Publié le 19 Jan 2012 - 15:08
ENTRETIEN AVEC MALICK NOËL SECK

'' A Rebeuss, on humilie les hommes''

Malick Noël Seck

 

 

Vous sentez-vous héros ou plutôt martyr de la lutte pour la démocratie sénégalaise?

Je ne me sens pas comme un héros. Les vrais héros sont les hommes comme Mamadou Dia, Mandéla ou Nkrumah. Je suis martyr parmi d'autres Sénégalais qui sont tous les jours victimes de l'incompétence du régime en place. Je me sens un peu comme un haut-parleur.

 

 

Avez-vous de la prison ressenti ce que les populations sénégalaises vous portaient comme sentiments, comme témoignages d'affectation ?

 

Oui, je l'ai senti. Cela m'a réconforté et rassuré sur le bien fondé du combat que nous menons. J'ai senti la population, notamment à Tambacounda. Je les entendais tous les jours, du fond de ma cellule, exigeant ma libération. Je l'ai senti aussi à travers les médias dont j'ai pu avoir accès. De manière générale, je crois que cette lutte est bien comprise par une majorité de Sénégalais. Espérons que cela va être traduit en acte, jusqu'à la victoire.

 

 

Avez-vous douté du bien-fondé de votre action, de l'acte que vous avez posé et qui vous a valu la prison ?

 

Non, je n'ai jamais douté de cela. Je pense que cela devait être fait. Cela devait être dit et écrit. Mes camarades et moi avions senti un piège dans cette histoire de validité de la candidature de Wade. Cela a commencé avec le séminaire illégal organisé par les membres du Conseil constitutionnel.

 

On a voulu attirer l'attention des Sénégalais sur le fait que le Conseil va valider sa candidature, qu'Abdoulaye Wade va frauder les élections et qu'ensuite, il va installer son fils. Ce que redoutent les Sénégalais est prévu, écrit et est planifié. Cela va être fait.

 

 

Donc, le motif pour lequel vous avez été incarcéré, à savoir la validation de cette candidature, est toujours là. Avez-vous des appréhensions par rapport à cela?

 

Moi, je suis certain qu'ils vont valider la candidature de Me Wade. Mais, nous l'avons refusé. Non pas parce que cela lui est interdit par la Constitution, non pas parce qu'il est vieux et sénile. Mais pour des raisons de morale et d'éthique et pour la dignité nationale.

 

Nous ne pouvons pas accepter un président qui est mêlé à l'assassinat de Me Babacar Séye, un gouvernement qui est corrompu, une justice qui est garrottée et des opposants qui sont en prison. Un pays comme cela n'a pas d'avenir.

 

 

Malick Noël était-il prêt à rester deux années en prison ?

 

Oui et même pire. Moi, je suis arrivé à un point où je préfère mourir dans ce combat que mourir parce qu'il n'y a pas d'oxygène dans les hôpitaux ; ou mourir parce qu'il y a un chauffard qui a acheté son permis de conduire et qui a fait un massacre. Mieux vaut mourir pour ce combat-là que de mourir bêtement par l'incompétence de ce régime.

 

 

La vie en prison a-t-elle été difficile, surtout à Tambacounda ?

 

La vie carcérale n'est facile pour personne. Moi, selon les normes en vigueur, j'étais soi-disant un privilégié, dans ce que l'on appelle les cellules VIP. Mais je peux vous assurer que ce n'est pas le Radisson (rires).

 

 

Des anecdotes, ou un souvenir marquant...

 

J'ai vu là-bas le visage de la misère sous une autre forme. Ce que j'ai vu là-bas, c'est qu'on humilie des hommes, surtout à Reubeuss. J'ai assisté à des scènes terribles. Les conditions des détenus y sont en dessous des normes des droits de l'Homme. Les gens qui y travaillent aussi, je crois qu'ils sont aussi fatigués que les Sénégalais. Cette expérience m'a fait comprendre qu'il faut réformer la justice de bas en haut.

 

 

Vous parlez de scènes terribles, à quoi faites-vous allusion ?

 

J'ai vu de mes propres yeux des détenus se faire tabasser, se faire fouetter. À Reubeuss, cela existe. On y fouette les détenus. Il faut que cela soit dit.

 

 

Quels ont été vos rapports avec vos geôliers et avec l'administration pénitentiaire en général ?

 

On m'a bien fait comprendre, dès le départ, que j'étais un détenu politique. Donc, mes rapports avec l'administration pénitentiaire étaient des plus courtois. On m'a traité comme un détenu politique.

 

La solitude vous a-t-elle pesé quelquefois, notamment en pensant à vos proches, votre fils ?

Non, à aucun moment je ne me suis senti seul. Je sentais la présence de Dieu, le soutien des Sénégalais. Mon fils m'a inspiré cette lettre, mais quand je dis mon fils, ce sont ceux de tous les Sénégalais.

 

Je suis convaincu que pour notre génération, c'est foutu. Mais, nous pouvons ouvrir les yeux de nos fils sur un autre Sénégal. Je suis hanté par cette phrase que l'on pourrait me poser demain : ''Mais papa, qu'as-tu fait pour nous empêcher cela ?'' Il faudra que j'y réponde.

 

 

Quel était le quotidien de Malick Noël Seck en prison ? La journée type ?

 

La journée type, c'était: sport, petit-déjeuner, lecture, jeu de domino, lecture de journaux, la radio, le tout rythmé par les cinq prières quotidiennes.

 

 

Et si c’était à refaire ?

 

On le referait de manière identique. Vous savez, la politique se nourrit des obstacles qu’on lui pose. Chaque jour, un nouveau combat, une nouvelle forme de lutte. On ne sait pas ce que demain nous réserve. Mais je crois que l’issue heureuse, c’est le développement et l’épanouissement des Sénégalais. Et cela me commande de ne pas reculer et de ne pas faiblir.

 

On espère contaminer le maximum de jeunes et leur faire comprendre qu’aujourd’hui, ce combat n’est pas un combat partisan. Tout le monde doit se mobiliser et ne pas attendre des tee-shirts, des cars ou de l’argent. Mais se battre pour l’avenir et l’intérêt de la génération qui vient.

 

 

Certains parmi vos amis politiques et même le père de Barthélémy Dias ont estimé que le parti socialiste ne vous a pas défendu avec assez de vigueur et de conviction. Quel est votre avis?

 

Moi, je crois que l’attitude du parti socialiste, celle d’Ousmane Tanor Dieng procédaient d’une stratégie. Les connaissant, c’est une stratégie qui était bien menée et le résultat est là. Je suis libre.

 

Donc, c'est le combat mené par le parti socialiste et celui des jeunesses d’autres mouvements du M 23 qui ont permis de mettre la pression sur le régime. Il faut maintenir cette pression jusqu’à la libération de Barth. 

 

Voilà, parlons de Barthélémy Dias. Quelle attitude adopterez-vous pour le faire libérer ?

 

Je crois que le ton est déjà donné. Au niveau du parti, et les jeunes des autres mouvements que j’ai rencontrés après ma sortie sont mobilisés. Je vais m’associer à eux dans ce combat en utilisant tous les moyens possibles, nécessaires et disponibles pour le faire sortir.

 

C’est devenu une priorité pour nous tous. Nous sommes sur plusieurs fronts, mais ce front-là va nous occuper. Nous avons des soutiens, des raisons et des moyens. On va les utiliser pour le faire sortir.

 

 

Entre-temps, Benno a éclaté. Comment avez-vous vécu cela et qu’en pensez-vous ?

 

À l’origine, je n’étais pas pour la candidature unique. Dans les débats internes, j’étais pour une candidature plurielle, mais limitée. Le Benno avait opté pour cela et on a suivi. J'ai appris la nouvelle du fond de ma cellule à Tamba.

 

Il y a peut-être deux choses qui m’ont rendu triste quand j’étais en prison. Cela en fait partie. J’ai été déçu par certaines personnes qui sont dans le Benno qui pour moi, incarnaient l’intégrité et les valeurs que l’on promeut. Pour moi, le Ps est vraiment victime d’une injustice.

 

 

Comment?

 

Parce qu’on répondait à tous les critères. Il ne devait pas y avoir de vote. Je pense qu’on a fait un petit ''gal-gal'' (croc-en-jambe) quelque part. C’est dommage ! Mais maintenant la page tournée. Que cela ne fasse pas de nous des ennemis et que l’on ne se perde pas sur l’essentiel. J’ai toujours du respect pour tout le monde et j’espère que chacun assumera ses erreurs.

 

Propos recueillis par Gaston COLY

 

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