Publié le 21 Apr 2021 - 20:45
DECES D’IDRISS DEBY, PRESIDENT DU TCHAD

Une disparition aux conséquences redoutées 

 

La mort surprise du chef de l’Etat tchadien, homme fort de la lutte antiterroriste dans le Sahel, préoccupe ses voisins et alliés. 

 

Alors qu’une libération temporaire de l’ancien président tchadien, Hissène Habré, faisait débat au Sénégal, ces derniers jours, le destin de ce pays a basculé, hier, avec l’annonce surprise de la mort du chef de l’Etat Idriss Déby Itno. C’est le porte-parole de l'armée, le général Azem Bermandoa Agouna, dans un communiqué lu à l'antenne de TV Tchad, qui a confirmé la triste nouvelle : ‘’Le président de la République, Chef de l'État, Chef suprême des armées, Idriss Déby Itno, vient de connaître son dernier souffle en défendant l'intégrité territoriale sur le champ de bataille. C'est avec une profonde amertume que nous annonçons au peuple tchadien le décès, ce mardi 20 avril 2021, du maréchal du Tchad.’’

Idriss Déby a succombé, selon cette voix officielle, à des blessures reçues, alors qu'il commandait son armée dans des combats contre des rebelles dans le Nord. Lundi, des ministres et des officiers de haut rang avaient rapporté que le chef de l’Etat s’était rendu durant le week-end sur le front opposant son armée à une colonne de rebelles qui avait lancé une offensive à partir de bases arrières en Libye, le jour du scrutin, le 11 avril. Samedi, le gouvernement soutenait que l'offensive rebelle, dans les provinces du Tibesti et du Kanem, avait "pris fin". Mais des combats avaient repris dimanche en fin d'après-midi. En même temps, ces rebelles, rassemblés au sein du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (Fact) assuraient, dans un communiqué, que le président tchadien avait été blessé, sans que l’information ne soit confirmée de source officielle. Mais ce mardi matin a permis d’y voir plus clair.

La mort de celui qui avait été élevé au rang de maréchal et qui venait d’être réélu à la tête du Tchad pour un sixième mandat, avec 79,32 % des suffrages exprimés, a laissé une atmosphère de coup d’Etat militaire. C’est un Conseil de transition militaire qui dirige désormais le Tchad, avec à sa tête le fils du président défunt, Mahamat Idriss Déby Itno, Général quatre étoiles à 37 ans et commandant de la garde présidentielle. Le conseil est composé de 15 généraux. Il devrait en principe être en place pour 18 mois. Il a tenu hier une réunion express d’une heure pour examiner, adopter et promulguer la Charte de transition devant régir désormais le Tchad, car la Constitution a été suspendue et un couvre-feu instauré entre 18 h et 5 h. Le gouvernement et l'Assemblée nationale ont été dissous.

Un Conseil militaire de transition installé

Ce Conseil militaire de transition n’arrêtera pas les rebelles qui mènent, depuis neuf jours, une offensive contre le régime tchadien. ‘’Nous rejetons catégoriquement la transition (...) Nous comptons poursuivre l'offensive", a assuré Kingabé Ogouzeimi de Tapol, le porte-parole du Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (Fact). L'armée tchadienne et le gouvernement avaient pourtant assuré avoir détruit la colonne de rebelles et tué 300 combattants.

Militaire de carrière et combattant rebelle, avant de s’emparer du pouvoir par un coup d’Etat en 1990, Idriss Déby, 68 ans, était un homme fort à bien des égards. Homme de main de Habré, il a occupé les postes de commandant en chef des Forces armées du nord (Fan), chef des armées adjoint, conseiller pour la défense et la sécurité sous le règne du dictateur emprisonné au Sénégal. Avec l’appui de la France, il le chassa du pouvoir pour régner en maître, pendant 30 ans, dans ce pays d’Afrique centrale. Il avait ensuite placé sa famille ou des proches à des postes-clés de l’armée, de l’appareil d’Etat ou économique et ne laissait jamais les autres longtemps en place.

Des conséquences similaires à celles de la mort du colonel Kadhafi ?

Mais cette disparition apporte beaucoup d’incertitudes, sur le plan sécuritaire, thème sur lequel Idriss Déby avait fait campagne, lors de la dernière Présidentielle. Le Tchad, enclavé entre la Libye, le Soudan et la Centrafrique, entre autres, est un contributeur de poids à la guerre contre les djihadistes au Sahel, en projetant des troupes aguerries jusqu’au Mali et parfois au Nigeria. Son armée, reconnue comme une des meilleures de la région, est ‘’un allié essentiel dans la lutte contre le terrorisme au Sahel’’ que la France a regretté après l’annonce du décès. La ministre française des Armées, Florence Parly, a ajouté que ‘’la lutte contre le terrorisme au Sahel ne s'arrête pas et je ne doute pas que nous pourrons poursuivre ce qui a été engagé courageusement, depuis déjà plusieurs années’’, lors d'une conférence de presse. L’Elysée a déclaré avoir perdu un ‘’ami courageux’’.

Des cinq pays de la Force conjointe G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger) impliqués dans la lutte contre les djihadistes aux côtés de Paris, le Tchad figurait parmi les plus solides militairement. L’opération Barkhane avait d’ailleurs installé son commandement dans la capitale tchadienne. D’ailleurs, en février 2008, une attaque rebelle avait déjà atteint les portes du palais présidentiel avant d'être repoussée, grâce au soutien français. Il en a été de même, lorsqu’en février 2019, venue de Libye pour tenter de renverser le président Idriss Déby Itno, une autre attaque avait été stoppée par des bombardements français, sur demande de N'Djamena.

La mort du guerrier Déby peut recréer les conditions d’un chaos, à l’image de celui que vit la Libye avec la disparition du colonel Mouammar Kadhafi. Les légions islamistes de l’ex-homme fort libyen se sont dispersées dans le Sahel. Et les Etats peinent à défendre, tout seuls, leurs territoires face aux attaques terroristes, de plus en plus fréquentes au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Les positions des nouvelles autorités tchadiennes sur ces questions seront particulièrement scrutées.   

Hier, les chefs d’Etat de ces trois pays ont rendu hommage au président Déby. Dans un communiqué du président Mohamed Bazoum et de son gouvernement, le Niger, qui loge un contingent de 1 200 soldats tchadiens, dans la cadre de la force multinationale anti-jihadiste du G5 Sahel, a salué l’engagement personnel du maréchal Idriss Déby ‘’dans la lutte contre le terrorisme et pour la stabilisation de l'espace sahélo-saharien’’.

Pour le président de la transition du Mali Bah Ndaw, ‘’la disparition du président Déby est une lourde perte, non seulement pour son pays (...), mais aussi pour la région sahélienne et l'Afrique’’. Quant au chef de l’Exécutif burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré, il a rendu hommage à ‘’la mémoire d'un grand panafricaniste, d'un frère, engagé avec conviction et détermination dans la lutte contre le terrorisme dans le bassin du lac Tchad et au Sahel’’.

L’armée tchadienne s’est engagée contre les combattants de Boko Haram au Niger, au Nigeria et au Cameroun. Autant de fronts sur lesquels Mahatma Idriss Déby aura du mal à se concentrer, d’autant plus que, selon quelques spécialistes, il est loin de bénéficier de l’aura et de la légitimité de son père.

3 QUESTIONS A THIERNO SOULEYMANE DIOP NIANG, SPECIALISTE EN RELATIONS INTERNATIONALES

‘’Si jamais le Tchad est déstabilisé, les soucis n’excluent pas le Sénégal’’

 

Comment analysez-vous la disparition subite du président Idriss Déby Itno et les conséquences sécuritaires que cela peut engendrer ?

C’est d’abord une mort tragique, surprenante, pour quelqu’un qui a été officiellement réélu président de la République quelques heures avant cette annonce. Idriss Déby est un militaire dans l’âme. Lui-même disait qu’il allait très certainement mourir au front. Et c’est ce qui est malheureusement arrivé. Les circonstances de son décès doivent être éclaircies. Plusieurs thèses circulent et nous ne savons pas ce qui s’est réellement passé. Il a tenu le Tchad de main de maître durant 30 ans. Il dirigeait l’armée la plus forte de toute la bande sahélienne. Elle assurait pratiquement toute la sécurité dans cette zone. Elle joue un rôle essentiel dans la force conjointe G5 Sahel mise en place pour lutter contre le terrorisme au Sahel.

Donc, il y a lieu d’être inquiet sur l’avenir de cette force, car son avenir peut être concomitant à la situation au Tchad. Un comité de transition a été mis en place dirigé par son fils et la légalité a été suspendue. C’est une autre zone d’ombre. Pourquoi agir de la sorte ?

Maintenant, cela devrait pousser les autres Etats impliqués dans la lutte contre le terrorisme dans cette zone à anticiper sur l’avenir. Si jamais le Tchad est déstabilisé, il aura des soucis à se faire. Et cela n’exclut même pas le Sénégal. Présent au dernier Sommet du G5 Sahel, le chef de l’Etat Macky Sall avait montré des velléités de collaborer avec cette institution et il faut que ce processus aille jusqu’au bout. Même au-delà, il y a aujourd’hui une nécessité réelle de mettre en place une armée CEDEAO.

Peut-on craindre les mêmes conséquences, avec la mort du maréchal Idriss Déby qu’avec celle du colonel Kadhafi ?

Tout est possible. Le cas d’école libyen montre qu’on peut vivre des lendemains dangereux. Le colonel Kadhafi était un leader charismatique qui avait sous son aile beaucoup de combattants. Lorsqu’il a été tué, ces derniers sont pour la plupart descendus vers le Sahel. Ces mercenaires continuent de semer le trouble dans la région, irriguant en grande partie le conflit au Mali. L’on espère que l’armée tchadienne restera forte pour maintenir la même dynamique initiée par son chef emblématique. Bien entendu, il ne faut pas oublier d’autres forces qui combattent dans la zone, comme Berkane, la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali). Mais la sécurité du continent incombe aux Africains.

Mahatma Idriss Déby Itno, placé à la tête du Conseil de transition, aurait-il les épaules pour supporter l’héritage de son père ?

Il a été parachuté très rapidement à la tête de ce comité composé de généraux, sans que les circonstances de la mort de son père ne soient éclaircies. Avant cela, il assurait la garde présidentielle. Pour cela, il était dans le secret des dieux. Il a pu observer son père mener la barque tchadienne. Mais est-ce une bonne préparation pour assurer la relève ? Je trouve malheureux que ces cas de ‘’démocratie héréditaire’’ perdurent en Afrique. J’ose espérer qu’il sera soutenu pour un retour rapide des institutions légales, car le Tchad ne doit pas basculer dans l’instabilité. Si jamais cela arrive, c’est toute la zone qui sera déstabilisée. Et cela peut remonter jusqu’au Sénégal.

  

Lamine Diouf

 

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