Publié le 13 Jan 2012 - 16:04

Criminologie et contentieux constitutionnel au Sénégal

Souleymane Ndiaye est docteur en criminologie. En novembre 2002, il est nommé à ce titre, par décret, président de la Commission de révision du Code pénal et du Code de procédure pénale avant de se voir remplacer, le mois suivant, par l’ancien doyen de la Faculté des Sciences politiques et juridiques de l’Université Cheikh Anta Diop et actuel membre du Conseil constitutionnel, Isaac Yankhoba Ndiaye. Souleymane Ndiaye devint alors rapporteur général de la Commission.

 

 

C’est revêtu de la toge de la science, que M. Ndiaye intervint dans les médias à la suite du vote par l’Assemblée nationale, le 7 janvier 2005, de la loi d’amnistie des crimes politiques perpétrées au Sénégal depuis 1983, pour intimer le président Wade de parler tout en laissant entendre que la loi d’amnistie «rétablit la piste Wade» sur l’assassinat de l’ancien vice-président du Conseil constitutionnel, Maître Babacar Sèye. Interrogé récemment sur les cas d’immolation par le feu, Souleymane Ndiaye se refusa à incriminer les services de sécurité, préférant invoquer les «risques de voir un homme déterminé passer à travers des mailles».

 

 

Et Ndiaye de suggérer la recherche des causes profondes d’actes aussi désespérés qu’inattendus dans notre société. En juin 2011, l’ancien officier de l’armée sénégalaise dit son indignation en apprenant en même temps que la plupart de ses concitoyens l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi instituant l’élection au suffrage universel, dès le premier tour de scrutin, d’un président et d’un vice-président dont la liste ne totalise que 25 % des suffrages valablement exprimés.

 

 

L’idée qu’un candidat et son colistier puissent se faire élire par un (1) Sénégalais sur quatre (4) avait choqué Souleymane Ndiaye, qui n’hésita pas de s’insurger contre l’élimination annoncée de la vie politique de 75 Sénégalais sur 100 par des parlementaires censés les représenter dignement. Le patriote et démocrate sénégalais ne s’arrêta pas pour autant. Dans une tribune, publiée dans les colonnes du quotidien Walfadjri daté du mercredi 7 décembre 2011, le docteur en sciences criminelles dit déceler un «mauvais présage pour le Sénégal» et, dans une approche transdisciplinaire dont il a le secret de la construction intellectuelle et éthique, situe d’avance, dans le faisceau d’indices, la responsabilité (pénale) du chef de l’Etat, Maître Abdoulaye Wade.

 

 

 

''Souveraineté populaire''

 

 

Souleymane Ndiaye part du contentieux constitutionnel, mais se garde de prononcer une sentence, laissant aux juges des élections le soin de le faire le moment venu. Mais concernant l’alinéa 2 de l’article 104 de la loi fondamentale, le publiciste Ndiaye écrit : «(…) le déterminant "Toutes" qui s’adresse à une totalité, n’entendait laisser la Constitution de 2001 souffrir d’aucune exception, si ce ne fut la durée de sept ans du mandat qui était en cours».

 

 

Nous pouvons à notre tour nous abstenir de clarifier ce qui est clairement dit. La suite de la tribune nous édifie, elle, sur la haute idée que Souleymane Ndiaye se fait de la souveraineté populaire. Non sans préciser – réflexe de criminologue – les chefs d’accusation auxquels s’expose un président sortant usant de la violence politique pour se maintenir au pouvoir pendant que tout indique qu’il peut en être écarté sans être humilié.

 

 

Il convient, avant de revenir au spécialiste sénégalais, de faire rejaillir ici le sempiternel débat sur l’érection et l’effectivité d’une cour pénale africaine susceptible de connaître des crimes politiques et économiques commises par d’anciens chefs d’Etat africains ou par des présidents africains en exercice. Il y a quelques mois seulement, la Côte d’Ivoire faisait encore parler d’elle en des termes peu élogieux pour cause de «violation massive des droits l’homme».

 

 

Pendant que le Conseil des droits de l’homme des Nations unies se réunissait le 23 décembre 2010 à Genève, Amnesty International exigea de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) qu’elle demandât, entre autres, que toutes les personnes ou groupes, tenus pour responsables de crimes, répondent de leurs actes. La comparution devant la Cour pénal internationale (CPI) est souvent évoquée pour dissuader des éléments incontrôlés qui seraient tentés de commettre des exactions contre les populations civiles.

 

 

Une alternative africaine existe-t-elle encore, qui permet de contourner une juridiction internationale dont la célérité dans le traitement des dossiers africains se heurte presque toujours à la réprobation de l’opinion en Afrique au sud du Sahara ? Adoptée à Nairobi (Kenya) le 27 janvier 1981, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples n’entre en vigueur que le 21 octobre 1986. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, elle, a vu le jour à la suite de l’entrée en vigueur, le 25 janvier 2004, du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

 

 

 

Lutte contre l'impunité

 

 

Mais c’est à l’occasion du septième sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine, qui prit fin le 2 juillet 2006 à Banjul (Gambie), que les onze (11) juges de la Cour ont été désignés conformément à la procédure prévue aux articles 12, 13 et 14 du Protocole. «Une étape historique dans la lutte contre l’impunité en Afrique» venait ainsi d’être franchie.

 

 

En émettant cet avis, la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) était moins nuancée que l’Association genevoise pour la prévention de la torture (APT) qui ne voyait dans l’adoption du Protocole qu’une étape vers l’effectivité de la Cour, son indépendance et le développement d’une jurisprudence de référence.

 

 

La réserve de l’Association se révéla particulièrement fondée quand, plus tard, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et la Conférence au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, organes mandatés pour la mise en œuvre de mécanismes de protection des droits, n’octroyèrent que des mécanismes de conciliation, de compromis et de règlement politique au lieu d’un système judiciaire revendiqué par les organisations et les mouvements africains de défense des droits de l’homme. Cette situation (regrettable) prévalut du 21 octobre 1986, date d’entrée en vigueur de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, au 25 janvier 2004, date d’entrée en vigueur du Protocole. Pendant 18 ans, les chefs d’Etat africains récusèrent – prétextant la souveraineté des Etats - l’idée d’une juridiction supranationale qui les soumettrait au droit.

 

 

Très tôt, l’Association pour la prévention de la torture (APT) considéra que le Protocole n’est pas assez précis sur les conditions d’examen des plaintes et communications que la Cour aura à connaître. Des interrogations de taille concernèrent en outre l’autorité de la Cour, l’applicabilité de ses décisions, la saisine et le budget.

 

 

Concernant l’autorité de la Cour, il convient de signaler que près de la moitié des Etats africains (au nombre de 53) n’ont toujours pas déposé leurs instruments de ratification du Protocole. La Cour ne peut donc connaître des violations des droits de l’homme à l’intérieur de ces Etats-là. S’y ajoute que la Cour ne dispose pas de mécanismes coercitifs à l’encontre des Etats parties au Protocole qui ne se soumettraient pas aux arrêts de la Cour.

 

 

En vertu de l’article 5 du Protocole, «ont qualité pour saisir la Cour : la Commission, l’Etat partie qui a saisi la Commission, l’Etat partie contre lequel une plainte a été introduite, l’Etat partie dont le ressortissant est victime d’une violation des droits de l’homme, les organisations inter gouvernementales africaines. Lorsqu’un Etat partie estime avoir un intérêt dans une affaire, il peut adresser à la Cour une requête aux fins d’intervention. La Cour peut permettre aux individus ainsi qu’aux organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut d’observateur auprès de la Commission d’introduire des requêtes directement devant elle conformément à l’article 34(6) de ce Protocole».

 

 

Les différents systèmes juridiques africains admettent que «l’action en justice appartient à celui qui a intérêt». En matière de droits de l’homme, il ne fait aucun doute que la personne dont les droits sont violés a intérêt à demander que justice soit faite. Mais l’article précité privilégie des mécanismes (insatisfaisants) de protection diplomatique. S’y ajoute que la Cour demeure tributaire de l’Union africaine en matière de financement. Le caractère aléatoire des contributions des Etats membres constitue alors un écueil au bon fonctionnement de la juridiction.

 

 

''Wade ou comment garder le pouvoir par la violence''

 

 

Personne ne devrait donc s’étonner, après le transfert de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et sa première comparution devant les juges de la CPI, que la reconnaissance par la Côte d’Ivoire de la compétence de la Cour - remontant aux événements du 19 septembre 2002 – soit rappelée aujourd’hui aux fervents défenseurs de la souveraineté des Etats africains. L’un d’eux – le président Abdoulaye Wade lui-même – invoque la souveraineté du Sénégal dans une correspondance adressée au Réseau libéral africain (RLA) dont il est membre en ces termes (lire Le Populaire daté du mercredi 7 décembre 2011) : «En condamnant la candidature que le seul le Conseil constitutionnel, la plus haute juridiction de notre pays, a le droit de valider ou d’invalider, le RLA ne doit pas s’immiscer dans une affaire qui relève de notre souveraineté nationale». Les juristes étrangers venus à Dakar plancher sur la Constitution du Sénégal le 21 novembre dernier, ne s’immisçaient pas, eux, dans une affaire sénégalo-sénégalaise.

 

 

En se rétractant après avoir constaté l’irrecevabilité de la candidature du libéral Abdoulaye Wade à la présidentielle sénégalaise de l’année prochaine, les libéraux africains affiliés au RLA se rendent complices, au même titre que les «exorcistes constitutionnels» réunis autour de Michel de Guillenchmidt, d’un homme décidé de garder le pouvoir par la violence perpétrée contre son peuple. Contre une telle violence illégitime, Souleymane Ndiaye invoque l’Etat moderne qui ne saurait absoudre «un crime politique pouvant être qualifié de haute trahison» et «un crime de droit commun, parce qu’en invoquant la théorie de la provocation en droit pénal, il peut être victorieusement soutenu qu’à cause de la position occupée sur l’échelle sociale, les propos et les discours ont eu un effet déterminant sur l’esprit des populations».

 

 

Retraçant le parcours professionnel des «cinq Sages» du Conseil constitutionnel, bon nombre d’observateurs relevèrent l’absence de publicistes dans une haute juridiction, préposée à la démonstration irréfutable de solutions juridiques concernant les contentieux constitutionnels, qui n’est composée que de privatistes. Ces observateurs oublient qu’«en ce qui concerne la méthodologie, le clivage traditionnel entre le droit public et le droit privé est assez artificiel» (COHENDET, 1998). Ils oublient aussi que «les grandes interrogations théoriques et philosophiques sont proches en droit public et en droit privé». S’y ajoute surtout que «l’évolution du contentieux constitutionnel rapproche les matières du droit public des matières du droit privé».

 

 

L’ancien président de la Commission de révision du Code pénal et du Code de procédure pénale, Isaac Yankhoba Ndiaye, est bien dans le confort là où il est aujourd’hui au Conseil constitutionnel. Souleymane Ndiaye ne s’en offusque pas, lui qui fut le rapporteur général de ladite commission et dont les éclairages sur «l’irruption de la Cour pénal internationale par le biais des articles 17 à 19 du statut de la CPI» en cas de crime de «provocation aux violences collectives» sont également destinés à tous les membres du Conseil constitutionnel. Chacun desdits membres dispose désormais de tous les éléments techniques de droit pour prononcer ce que le peuple (nombreux et anonyme) du 23 juin, attachés à sa souveraineté, attend des juges des élections depuis plusieurs mois déjà.

 

Abdoul Aziz DIOP

Membre du M23

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