Publié le 22 Jul 2020 - 07:24
ECHEC RENCONTRE AVEC LE MINISTRE

Les greffiers dénoncent un dilatoire

 

Réunis pendant plusieurs tours d’horloge hier, le ministère de la Justice et le Sytjust n’ont pu trouver aucun accord pour sortir de la crise.

 

Les nuages continuent de s’amonceler au-dessus de l’institution judiciaire. La rencontre, tant attendue hier entre la tutelle et les travailleurs de la justice, n’a produit aucun résultat probant. Sur tous les points, c’est le statu quo. Aucun engagement concret n’a été pris par les parties pour décanter la situation et soulager les justiciables. Les greffiers vont devoir attendre, au moins jusqu’à mercredi, pour être édifiés sur certains points de leurs revendications.

Leur annonçant une rencontre avec le président de la République à cette date, le ministre a promis de leur revenir. Ainsi leur a-t-il demandé de lever leur mot d’ordre de grève. Hors de question, selon les travailleurs de la Justice qui brandissent l’absence d’avancée.

Parmi les revendications invoquées au cours de cette réunion, il y a eu la question des primes, les fonds communs et la formation des greffiers. D’emblée, le ministère de la Justice a tenu à souligner que la publication des textes relatifs aux fonds communs n’est pas de son ressort ; c’est de la compétence du Secrétariat général du gouvernement. Les travailleurs ont alors sollicité qu’il en touche mot au chef de l’Etat pour faire bouger les lignes, mais n’ont pas eu de réponse satisfaisante.

L’autre point de discorde a concerné le démarrage des formations en vue du reclassement de certains greffiers. Là également, c’est le blocage total. Suffisant pour pousser les travailleurs de la justice vers la radicalisation. Désormais, les camarades d’Aya Boun Malick Diop promettent de contourner le ministre de la Justice. ‘’Puisque la rencontre avec notre tutelle n’a donné rien de probant, il faut essayer de porter l’affaire devant le chef de l’Etat. D’ores et déjà, nos communications doivent être adressées au président de la République. Ce ministre a montré qu’il ne veut pas du tout régler nos revendications ; il ne veut pas appliquer les textes’’, pestent les syndicalistes.

Face aux travailleurs de la justice, les services du ministère de tutelle ont relevé ‘’des difficultés et contradictions dans lesdits textes’’, pour justifier leur non application. Des arguments loin de convaincre les travailleurs de la justice qui estiment que cela ne saurait être une raison valable de ne pas appliquer un texte. ‘’Il y a des voies de recours appropriées. Mais on ne peut pas les bloquer de la sorte’’, soutiennent-ils, accusant le ministre de faire du dilatoire.

GREVE SYTJUST

Ces dispositions qui bloquent les négociations

‘’EnQuête’’ a essayé d’en savoir un peu plus sur ces ‘’contradictions et difficultés’’ qui s’opposent à l’application de certains textes, conformément à la demande du Sytjust. Selon nos informations, l’un des principaux points de blocage concerne le décret 2019-413 portant création du Centre de formation judiciaire. ‘’L’accès des greffiers à une nouvelle hiérarchie, au bout d’une ancienneté de 10 ans au moins, constitue une disparité dans le fonctionnement et les règles d’organisation du Centre de formation judiciaire’’, indiquent nos interlocuteurs.

Le hic, c’est que ce passage de la hiérarchie B à la hiérarchie A est rendu possible au moyen des dispositions transitoires du décret 2019-413, entré en vigueur le 30 janvier 2019, en pleine campagne électorale. L’article 50 dudit décret permet aux greffiers de la hiérarchie B2, ayant accompli au moins 10 ans d’ancienneté, d’intégrer le corps des administrateurs de greffe (hiérarchie A1), après une formation de 12 mois au CFJ (Centre de formation judiciaire).

Quant à l’article 51, il prévoit que les greffiers ayant accompli moins de 10 années de service B2, peuvent demander leur admission au CFJ pour une formation de 12 mois conduisant à l’obtention du diplôme de greffier classé à la catégorie A2. Pendant ce temps, l’article 49 dudit décret permet aux greffiers en chef (B1) d’intégrer le corps des ADG (A1), après une formation de 12 mois au CFJ.

‘’Ces dispositions, soutiennent nos interlocuteurs, remettent en cause les principes qui, jusque-là, servaient à caractériser la Fonction publique, en ce qu’elle fonde la promotion à la hiérarchie supérieure uniquement sur la base de l’ancienneté. Elle ignore de manière absolue le critère du diplôme ou du concours professionnel’’.

En outre, relèvent nos sources, le ministère invoque une violation de la règle de l’égal accès des citoyens à la Fonction publique. A les en croire, seuls les greffiers peuvent devenir administrateurs de greffe, si la réforme est appliquée. ‘’Le concours professionnel est, en effet, l’unique voie d’accès au corps des ADG et il n’est ouvert qu’aux greffiers en chef et aux greffiers. Au même moment, les concours professionnels de l’Ecole nationale d’administration (Ena) pour l’accession à la hiérarchie A sont ouverts aux greffiers ; ce qui constitue une violation de la règle de l’égal accès des citoyens à la Fonction publique’’.

Par ailleurs, pour permettre l’élévation du corps des greffiers de la hiérarchie B à la hiérarchie A, le décret prévoit que, désormais, pour participer au concours, il faudra au minimum la Licence. ‘’Cette mesure, estiment nos interlocuteurs, consacre une option qui va éliminer des milliers de potentiels candidats. A ce titre, si l’on considère que la catégorisation en hiérarchies est fondée sur la nature du travail confié aux fonctionnaires concernés, il est difficile de justifier ce changement de hiérarchie’’.

Mor Amar

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CONSEQUENCE GREVE DU SYTJUST

 Les déboires du justiciable

Obtenir un casier judiciaire, un registre de commerce ou tout autre document administratif au palais de Justice relève actuellement d’un vrai parcours du combattant, à cause de la grève des travailleurs de la justice. Cette crise fait aussi que des gens croupissent en prison, à cause des renvois de procès.

Mouhamed Diop sort du palais de Justice de Dakar, tenant une copie de sa pièce d’identité, le visage tout crispé. La mine renfrognée, la déception se lit sur son visage. La grève des travailleurs de la justice est en train de réduire à néant tout son espoir.  Etudiant en Master 1 à la faculté des Sciences économiques et de Gestion (Faseg) de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), Mouhamed est à la recherche d’un emploi, depuis que l’Ucad a fermé ses portes, à cause de la pandémie, pour joindre les deux bouts. Après près de trois mois de recherche, la chance semble enfin lui sourire. Il vient d’obtenir une promesse d’emploi dans une société de la place.

Cependant, il lui faut un casier judiciaire pour s’insérer et la grève ne facilite pas la chose. Depuis plus de deux semaines, le jeune étudiant fait le marathon au palais de Justice de Dakar pour se procurer du précieux document.  Mais à chaque rendez-vous, il rentre bredouille à cause du mouvement du Syndicat des travailleurs de la justice (Sytjust). ‘’C’est la troisième fois que je viens au palais de Justice de Dakar, mais c’est toujours vain.  La dernière fois, on m’a dit que les travailleurs étaient en grève et on m’avait demandé de revenir le jeudi. J’ai choisi de revenir ce vendredi pour effectuer le dépôt, mais c’est toujours pareil.  Ils m’ont dit cette fois-ci que l’heure a changé. Les dépôts se font maintenant de 8 h à 9 h’’, explique-t-il, le regard hagard, l’air tout déçu.

L’étudiant reprend son vélo pour rebrousser chemin, le front perlé de sueur, sous une chaleur de plomb.  ‘’J’ai quitté Usine Benn Tally, à vélo, pour venir ici. J’ai besoin de ce casier judiciaire urgent pour mon insertion professionnelle. On est dans un pays où tout le monde cherche emploi et où l’offre est très réduite par rapport à la demande. C’est écœurant de rater une telle opportunité. Il est urgent de régler cette situation, parce que les citoyens en souffrent vraiment. J’ai l’impression que les autorités ignorent les enjeux. Les gens ratent des opportunités d’emploi, à cause de cette grève’’, lance-t-il avant de reprendre les pédales. 

A l’image de Mouhamed, nombreux sont les citoyens qui sortent, en cette matinée de vendredi 17 juillet 2020, de l’annexe du tribunal de grande instance de Dakar réservée aux dépôts des casiers judiciaires et des registres de commerce tout déçus.

Cet endroit qui, d’habitude, grouille de monde à pareille heure, est à moitié désert. Quelques vieux rabatteurs travaillant à la gare des taximen d’à côté, s’allongent sur les bancs d’attente de l’annexe pour se reposer et papoter sur l’actualité. Un jeune garçon assis à côté somnole. Ousseynou Diankha, lui, a eu la chance de déposer son casier judiciaire. Pour ce faire, il a écourté très tôt son sommeil pour rejoindre le palais de Justice avant l’heure fatidique de 9 h, pour faire partie du quota des 50 personnes pouvant déposer par jour. ‘’Je suis venu depuis 8 h pour déposer un casier judiciaire. Dieu merci, je suis parvenu à le faire et on m’a donné rendez-vous à 15 h pour le retrait. C’est difficile, mais ça vaut le coup. Maintenant, je me repose le temps de faire le retrait’’, se réjouit-il. Il fait partie des rares personnes à avoir pu obtenir un document administratif au tribunal de Dakar, en dépit du mouvement des greffiers.

‘’La plupart des dossiers sont renvoyés et les gens sont en prison’’

Le vieux Sylla, assis sur ces bancs d’attente de l’annexe, n’a pas eu cette chance, bien qu’il soit sur les lieux avant 9 h. La liste des 50 casiers par jour était déjà bouclée. Il devrait alors attendre un autre jour. Mais, en fin connaisseur du système, Père Sylla, comme il aime se présenter, garde espoir pour obtenir ses documents avant de rentrer.

Il est à la recherche de démarcheurs qui, d’habitude, l’aidaient à contourner les longues procédures ainsi que les longues attentes pour obtenir des papiers au tribunal. ‘’Ils m’ont dit qu’ils ont arrêté à cause de la grève. Cependant, ils font le service minimum et je crois qu’avec les démarcheurs, je pourrais avoir mes documents’’, espère-t-il.

 Ces citoyens venus chercher des papiers administratifs pour diverses raisons ne sont pas les seuls impactés par la grève du Sytjust. Les démarcheurs et autres travailleurs du tribunal aussi souffrent de la situation.  La soixante révolu, ce démarcheur, qui veut garder l’anonymat, déplore le mouvement des travailleurs de la justice. Pour lui, au-delà de la situation difficile des travailleurs intermédiaires et autres, la grève a des effets collatéraux sur tout le système judiciaire. ‘’Il y a beaucoup d’effets collatéraux, dans la mesure où les avocats ne peuvent pas plaider, parce que les greffiers sont en grève et ils ont des problèmes pour conserver les dossiers. La plupart des dossiers sont renvoyés et beaucoup de gens restent en prison pour cela. Ça crée beaucoup de problèmes dans les prisons avec la pandémie et la chaleur. Il faut essayer de discuter pour trouver une solution pour que personne ne soit lésé. Ce que demandent ces travailleurs est un droit. Chacun travaille pour nourrir sa famille’’, argue-t-il.

ABBA BA

 

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