Publié le 8 Jan 2013 - 16:15
ENTRETIEN AVEC... ME ABDOULAYE BABOU (ANCIEN PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE LOIS)

«La procédure n'a pas été respectée»

 

La demande de la levée de l'immunité parlementaire des dignitaires de l'ancien régime suscite une polémique. Est-ce juridiquement légal ?

 

Je voudrais faire parler mon expérience lors de la 10e législature. C'était la première fois qu'une plainte avait été déposée contre Moustapha Niasse accusant le régime libéral d'avoir utilisé les 6 milliards de la Sonacos (actuelle Suneor) pour financer sa campagne. Moustapha Niasse était poursuivi pour diffusion de fausses nouvelles. J'étais député en ce temps-là et j'étais chargé de le défendre. Pour la polémique actuelle, je dois préciser que la levée de l'immunité parlementaire est une question intuitu personæ ; c’est lié à la personne qui est concernée. C'est le premier principe. Pour attaquer un député, il faut lever son immunité parlementaire. Cela est valable pour n'importe quel citoyen devenu député, qu'il soit professeur, instituteur ou ancien ministre devenu député. N'importe quelle autorité judiciaire qui a un dossier contre un député peut demander la levée de son immunité parlementaire. Qu'il s'agisse du procureur de la République ou d'un procureur spécial ou de n'importe quelle autorité judiciaire, il peut demander la levée de l'immunité parlementaire d'un député. Le second principe est que la levée de l'immunité parlementaire n'a rien à avoir avec les reproches, ni avec la juridiction qui a été saisie. Puisque le député représentant le peuple est couvert par son immunité parlementaire, on demande d'enlever cette protection pour en faire un citoyen ordinaire.

 

Qu'en est-t-il de la procédure ?

 

 

Pour ce qui est de la procédure de demande de levée de l'immunité parlementaire, le demandeur, le procureur de la République en l'espèce, doit avoir un dossier contre le député. Puisqu'il ne peut attaquer directement celui-ci qui est couvert par son immunité, il saisit l'Assemblée nationale, via son président, pour notifier son intention de poursuivre le député mis en cause. Après cela, on revient en séance plénière pour choisir les 11 membres proportionnellement aux groupes qui composent l'opposition et la majorité parlementaire. Je me rappelle que pour l'affaire Moustapha Niasse, je représentais le Groupe Espoir avec Madieyna Diouf. Le Parti socialiste avait un représentant. Tout le reste était composé de représentants de la majorité parlementaire qu'était le PDS, tels que Babacar Gaye, Iba Der Thiam... C'est en plénière qu'on fait la répartition des 11 membres de la commission ad hoc, pas en commission.

 

Ensuite ?

 

Par la suite, on se retrouve en commission pour interroger le député mis en cause. Pour exemple, à l'époque j'étais le député-avocat de Moustapha Niasse, député mis en cause. Babacar Gaye était le président de la commission. Ainsi, la commission pouvait être d'accord ou pas. Le défenseur du député mis en cause pouvait même demander le renvoi de la commission. En ce temps, j'avais demandé qu'on me communique le dossier sur lequel Moustapha Niasse avait été mis en cause. Rendez-vous compte que ses détracteurs n'avaient rien du tout. Leurs allégations étaient fondées sur des coupures de presse. D'ailleurs, Iba Der Thiam s'était rendu à son bureau et a soutenu que tel journal a dit ceci et tel autre a dit cela. On a eu une bataille de procédure jusqu'à ce que l'affaire soit renvoyée à une date ultérieure. L'affaire de Moustapha Niasse n'a pas eu de conclusion, elle s'était arrêtée là.

 

Pourquoi ?

 

Parce que ses détracteurs avaient arrêté leurs poursuites motivées par des raisons politiques. En commission ad hoc, on doit examiner les preuves. Le procureur de la République qui a un dossier contre un député doit dire sur quoi se fondent ses allégations. Si la commission trouve quelque chose, elle fait un renvoi. Elle ne donne pas la décision finale. Elle fait un rapport dans lequel elle soutient que selon ses membres il y a une possibilité de poursuite. Et ce rapport est renvoyé en plénière. C'est la plénière qui décide de la levée ou non de l'immunité parlementaire. Si la plénière décide de la levée de l'immunité parlementaire, à ce moment le parquet continue son travail. Cela ne veut pas dire cependant qu'ils sont coupables d'un quelconque acte de forfaiture. De même, la plénière peut refuser la levée de l'immunité parlementaire au motif que le dossier est insuffisant. C'est pour dire que la levée de l'immunité parlementaire est une question intuitu personæ. Il n'y a aucun rapport avec la juridiction saisie ou le fait soulevé devant celle-ci.

 

Pour l'affaire en cours, y a-t-il eu erreurs/maladresses dans la procédure de saisie de la CREI par le procureur de la République ?

 

Je répète que n'importe quelle autorité judiciaire qui a un dossier contre un député peut demander la levée de son immunité parlementaire. Ensuite, n'importe quel député peut faire l'objet d'une demande de levée de son immunité parlementaire. Ça, c'est mon opinion personnelle. Au vu de mon expérience, pour avoir vécu l'affaire Idrissa Seck et celle de Pape Diop, j'estime que la procédure n'a pas été respectée.

 

Pourquoi ?

 

Quand on poursuit un ministre en justice, on doit faire comme dans l'affaire Idrissa Seck. On a choisi les députés qui devaient composer la Haute cour de justice. Après cela et après constitution d'un dossier, Idrissa Seck avait été renvoyé devant la Haute cour de justice.

 

Le ministre de la Justice estime que les mis en cause ne sont pas passibles de la Haute cour si les délits pour lesquels ils sont poursuivis viennent d'être constatés.

Cet argument n'est pas recevable, car tout le monde sait que les biens mal acquis, c'est dans le cadre de leurs fonctions de ministre. D'ailleurs, Idrissa Seck a été poursuivi pour des actes qu'il a commis quand il était Premier ministre. Néanmoins, il a été poursuivi devant la Haute cour de justice après son départ du gouvernement.

 

La loi sur l'enrichissement illicite est incomplète donc ?

 

Elle ne l'est pas dans la procédure. D'abord, on définit l'infraction d'enrichissement illicite, on vous dit que vous vous êtes enrichi illicitement et on vous demande de le prouver. Cela n'existe dans aucun pays. C'est une loi d'exception. En règle générale, on dit à X : «Vous êtes coupable parce que vous avez fait ceci, vous avez fait cela et vous vous défendez». Ici c'est le contraire. Avec la loi sur l'enrichissement illicite, on vous demande d'apporter la preuve que vous n'avez pas volé. C'est un état d'exception. Or, en démocratie il n'y a pas d'état d'exception. C'est malheureux pour notre pays malgré nos efforts. Même si on dit que le Sénégal est une nation de démocratie, l'une des plus grandes démocraties en Afrique, la Cour de répression de l'enrichissement illicite est une tache noire sur notre démocratie. En règle générale et dans le droit français, on nous a appris qu'en matière de preuve, la charge incombe au demandeur. La CREI règle un état d'exception et ce n'est pas bon pour notre démocratie. Lorsque la CREI a posé le problème d’État, il n'est pas allé jusqu'au bout. Lorsque l'on a défini les infractions, la procédure à suivre n'a pas été précisée. C'est pourquoi la CREI bute sur ces difficultés. Elle n'avait pas le droit d'entendre des anciens ministres où anciens députés. Lorsque le Sénégal a voulu juger Hissène Habré, il a fallu changer le code pénal pour y prévoir des infractions tels que le génocide, les crimes contre l'humanité. Il a fallu aussi changer le code de procédure pénale. La CREI devait prévoir les infractions et la procédure, elle ne l'a pas fait, raison pour laquelle elle cafouille... Mais tout le monde est d'accord que quand on s'est enrichi sur le dos de l’État, on doit rendre compte...

 

 

 

PAR DAOUDA GBAYA

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