Publié le 26 Jan 2021 - 02:42
DOCTEUR BABACAR GUEYE, DIRECTEUR DE LA LUTTE CONTRE LA MALADIE

‘’Le défi, c’est de mettre sur tous les lits des CTE de l’oxygène’’

 

Le Sénégal est en train de subir les conséquences de la deuxième vague de la pandémie. Dans cet entretien, le directeur de la Lutte contre la maladie, Docteur Babacar Guèye, explique les différents domaines de la prise en charge, avant de dévoiler les défis à relever. 

 

Certains parlent de deuxième vague, d’autres de prolongement de la première vague. Que doit-on retenir ?

Le Sénégal, aujourd’hui, sans aucune forme d’ambiguïté, est dans une seconde vague. L’argumentaire, c’est les données de morbidité. Si on prend le nombre de cas positifs, le nombre de cas graves et le nombre de décès, depuis le 2 mars 2020, on a observé des cas avec une évolution constante jusqu’à atteindre le pic. A partir du mois d’août, il y a eu une baisse constante du nombre de cas positifs, des décès et des cas graves. Il y a même eu un moment où la courbe était presque confondue à la ligne des abscisses. C’est-à-dire qu’il y avait pratiquement moins de 10 et 5 cas. Il n’y avait pratiquement plus de cas graves, ni de décès. Cette baisse a duré trois mois. A partir de S45, il y eut une augmentation très rapide des cas.

Aujourd’hui, jusque-là, l’augmentation est vraiment verticale. Quoi qu’il en soit, le fait de dire première ou seconde, c’est juste des terminologies. Parce que la personne qui a sa famille en lit de réanimation, en train d’être ventilée, intubée, tous ces termes ne l’intéressent pas. Ce qui l’intéresse, c’est la gestion de cette pandémie. Il y eut un moment où, dans les centres de traitement des épidémies, il n’y avait plus de malades. Le taux d’occupation était inférieur à 10 %, ce qui fait qu’on a mis en stand-by certains CTE pour pouvoir rassembler l’ensemble des malades dans un centre, afin de répondre aux soucis d’efficience.  Je peux vous donner l’exemple de la région de Dakar. Il y a plusieurs CTE, mais pendant les trois mois, il y avait pratiquement zéro malade dans ces centres. Quand vous prenez six centres, c’est juste dans un ou deux centres qu’il y avait deux ou trois malades. Les autres n’étaient pas occupés. Mais actuellement, les choses vont de façon exponentielle.

Avec 16 % du taux de contamination, on a l’impression que la situation est en train de vous échapper ?

Non, du tout. Avec cette épidémie, il faut comprendre que plus il y a des cas positifs de Covid, beaucoup plus il y aura de cas graves et de décès. C’est pour cette raison qu’on a toujours été contre la stratégie de l’immunité collective. Si on avait opté pour l’immunité collective, on se serait retrouvé aujourd’hui avec plus de cas sévères et de décès. Nous ne sommes pas dépassés, parce que nous avons mis en place un mécanisme qui devrait permettre de prendre en charge les cas. Le gros défi de l’épidémie, c’est la prise en charge. Le système de santé s’est adapté pour mettre en place des stratégies qui sont très efficaces pour la prise en charge de ces cas. Je disais dans une émission que pour cette vague, nous devons être plus à l’aise pour la gérer. Une revue interaction a été faite. On a analysé la riposte. Nous avons ressorti les points forts et les insuffisances à réadapter. La pandémie a été aussi une opportunité pour renforcer le système de santé. La question d’équipement ne se pose plus, aujourd’hui. Beaucoup d’acquisitions en termes de matériel ont été faites. Nous avons plus de 115 respirateurs ; des générateurs mobiles pour la dialyse ont été acquis, des scanners, entre autres. D’ailleurs, il y a un documentaire qui est en train d’être préparé pour faire ressortir les réalisations.

Maintenant, ces équipements acquis, lors de la première vague, ne peuvent pas disparaitre dans la nature. Ils sont dans les structures de santé. Nous sommes en train de les utiliser pour pouvoir faire face.

Est-ce que le pays dispose d’assez de moyens pour faire face à cette deuxième vague ?

Dans cette prise en charge, il y a trois éléments essentiels. Le premier, c’est la prise en charge à domicile. L’une des clefs de succès de la gestion de la pandémie au Sénégal, c’est l’adaptation du système de santé. Au début de la pandémie, on ne pensait pas pouvoir en arriver à la prise en charge des cas à domicile.

Aujourd’hui, il y a la prise en charge des cas qui se fait au niveau des communautés à travers les districts sanitaires. Dès qu’un patient est testé positif, on fait l’évaluation initiale. C’est-à-dire voir est-ce que ce malade testé positif a des facteurs de vulnérabilité. Notamment l’âge, les comorbidités, diabétique, asthmatique. S’il se trouve qu’il n’a pas de facteurs de vulnérabilité, on passe à l’évaluation de l’environnement. Pour voir si ce patient pourra rester dans son environnement, se faire prendre en charge, sans pour autant contaminer son alentour. Si ces deux éléments sont concluants, on fait la prise en charge à domicile.

Maintenant, il y a, avec le district, des mécanismes qui sont mis en place pour procéder au suivi. Régulièrement, il faut le suivi du patient. S’il y a un signe d’alerte, on prend les dispositions pour le transférer dans les CTE. Les cas sévères sont dans les CTE. Le défi, par contre, c’est de mettre sur tous les lits qui se trouvent dans les CTE de l’oxygène. Quand on a quelqu’un qui décompense, qui commence à dessaturer, rapidement le mettre sous oxygène. Au lieu que les CTE puissent accueillir des patients qui n’ont pas de signes, on préfère des patients qui ont besoin d’oxygène. On a reçu l’instruction du ministre de mettre dans tous les centres de traitement au niveau de chaque lit de l’oxygène et d’assurer l’approvisionnement correct en oxygène. Le troisième niveau, c’est la prise en charge des cas graves.

Nous ne sommes pas dépassés ; en plus, nous avons des possibilités d’extension. Nous avons une marge de manœuvre. Nous faisons tout pour que la prise en charge à domicile se fasse de façon optimale.  Cette prise en charge doit bien se faire. Nous devons communiquer avec nos populations pour faire la détection précoce. Dès qu’on a le premier signe, alerter et appeler.

Avez-vous une cartographie de la séroprévalence pour au moins limiter les dégâts ?

Le ministère a fait une enquête de séroprévalence. Les résultats sont en cours de validation. Très prochainement, ils seront publiés.

On parle d’état d’urgence et de couvre-feu. Ces mesures, même si elles peuvent aider à amoindrir la propagation du virus, ne se révèlent-elles pas très éprouvantes pour la population ?

Vous parlez d’économie, de mesures contraignantes pour la population. S’il s’agit des enseignants, ils vont à l’école pour dispenser des cours ; les agriculteurs dans leurs champs ; les avocats au niveau des tribunaux ; les banquiers dans les banques. Mais chaque personne, avant de pouvoir vaquer à ses occupations, doit avoir la santé. Si on n’a pas cette santé, on ne peut rien faire.  La santé est un intrant pour le développement. Une personne alitée ne peut pas être productive. Il est important de mettre au-devant les aspects liés à la santé.

Maintenant, on est d’accord que, dans le cadre de cette épidémie qui dure dans le temps, il faudrait trouver l’équilibre entre des indicateurs de santé et des indicateurs dans le domaine de l’économie. Pendant la première vague, il y a eu un moment où les mesures étaient assouplies. On comprend les raisons, parce qu’il faut les deux leviers santé et économie pour trouver un équilibre.

Est-ce que le couvre-feu a un impact sur la réduction des cas ?

Oui ! Si le rassemblement dure 24 heures, c’est-à-dire pendant toute la journée, il n’y a pas de couvre-feu. Quand on diminue ces 24 heures à 16 heures, ce nombre va forcément diminuer. Dès qu’on intervient, même si c’est une heure de temps, dans les possibilités que les populations se rassemblent, on réduit les risques de propagation du virus. Naturellement, le couvre-feu a un impact certain sur la diminution des cas.

Au début de l’épidémie, il y a eu le temps de préparation et le temps de contingence. Dans le plan de contingence, on s’attendait, au Sénégal, à des centaines de milliers de cas, avec des milliers de décès et les prévisions l’avaient indiqué. Mais on n’est pas arrivé à cela. L’un des facteurs qui a fait qu’on n’est pas arrivé à ça, c’est la précocité, les mesures que le chef de l’Etat a pu prendre. Cela ralentit la progression de l’épidémie. Cela a été très important pour le système de santé. Si vous voyez, lors de la première vague, on est resté, de mars à juillet, avant d’atteindre le pic. Les mesures ont permis de ralentir la progression. Si ces mesures n’avaient pas été prises, on pouvait atteindre le pic au mois de mai et le système de santé allait être dépassé. Donc, cette précocité a ralenti le nombre de cas, a permis de se réajuster et le personnel de santé n’était pas essoufflé.

On semblait avoir maitrisé la situation, avec des bilans quotidiens en deçà de 5 cas. Est-ce que le relâchement ayant causé cette vague dont on parle n’est pas du côté des autorités ?

Il n’y a pas de relâchement du tout. Nous sommes dans un système de santé, il y a un élément important sur lequel nous devons mettre l’accent, c’est la résilience. La résilience d’un système de santé, en même temps, dans ce contexte, c’est de répondre correctement à la riposte contre la Covid-19 et d’assurer la continuité du service des autres pathologies. Avant le début de l’épidémie, il y a des centres qui, initialement, étaient destinés à autre chose. Par exemple, des services destinés au pôle mère-enfant, à la dialyse. Vous conviendrez que, quand il n’y a plus de malade dans un centre de dialyse utilisé comme CTE, on ne peut pas laisser le centre sans utilisation ; croiser les doigts et attendre que des cas de Covid arrivent. Non. Le système de santé va faire fonctionner ces centres ; c’est ce qu’on a fait.

Le deuxième élément de la résilience est que, dans le système de santé, il y a un indicateur important qui doit être suivi : c’est l’efficience. Cela veut dire atteindre ton objectif, mais à moindre coût. C’est-à-dire, si je dois atteindre l’objectif X, la personne qui dépense 1 000 F pour atteindre X est plus efficiente que la personne qui dépense 5 000 F pour atteindre X. Donc, faire fonctionner en même temps 5 centres, dans une ville, alors que dans chacun de ces centres, il y a un ou deux malades. C’est plus efficient de réunir l’ensemble des malades dans un seul centre.

Dès qu’il y a eu cette seconde vague et que les autorités ont demandé qu’on réactive les CTE, cela a été fait de façon automatique et très rapide. Si vous comparez le temps mis, pendant la première vague, pour installer les CTE, c’est très différent du délai qu’on a mis pour réactiver les CTE. Depuis le 2 mars, il n’y a pas un seul jour où le ministère n’a pas fait un communiqué de la situation. Ensuite, on a poursuivi la coordination du Comité national de gestion des épidémies. Les réunions opérationnelles ont été poursuivies au Cous. Avant que cette vague ne survienne, on a fait une évaluation. Ce qu’on appelle la revue interaction. On est dans la réponse, mais on fait une revue pour voir les insuffisances à améliorer, les points faibles à consolider. C’est cela qui nous a permis de savoir qu’il y aura une deuxième vague, parce qu’au niveau global, il y en avait.

Quels sont les résultats de cette évaluation ?

C’est juste dire que par rapport à chaque domaine, on a évalué les interventions mises en œuvre, les réalisations et dans une perspective d’amélioration, ce qui doit être fait. Si je prends le domaine de la prise en charge, au début de l’épidémie, on était à deux ou trois CTE, avec un centre de référence de 12 lits. Mais, chemin faisant, on a pu adapter la stratégie ; nous sommes passés à 52 CTE. Pour ce qui est des laboratoires, les tests étaient réalisés par l’Institut Pasteur de Dakar. Mais avant la fin de la deuxième vague, dans l’ensemble des régions, nous avons pu mettre en place des structures décentralisées pour faire les tests.

L’autre aspect, c’est l’approvisionnement en médicaments. On utilise beaucoup de médicaments dans la gestion de cette pandémie. Avec la tension qu’il y a au niveau global sur les marchés des médicaments, la fermeture des frontières et certaines restrictions dans certains pays, le Sénégal, à travers sa centrale d’achat, la PNA, a pu prendre des dispositions pour assurer une disponibilité des médicaments.

L’autre élément, c’est la continuité des services. Au début de l’épidémie, avec le couvre-feu, la restriction dans les déplacements et l’angoisse de certains patients, on avait observé une diminution du taux de fréquentation des services. Avec la communication que nous avons faite pour rassurer les populations, les choses sont revenues à la normale.

PAR VIVIANE DIATTA

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