Publié le 8 Mar 2021 - 20:18
ÉDITO PAR MAMOUDOU WANE

Le jeu de la mort

 

‘’Un homme qui veut être parfaitement honnête au milieu de gens malhonnêtes ne peut manquer de périr tôt ou tard.’’ Machiavel (Le Prince)

 

Depuis trois à quatre mois, l’atmosphère médiatico-politique a changé au Sénégal. Coïncidence ? Cela s’est fait en même temps que l’arrivée sur scène du virus dénommé Covid-19. Qui n’a pas senti cet éclair vif dans le regard de ‘’Prince’’, lorsque le virus s’est invité fin février à Dakar ? Comme un flash. Le Président s’est-il dit que les conditions étaient favorables pour réorganiser les rapports de force en fonction de ce qu’il veut ? En tout cas, il a décidé d’engager certains de ses proches sur la pente raide. Que cherche-t-il réellement ? Sait-il réellement où il va ? A-t-il toutes les cartes en main ?

Le pouvoir a ceci de bien commun avec la vie qu’il n’émet pas tous les signes avant-coureurs, lorsqu’il vous déserte. De la même façon qu’un corps, même bien portant, peut à tout moment prendre congé de la vie sans crier gare, un pouvoir peut montrer tous les signes de bonne santé, alors qu’il engage véritablement sa phase raide, déclinante. Est-ce le cas du régime Sall, quinze mois seulement après sa réélection pour un second mandat ? Certains signes peuvent le laisser croire.   

Il faut sans doute retourner à la campagne électorale de 2012, pour comprendre à quel point ce que nous appelons ‘’nguur’’ en wolof, ‘’laamu’’ en pulaar (pouvoir) peut être déroutant, dans ses multiples cycles de vie. On ne sait ni comment il arrive ni quand il déserte la place. Le chant du cygne, lorsqu’il s’invite à nos oreilles, ne s’entend généralement pas. Replongeons dans la fameuse journée du 7 février 2012, pour comprendre à quel point ses voies savent être insondables. Les convois du ‘’florantin’’ d’alors, Abdoulaye Wade, Président sortant, et de Macky Sall (outsider incertain) se croisent, en une douce après-midi du 7 février 2012, sur l’avenue Bourguiba. La ‘’suite’’ du candidat Sopi dégage une puissance et un éclat sans commune mesure, comparé au convoi de Macky Sall. Lamine Faye a ses biceps bien au point. Les rutilantes 8X8 en imposent. L’image est frappante. Le commentaire de Me Wade, rapporté par ‘’le Populaire’’, au soir de débriefing, après sa tournée, est tout aussi évocateur : ‘’J’étais très content de voir qu’il (Macky Sall) était là et qu’il n’y avait personne avec lui (…) Il était avec un petit camion avec quelque dix personnes qui étaient avec lui. La foule était avec moi…’’  

Et pourtant quelques jours plus tard, le puissant ‘’Prophète du Sopi’’ se faisait expédier, par celui qu’il raillait, au second tour de l’élection présidentielle. Un coup, presque Ko. Niasse, Tanor (Dieu ait pitié de son âme) et Idy perdaient toutes leurs illusions au profit de l’actuel Président.  

Depuis, le Président Macky Sall déroule avec des forces sociales et politiques issues de sa propre lutte, mais aussi mobilisées grâce au travail de Benno et du coup des Assises nationales qui avaient diverti et affaibli Wade.

Au fond, pourrait-on dire à la lumière des faits, que le résultat n’est pas mauvais pour lui, puisque 8 ans après son accession au pouvoir, le voilà qui continue encore à trôner du haut de l’avenue Léopold Sédar Senghor. Cela veut dire que la base politique et sociale qui l’a porté au pouvoir est solide. Mais le temps passe. Et les feuilles se fanent.

La situation actuelle peut-elle réellement résister à l’épreuve des multiples périls qui se donnent à voir ? L’énigme est grosse, puisqu’elle interroge les ressources réelles comme imaginaires de l’actuel pouvoir aux manettes. A-t-on réellement conscience de la montée de la colère, surtout chez les plus jeunes, impactés bien avant la Covid ? Sait-on réellement de quoi peut accoucher la conjonction du virus, de la crise économique (qui n’a même plus besoin d’être mesurée tant elle est à fleur de peau).

Le Président Sall sait-il réellement ce qu’il fait ? La question se pose d’autant plus qu’il a enclenché, depuis que sa Majesté Covid-19 s’est invitée quelque temps, une réelle offensive politique pour neutraliser ou renforcer des camps, selon qu’ils lui soient favorables ou pas. Saisit-il l’impact de la crise de l’eau dans l’opinion et les inquiétudes du monde rural avec l’arrivée de l’hivernage ? Le tout avec le machiavélisme, certains diront la finesse politique que même ses adversaires lui reconnaissent désormais. Le virus a visiblement joué le rôle d’accélérateur des plans de sa Majesté.

Posons la question sans ambages : cherche-t-il à rempiler en 2024 ? Est-il plutôt en train de travailler pour un dauphin caché en lui balisant le chemin, comme le supposent certains observateurs ? Ce qui est clair, c’est qu’on cherche à affaiblir des acteurs majeurs dont on pense qu’ils pourraient mettre du sable dans le couscous.

En le faisant, il se prive en même temps de forces politiques et sociales sans commune mesure. Et clin d’œil sur la forme qui ne peut manquer de choquer, les moyens utilisés sont bien aux antipodes des règles élémentaires de l’éthique politique. L’essentiel est de noircir au maximum les personnes ciblées. Que Mouhamadou Makhtar Cissé puisse, par exemple, être traîné dans cette mare glauque alors que tous ceux qui savent, comprennent que les vrais scandales de la République sont à fleur goudron, découle inéluctablement de cette stratégie. Les esprits avertis auront remarqué que six mois avant la fronde contre le ministre du Pétrole, Macky Sall chantait ses capacités d’apprentissage ‘’fast-track’’. ‘’Je tiens à féliciter Makhtar Cissé pour l’excellent travail en si peu de temps, depuis qu’il a été nommé à la tête de ce département ministériel. Je sais qu’il apprend vite, trop vite même’’. C’est no comment.

A la différence de son devancier Me Wade qui nomme ses cibles avant de les attaquer, comme ce fut le cas avec Idrissa Seck qualifié de ‘’serpent venimeux’’, la Sall formula consiste à encenser ses futures victimes pour les endormir d’un profond sommeil pour mieux les surprendre. L’exécution n’en devient que plus facile.

En vérité, Mouhamadou Makhtar Cissé n’est pas le seul dans la ligne de mire. Il faut être naïf pour le croire. D’autres scandales, dans le foncier et peut-être ailleurs dans les semaines à venir, agrémentent la place pour mettre certaines têtes dans le collimateur. Comme Akilee ! Amadou Bâ devra lui aussi surveiller ses arrières. La présidente du Conseil économique, social et environnemental Aminata Touré et le ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye aussi. Bref, tout ce qui semble briller aura droit à sa part de ténèbres. Cette cacophonie a un fond qui est cohérent. Elle procède d’une volonté de détourner le regard des vraies oasis où l’on se prélasse sous les cocotiers en comptant les liasses, pour l’orienter dans la direction qu’on veut et pour l’objectif qu’on vise : détruire. Il faut non seulement empêcher les petits ambitieux de dormir pour dérouler son plan de façon implacable, mais aussi divertir le peuple à longueur de scandales.     

Ceux qui agissent ainsi, dans l’ombre, connaissent sans doute très bien la politique. Suffisamment, croyons-nous, pour que la prudence soit de mise. Car la Covid-19 qui semblait, malgré les apparences et la rhétorique politicienne, être un allié au départ, ne l’est plus tant que cela. Le virus semble aujourd’hui ‘’muter’’ en fonction de son programme propre et non selon les desiderata de ceux qui veulent s’en servir pour casser de ‘’jeunes loups’’. Déconfinement forcé et le volcan bout à nouveau.  

Attention donc au retour de flamme !

Post Scriptum
Ce texte a été publié dans l’édition du journal EnQuête datée du 19 juin 2020 ; On aurait préféré se tromper plutôt que d’avoir eu raison sur le fil des évènements. La situation est grave. Mais, quelle que soit notre pos- ture en ces heures sombres de notre si jeune nation, il ne faudrait pas affai- blir nos institutions. En le faisant, nous jouons contre nous-mêmes.
 
La République, c’est cette place qu’ont occupé Senghor, Diouf, Wade, Macky comme Présidents de la République ; Lamine Guèye, Amadou Cissé Dia, Habib Thiam, Daouda Sow, Abdoul Aziz Ndaw, Cheikh Abdoul Khadre Cissokho, Youssou Diagne etc. Les hommes passent et les institutions restent. Personne n’a le droit de brûler la place. Il faut certes améliorer le sys- tème, mais ne point laisser l’anarchie s’installer. Personne n’y a intérêt. Attention à ne pas trop tirer sur la corde !

 

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