en son temps jusqu’en l’An 2000, n’avions jamais douté de votre  sincérité, de votre  honnêteté  intellectuelle constantes. Et que dire de votre  esprit patriotique rassembleur et pacifiste, essence et socle de la Coalition BENNO BOKKYAAKAR,  dont vous avez si bien contribué á sa concrétisation, vous et d’autres illustres compagnons, comme vos frères aînés le Président Moustapha Niasse,  Dansokho?

Qui pourrait sérieusement démentir que cette union sacrée autour de l’essentiel, derrière votre frère cadet, « le benjamin du groupe »,  par delà les diversités idéologiques, des parcours, mue par un seul et noble intérêt, le devenir du Sénégal est  et restera unique dans l’Histoire par sa durée, et par   son climat de paix , de solidarité et de loyauté ?    

La vie des bonnes gens ne nécessite point qu’on en parle. Elle parle d’elle-même. S’il était permis de le faire, sans risque de nous tromper, nous dirions ceci de vous Ousmane. Populaire, vous êtes resté peuple.Vous n’avez jamais chanté, bonne naissance oblige, cet air du temps qui s’appelle l’arrogance, snober ses anciennes connaissances.

Cette foule composite d’hommes, de femmes et  de jeunes, adultes, vieux,  de condition modeste, qui  ont tenu à vous faire cette ultime haie d’honneur tout au long du parcours de cet impressionnant cortège, malgré la douleur, le désarroi qui se lisaient sur leur regard éploré et leur  mine triste  ne nous démentiront point ! Au même moment, on notait cette même ambiance  de désolation partout au Sénégal, dans le Walo, à Ndombo Sandjiri, Alarba, que vous connaissiez trop bien, vous leur  digne fils, avec  votre condisciple  et plus que frère  de toujours AblayeThiam, notre oncle OusmaneMbodj et votre neveu, notre cousin Madické Mbodj, Maire de Ndombo, votre ami de toujours PapeYama et son frère Yaxam Mbaye. Vous avez sorti cette contrée des ténèbres  et étanché la  soif de ses habitants, en y installant  l’électricité  et le réseau de  distribution d’eau potable, les préservant  de la bilharziose.

Homme de foi et de conviction, vous avez toujours été  constant  dans vos engagements,  quel que soit la situation. Pour cause ,  vous avez relevé avec succès le défi de R. Kipling dans son beau poème qui a marqué notre adolescence ( Tu seras un homme , mon fils) : « garder son courage et sa tête quand les autres les auront perdus. »

Qui avait   donc tenu bon  pour redresser le gouvernail de ce  gros paquebot  battant  pavillon  Parti Socialiste  que vous avait confié un certain soir de mars 2000 le Président Abdou Diouf dans une mer agitée en pleine   tempête,   ? Qui oserait  vous oublier  vous ce héroïque commandant légendaire,  comme les mythiques  capitaines Harvey  du  paquebot le Normandy, et Edward Smith du Titanic au milieu de l’océan, sous une pluie battante,  ruisselant sur sa casquette bien vissée, droit dans ses bottes,  dans cette noire sans étoiles, avec quelques éclairs qui  zébraient le ciel,  faisant face à  de gros écueils très dangereux, non pas des iceberg,    mais des épreuves mettant au défi   votre honneur qui ont pour noms : chantages, menaces d’emprisonnement , intimidations, tracasseries de toutes sortes, alléchantes propositions  pour amener  son équipage,  ses  fidèles et loyaux  passagers  à bon port ? Alors que bon nombre de responsables, la frousse au ventre, toute honte bue   avaient pris la « courageuse  option du sauve- qui –peut »  connue des rats , en sautant par dessus le bastingage, et qui comme de véritables champions  ont pu regagner la berge à la nage par la brasse et le crawl, et  courir  à toutes jambes se terrer dans les prairies bleues ,  ou faire le mort.

Qui peut  alors vous donner, à vous Ousmane, sauf culot ou effronterie,  des leçons de courage, d’honneur et de dignité? L’on dit souvent que l’on tient toujours de son « Toureundo » (homonyme) au moins sept caractères. De votre illustre  et vénéré homonyme «  Ousmane (Osman) parmi les premiers disciples et gendre du Prophète, son troisième Khalife qui paracheva la Recension de la Révélation divine, le Coran, assassiné alorsqu’il était entrain de le lire  nous retiendrons ces qualités : la piété, le courage, l’endurance,  la bonté, la générosité, la politesse, la courtoisie, l’érudition, l’honnêteté, la loyauté, la sincérité.

Que votre prénom vous  fût prédestiné  ou non, vous dont on a témoigné que vous avez récité enfant trois fois le Coran, peu importe ! Ils étaient tous là, Le Chef de L’Etat, votre  compagnon, profondément atteint,  son collègue du Mali , votre frère Ibrahima Boubacar Keita qui ne put continuer son témoignage étouffé par des sanglots , votre frère Ndiaga Dieng, représentant votre bien aimé le maire de Biscuiterie Doudou Issa Niasse, tous ébranlés comme votre plus que frère l’honorable Cheikh Seck, les personnalités religieuses, politiques, toutes confessions, confréries, chapelles  confondues :  les ministres, maires, députés, vos collègues conseillers des collectivités, conseillers économiques, arborant la bannière nationale , couvrant votre cercueil posé sur le catafalque, tous  unis dans la douleur et le recueillement.

Que dire aussi d’un autre proche, le Maire Khalifa Sall, si loin mais si près, qui était ce jour par de là les  vicissitudes de l’histoire l’absent le plus présent ? Cette union des cœurs et des esprits si chère au Président de la République Macky Sall pour un Sénégal uni, de Tous, Pour Tous dans les moments de joie  comme dans les moments d’affliction   nationale, comme c’est le cas aujourd’hui devrait être une constante en chacun d’entre nous. Ce serait profaner votre sépulture, si  à peine sorti de votre concession où vous reposerez désormais à coté de votre brave père l’on se mettait à nouveau à insulter, à dénigrer, à mentir. La pensée qui devrait animer chacun  d’entre nous devant votre tombe fraîchement comblée est la suivante : Hier, c’était Djibo Keita,  Mbaye Jacques Diop, Bruno Diatta. Aujourd’hui c’est  Ousmane Tanor Dieng. Et Demain ?  Ousmane, vous êtes parti à soixante douze  ans, laissant dans la douleur veuve et enfants. Sommes-nous meilleurs que-vous? Non !

«  Mors ultima ratio » : « La mort est la raison finale de tout ». La haine, l’envie, tout s’efface au trépas. Nous mourrons tous un jour ! 

Détrompons nous ! La valeur et les qualités d’un homme politique ne se mesurent guère au nombre de personnes présentes à ses obsèques. Mais elles s’apprécient surtout par rapport à ses faits et actes de son vivant. En cela, Ousmane, vous venez encore d’administrer, venant à la suite de vos illustres aînés, comme le Président L. S. Senghor, bâtisseur de notre Etat une leçon magistrale   à la  classe politique,  la société civile, journalistes  et autres coteries, que l’on peut aussi avoir la gloire, le prestige, le respect de ses pairs, en défendant  et en exprimant ses opinions dans la courtoisie, la politesse, loin des vociférations, diatribes, insultes écrites et verbales. Vous constituez  à la fois la vitrine et le miroir aux serviteurs de l’Etat, anciens premiers ministres, ministres, fonctionnaires reconvertis en opposants en leur rappelant  cet adage millénaire comme quoi la parole est d’argent,  mais le silence est d’or.

Ce que le Président dans ses formules dont il avait l’ingéniosité, parlant de vous disait : « Vous aviez de la tenue et de la retenue, parce que conscient des règles d’éthique et de la gravité des charges qui incombent aux serviteurs de l’Etat  et de la République. Votre carrière administrative du début à la fin est  un Code de Déontologie post- mortem à l’usage tout agent public soucieux du bien commun. Vous avez été un homme de grande courtoisie. Votre sérénité et votre dignité n’ont jamais  été  prises à défaut, dans le pouvoir comme dans l’opposition. Vous étiez aussi un homme de lettres à la plume exquise.Comme disait Montaigne à propos de la relativité des choses humaines : «  l’art de vivre doit se fonder sur une sagesse prudente, inspirée par le bon sens et la tolérance ». Vous  avez toujours fait vôtres  les vertus cardinales d’un homme politique digne de ce nom et qui hélas ne courent plus les rues : Tu ne mentiras point ! Tu n’offenseras point ! Ceux de vos proches qui vous ont connu depuis votre  jeune âge l’ont confirmé.

Tout devoir aux autres, et ne rien devoir à soi même, telle fut  votre pénible et noble charge durant toute  votre  existence. Soixante douze ans, ce n’est tout de même  pas trop dans la vie d’un homme, sportif,  débordant d’énergie comme vous. Mais vous les  avez vécus pleinement en homme accompli, emportant avec vous, les secrets d’Etat  et  la reconnaissance de la Nation. Ousmane, c’est  la Nation entière qui vous pleure aujourd’hui, vous qui avez tout donné à votre peuple. Vous êtes parti rejoindre  au Panthéon d’autres  illustres  hommes qui ont marqué l’histoire politique du Sénégal. Devant DIEU, le Tout Puissant,  votre brave père, votre  sainte mère vous  pourrez bien dire : j’ai fait ce que  j’ai pu. Vos enfants, venant  à votre suite  diront  : Gloire à notre adorable père !

Ousmane, les manuels scolaires d’histoire et d’instructions civiques des écoles, lycées  et des Écoles Nationales d’Administration , des Écoles de parti avec la crise du militantisme devront bien vous consacrer de grandes pages de leurs programmes en tant que modèle pour que la bonne graine ne meure. En la personne d’hommes, de femmes  et de jeunes pétris de valeur dont regorge votre parti, l’espoir est bien permis pour la relève. Et quoi d’autre ? Avec votre disparition, c’est la pudeur et la décence républicaines qui sont endeuillées. Merci encore Président Macky  d’avoir honoré votre loyauté jusqu’au bout et au-delà envers votre compagnon, en veillant sur lui et sa famille et en l’accompagnant jusqu’à sa dernière demeure.

« Dulce et decorum est pro patria mori » : «  Il est doux et beau de mourir pour la patrie». Ainsi chantait le poète. Tanor, merci pour Tout.

Ousmane, reposez en paix. Que la terre de Nguéniène  vous soit légère. AMEN.

Maître Djibril War,

Directeur de l’Ecole du Parti APR

wardjibril@yahoo.fr

Section: