Publié le 18 Jul 2021 - 02:37
GRAND’PLACE AVEC THIERNO ALASSANE SALL

‘’Je suis contre Macky Sall’’

 

Certains l’accusent de n’avoir pas une position claire. Qu’il ne serait pas un véritable opposant au régime de Macky Sall. Le leader de la République des Valeurs se veut clair : il est totalement contre ce régime. Seulement, il est un homme libre qui n’est pas obligé d’être toujours d’accord avec tout ce que dit l’opposition. Il ne compte pas changer. Que ses détracteurs se le tiennent pour dit. Entretien.

 

Parlez-nous de votre parcours scolaire 

J’ai fait essentiellement mes humanités à Thiès. J’ai fait le cycle élémentaire dans plusieurs écoles à Thiès et à Saint-Louis. A Saint-Louis, en une année, j’ai fait deux écoles. J’étais dans la classe d’un enseignant qui était très absentéiste. Mon père a eu le réflexe de me sortir de cette école en milieu d’année. Ce qui m’a  tiré d’un mauvais pas. J’ai eu la chance de faire Khayar Mbengue sur l’avenue De Gaulle, ancienne école de fils de chef. Ce qui m’a donné une grande passion pour la ville de Saint-Louis. J’ai fait l’école d’application HLM. Elle était dirigée par un directeur qu’on n’oublie jamais : Demba Sarr. Il était le modèle de l’éducateur, du père, de l’autorité au sens total, intégral et positif du terme. Au lycée Malick Sy, qui nous a habitués à une rigueur que beaucoup d’entre nous ne supportaient pas bien, à tel point qu’on l’appelait Bokassa. Le lycée Malick Sy était un creuset d’excellence. Je ne comprends pas d’ailleurs la volonté des Etats de singulariser certaines écoles en en faisant des écoles d’excellence et en y investissant. Or, avant la plupart des lycées étaient des lycées d’excellence. Le lycée Malick Sy se singularisait par exemple par de très hauts rangs au concours général.

Que retenez-vous de vos années au Lycée Malick Sy ?

Au Lycée Malick Sy, on a eu droit à une formation au-delà de celle intellectuelle et académique. On a reçu une formation humaine. C’est là-bas où j’ai reçu mes premières leçons de politique. On trustait avec le marxisme pour les uns, le guevarisme pour les autres. Il y avait des partisans farouches aussi de Cheikh Anta. On admirait nos grand-frères, parce qu’ils étaient talentueux au sens plein du terme. Il y a eu des élèves qui ont eu beaucoup d’influence positive sur moi, alors qu’on n’était même pas dans les mêmes écoles. Il y avait une émulation saine. Je pense que ce culte du savoir, de l’excellence  a disparu. En classe de terminale, j’avais déjà lu une bonne partie de Marx, de Césaire, de Cheikh Anta. Cela ne m’empêchait pas de lire Hugo, par exemple. J’ai lu plusieurs fois la Condition humaine (ndlr, écrit par André Malraux, paru en 1933). Je peux vous répéter intégralement certaines parties de ce livre et je peux vous parler de certains personnages comme s’ils étaient des amis. Il en est de même du livre d’Ernest Hemingway ‘’Pour qui sonne le glas’’ (ndlr, paru en 1940). Je me rappelle bien de Pablo devenu capitaliste, parce qu’il ne veut plus entreprendre des actions qui fassent que les troupes de Franco viennent nous bombarder. Ce sont des choses remarquables qui vous font. J’ai eu au lycée un bac scientifique, mais cela ne m’a empêché d’exceller dans les lettres. D’ailleurs, notre lycée a raflé les prix scientifiques et littéraires à l’époque. Moi, j’ai été lauréat et premier prix en français, philosophie.

Où avez-vous fait vos études supérieures ?

Après le bac, j’avais l’opportunité de faire mes études en France ou ailleurs. Mais le destin a choisi que j’aille en Tunisie pour des raisons qu’il serait long d’expliquer ici. Je fais partie de la première promotion de l’école nationale d’ingénieurs de Sfax, en Tunisie. Je n’ai pas regretté d’avoir fait l’électronique avec une spécialisation dans les télécommunications. Je suis toujours curieux d’échanges et, en Tunisie, il y avait beaucoup de  Palestiniens. Arafat s’était installé à Tunis. Dans les foyers universitaires, c’était l’époque où les frères musulmans étaient en train de barouder et d’achever de dégager les marxistes des universités. L’encadrement des universités à l’époque était de formation marxiste, de manière générale. Ces enseignants ont été supplantés par une nouvelle vague d’enseignants qui étaient des barbus, comme on disait. On voyait bien venir ce qui est devenu plus tard le problème d’Ennahdha, Mouvement pour la tendance islamiste, comme on disait.

A l’université, on les voyait organiser des quêtes dans les mosquées, des séminaires ; utiliser la lutte palestinienne pour pouvoir mobiliser certaines sommes d’argent, aider les étudiants non boursiers. Sous ce couvert-là, ils formaient une sorte de famille et de réseau qui finalement allait supplanter les autres mouvements démocratiques ou révolutionnaires qui étaient dans les universités tunisiennes. Je me suis beaucoup passionné pour cet aspect des choses, malgré les cours qu’on suivait. Quand, je suis sorti de l’université, j’ai été recruté à l’Asecna. J’étais jeune et j’avais encore du temps et je suis allé faire économie. Mais, j’ai dû arrêter en licence, parce que les obligations professionnelles, en un moment donné, sont devenues très prenantes.

Parallèlement, j’ai fait un diplôme d’aviation civile à l’école d’aviation civile de Niamey. Au-delà  de l’expérience professionnelle, j’ai fait du syndicalisme à l’Asecna. Je suis un des membres fondateurs du syndicat des cadres de l’aviation civile, alors que j’étais un cadre supérieur. Les gens disaient que ceux qui étaient prédestinés à diriger la structure ne devraient pas se mêler de syndicalisme, mais s’il y a une chose qui reste contant chez moi, c’est cette culture révolutionnaire. Au lycée Malick Sy, j’étais membre du foyer, je participais à organiser des grèves, même si parfois, je me demande, avec le temps, si c’était toujours justifié.

Quand je vois le nombre d’abris provisoires, la déliquescence de nos écoles et notre équipement scolaire, je me dis que nos conditions étaient extrêmement luxueuses. Il est vrai que les bourses arrivaient en retard et les gens qui venaient d’autres villes étaient dans des conditions assez difficiles. Cela nous poussait à une sorte de révolte. Mais, si on examine les plateformes revendicatives comparativement à ce qui se passe aujourd’hui, on peut se poser des questions sur le progrès ou la dégradation que notre système éducatif a subie.

Mais à l’Asecna qu’est-ce qui vous avait poussé à syndiquer ?

Cette tendance à essayer de vivre ce que je pense m’avait poussé à être proche des  milieux syndicaux. Je me rappelle qu’un jour, un de nos représentants m’a fait venir avec d’autres collègues qui étaient dans la gestion des services techniques et nous a dit que les syndicats menacent d’aller en grève et on compte sur vous pour éviter que les gens ne bloquent les équipements et les services. Je lui ai dit : M. Le représentant je suis désolé, mais moi, je suis syndiqué et le jour où ils seront en grève, j’en ferais partie ; je ne veux pas que vous croyez que j’ai un engagement avec vous. Il m’a dit : si vous le faites, on vous renvoie. Quand je suis sorti de la salle, les collègues m’ont dit que j’aurai dû me taire et faire après ce que bon me semble. Je leur ai dit que par loyauté, je pense qu’il est plus correct de lui dire, afin qu’il sache à quoi s’en tenir. C’était ma façon de l’aider, afin qu’il aille discuter et trouver un terrain d’entente avec le personnel.

Rétrospectivement, je me dis que c’est sur ces bases-là que les gens vous disent que vous êtes un peu ‘’carré’’. C’est la caricature qu’ils utilisent et que je n’aime pas. Non, je pense que je suis entier. Je ne pense pas qu’il faille, pour des raisons particulières, que quand on sent que c’est cela la vérité et les faits, essayer de les masquer pour apparaître politiquement correct aux yeux des autres. J’ai eu ces problèmes là en beaucoup de circonstances, parce que nous sommes d’une culture faite de ‘massla’ et d’euphémisme ou d’atténuation de la vérité. On utilise des formules plus que diplomatiques, des formules d’arrangement. Dans notre famille, on nous dit qu’il faut être pour la vérité en toutes circonstances. Je pense que nous Africains, l’un des freins à notre développement et cette propension à vouloir toujours masquer la réalité.

Qu’est-ce qui a motivé votre entrée en politique ?

Jeune, j’étais de culture révolutionnaire. Thiès étant une ville fortement imprégnée des idéaux révolutionnaires, surtout depuis la grève des cheminots de 1947. Aussi, il y a beaucoup de partis politiques qui ont eu leur congrès fondateur à Thiès, y compris les partis socialistes de Senghor et Mamadou Dia, ainsi que le PAI. Nous sommes dans une ville qui a une forte tendance à la contestation de l’ordre colonial et des autres ordres. Je suis revenu en politique, après une parenthèse professionnelle qui devait normalement m’éloigner de la politique. Quand j’ai été à l’Asecna, j’ai eu à y occuper de hautes responsabilités et, à travers le monde, j’ai eu à faire partie des experts qui ont eu à travailler dans des programmes assez gratifiants au titre professionnel et personnel.

J’aurai pu quand j’ai commencé à faire de la politique, en 2009, travailler à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) où on me proposait un poste.  J’ai choisi de rester en politique. Je suis entré en politique, en 2007, dans une forme de geste de contestation qui est fondateur. On était dans le bureau du ministre des Transports de l’époque, Farba Senghor. Il avait annoncé des choses qui étaient l’antithèse même de la vérité. Il disait que le Sénégal devait sortir de l’Asecna sur décision de Me Abdoulaye Wade pour des raisons qui étaient totalement non fondées et qui étaient pour ce que nous tous qui étions dans l’aviation l’antithèse de notre ‘’foi’’. Nous croyons à l’intégration africaine, à l’apport positif de l’Asecna. Pour faire main basse sur les terres de l’aéroport et les ressources, ils ont voulu faire sortir le pays de l’Asecna. Nous étions une demi-douzaine de hauts responsables de l’aviation civile qui était dans son bureau, quand il annonçait cela. Je pense que j’ai été l’un des rares à lui dire  que les arguments qu’il donnait n’étaient pas vrais. Je me sentais l’obligation de le lui dire. Non pas de le dire dehors ou plus tard, mais en cet instant précis.

Il y a des moments historiques où chacun est jugé par rapport à ses responsabilités. Pour cela et parce que les travailleurs de l’Asecna ont fait plus tard dans la nuit la grève pour contester cette décision, il (Farba Senghor) a fait une conférence de presse, le lendemain, en disant qu’on avait donné instruction pour me faire arrêter, en me traitant de tous les noms d’oiseau. Cela a constitué un choc. Je me suis dit que, si ces monsieurs-là croient qu’on est dans une dictature et qu’ils ont autant de pouvoir pour décider de nos sorts, de celui de nos institutions et de nos Etats comme ils l’entendent, c’est parce qu’ils sont engagés en politique. Je me suis dit qu’il me fallait faire quelque chose. C’est comme ça que je me suis engagé à l’APR, avec le serment de ne pas accepter que le chef puisse prendre certaines décisions radicales sans consulter la communauté concernée.

La démocratie ce n’est pas l’autorité suprême du chef, comme on le croit ici. Le Conseil des ministres, par la Constitution, est un organe collégial et solidaire. Cela veut dire que les décisions sont prises par la majorité. Mais, ici on met en avant la solidarité, tout en oubliant la collégialité. Vous discutez des idées du président de la République, on vous dit que vous  êtes carré. J’ai été l’un des rares à dire : ‘’est ce que…’’. On ne peut critiquer hier un projet de Wade et arriver au pouvoir pour le continuer ou l’amplifier. C’est se trahir. J’aurai signé un certain contrat, on n’aurait pas dit que je suis carré.

En tant qu’expert en aviation civile, pour vous était-ce nécessaire d’acheter un avion pour le Président Macky Sall ou c’est juste une dépense de prestige ?

Ce n’est ni une nécessité et encore moins une dépense de prestige. C’est le rêve de Macky Sall, jeune homme qui voulait posséder un royaume et de vivre au pays de cocagne, qu’il accomplit. Le prestige ne doit pas aboutir au ridicule vis-à-vis du pays. Aujourd’hui, tous ceux qui ont un sens dans le monde et qui voit Macky Sall avec son avion savent que c’est ridicule. Nous avons 25 lits d’urgence dans nos hôpitaux. J’ai entendu la directrice des établissements publics dire qu’on veut aller à 55 lits d’urgence. Dans un tel pays, comment le Président peut se payer un avion de 60 milliards de FCFA en pleine pandémie. C’est ridicule. Je reviens du sud du pays, au Kabada. Les femmes y pilent encore le mil avec leurs mains et se plaignent. Beaucoup de villages s’abreuvent encore à l’eau de puits. Les gens vont se soigner en Gambie.

Dans un contexte où il n’y a même plus de voyages, parce que le monde est confiné, à quoi ça sert à un Président d’acheter un avion qui va rester clouer au sol, la plupart du temps. Personne n’a son temps, si ce ne sont les petits roitelets africains qu’il va aller visiter avec tout le respect que je leur dois. On n’a pas d’ambulances, alors que lui circule avec une armada de voitures rutilantes qu’il change chaque 2 ans, au point que lui-même a dit qu’on a dépensé 360 milliards FCFA pour acquérir des voitures et que c’est scandaleux. Il est allé lui-même récupéré des voitures que Wade avait affecté à des marabouts et autres chefs de quartier pour dire qu’il pouvait servir à d’autres choses. Mais comment peut-il expliquer aux gens avoir acheté des voitures pour 360 milliards FCFA et se payer des maybach à un milliard. Comment peut-on faire cela dans un pays où toutes les routes son cahoteuses, les rues sales ; il n’y a pas d’éclairage public et les hôpitaux sont dans des états comateux. On veut nous faire croire que cet avion a été acheté avant la crise. C’est faux ! Pour une fois, que l’Assemblée nationale joue son rôle et fasse un audit.

On est en pleine 3e vague de Covid-19. On accuse les politiques d’avoir exacerber la situation avec toutes les tournées organisées. Vous êtes tous responsables…

Il est trop facile de dire que tout le monde est responsable. Il est vrai que chacun de nous a une part plus ou moins infime de responsabilité. Je suis vacciné et j’ai toujours mon masque. Je dis aux gens que cette affaire est sérieuse. La responsabilité première est celle de l’autorité étatique. Elle doit avoir un une politique claire, rationnelle et constante. Au début de la pandémie en 2020, le président de la République n’a pas jugé nécessaire de réorienter tous les projets vers la gestion de la pandémie et la résilience de notre économie. Il a commencé par acheter du riz. Il fait de la politique. Ce sont des marchés et on a voulu habillé çà dans une Force Covid. Cela n’a aucun sens. Il fallait commencer par faire le point sur nos hôpitaux, les capacités de nos gens de supporter la crise. La capacité de nos lits n’a pas augmenté de manière conséquente.

Pendant ce temps, on construit un stade de 155 milliards FCFA. La responsabilité du Président dans cette situation est immense et directe. Le 17 juin dernier, l’Institut Pasteur de Dakar a lancé une alerte, en disant que tous les variants sont présents au Sénégal et qu’il faille réduire les manifestations et les déplacements. Le Président était, pendant ce temps, dans une tournée électoraliste au nord où il rassemblait des milliers de gens dont certains étaient importés de Dakar, comme on importe de la marchandise. Lui était vacciné et avec son masque et ses gels dans sa voiture, les gens n’avaient alors qu’à se débrouiller avec les variants.

Qui a fait autant que lui pour aider le virus ? On ne peut pas dire que tout le monde est responsable. Que les gens du système sanitaire disent que le virus a bénéficié de la complicité du Président Macky Sall et personne ne l’a aidé dans ce pays plus que lui, même si au début, il a pris certaines mesures. Le conseil national de sécurité dont le ministre de la Santé est membre avait les informations que l’Inde croulait sous le variant Delta. Le Président a organisé une opération ‘’Mbourok sow-gloria’’ qui a diverti la presse, l’opinion, etc. Les gens se sont laissés emportés par ses paroles sans aucune épaisseur. Maintenant, on dit que tout le monde est responsable. Non !

De nouvelles mesures sont annoncées…

Quand la parole de l’autorité est discréditée, décrédibilisée et dévaluée, elle ne peut plus être entendue. La stratégie actuelle du président de la République c’est, par de petits communiqués, pousser les lobbys de médecins, de la société civile, à crier et réclamer des mesures fortes pour que lui puisse enfin sortir et en prendre. Il ne peut pas prendre de mesures fortes, puisqu’il n’a plus l’autorité morale pour le faire. S’il prenait des mesures fortes personne ne le suivrait. Il est conscient d’avoir installé le pays dans une situation grave. Il n’y a pas pire pour un pays qu’une autorité démystifiée, dévaluée, discréditée par ses propres comportements.

Comment appréhendez-vous la reprise de l’économie sénégalaise, africaine pos covid ?

En 2020, on a eu un taux de croissance officiellement à 0.8% venant de 6%. On a quasiment fait, avec le taux de croissance naturelle de la population, on a fait une sorte récession en 2020. Il annonce 5 mille milliards de budget. Mais du fait de la stagnation de l’économie, les recettes de 2021 par rapport à 2020 vont beaucoup baisser, puisqu’elles proviennent pour l’essentiel de l’activité économique. 80% des entreprises ont vu leurs recettes baisser ; 85% des ménages également ont vu leurs revenus baisser. Ce sont les chiffres officiels de l’ANSD. Près de 90% des entreprises du secteur informel qui constitue l’essentiel du tissu économique ont vu leurs revenus baisser.

Aujourd’hui l’Etat est obligé de recourir à des emprunts euro bonds de plus de 500 milliards de FCFA. Dans le budget prévu, c’est 600 à 700 milliards qui vont être consacrés au service de la dette. Il fait progresser cette dernière de 2760 milliards en 2011 à 9247 milliards au 31 décembre 2020, si bien que notre ratio d’aide sur PIB est passé de 33 à 66%. Voilà la situation du Sénégal. Dans ces conditions ce qu’on paie pour le service de la dette, c’est la presque la masse salariale de 800 milliards. Donc, il aura du mal à mobiliser des recettes. Il va faire face au service de la dette. Il le sait très bien, c’est pourquoi, dès les premiers mois de la pandémie, il fait le tour du monde pour demander l’annulation de la dette. On croule sous le poids d’une dette qui n’a pas servi à fortifier notre économie, à créer davantage d’emplois, de richesses. Ce qui aurait  naturellement poussé à l’augmentation des recettes mécaniques. Toute chose étant égale par ailleurs, s’il avait créé plus de richesses, il aurait augmenté naturellement les recettes fiscales.

Avec cette troisième vague, le tourisme sera encore plus touché. Ce secteur contribuait d’une manière conséquente au PIB, mais faisait vivre des milliers de gens. Il s’y ajoute qu’il y a les vagues d’insurrection politique dont on annonce la 2 ou la 3e vague, à tout moment. Là aussi, au lieu de prendre des mesures de détente, de sauvegarde qui permettent de ramener la paix dans les cœurs, il est en train de prendre des mesures pires, d’aggraver le mal. Cette situation quasi insurrectionnelle que vit le Sénégal va décourager les potentiels investisseurs à venir dans le pays. Quand on a vu les saccages et pillages qu’il y a eu, on se dit qu’à tout moment çà peut sauter, on ne va pas venir mettre ses billes. Indépendamment de la pandémie ou lié à elle, le prix du pétrole monte. Il est à plus de 70 dollars. Tout cela contribue à nous asphyxier. Cet hivernage ne se présente pas sous les meilleurs auspices, pour l’instant.

Le Président doit prendre conscience de l’extrême vulnérabilité de notre pays face à tous ces périls. Jamais les conditions n’ont été autant réunies pour que le Président lucidement dise que je ne vais pas me présenter pour un 3e mandat ; que la justice est tellement décriée qu’il nous faut des états généraux pour la rétablir ; qu’il faut supprimer le HCCT et Cese ; et recréer les conditions d’un minimum de confiance pour qu’il ait un petit sursaut national et qu’on mette un plan de transition pour qu’en 2024 il parte et que le pays ne puisse pas aborder des zones de turbulences.                                                                            

Dans le même cadre, devrait-il amnistier Karim et Khalifa ?

Tout le monde sait que Khalifa Sall et Karim Wade n’ont pas été jugés, parce qu’ils auraient commis des méfaits. Ils  ont été jugés parce qu’il fallait les éliminer. Personne ne doute de ça. D’une part, on constate que, depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, l’ARMP, l’IGE ne font pas de rapports, parce que cela en aurait dit long, si c’était aussi objectif et transparent que sous Wade. Jamais dans ce pays, les marchés de gré à gré n’ont été aussi nombreux.  Ce n’est pas par volonté d’assainir le pays que Khalifa et Karim ont été jugés. C’est parce qu’il fallait se débarrasser d’adversaires politiques. Il faut revoir le système politique sénégalais et comment faire en sorte que tous les verrous que Macky Sall avait délibérément introduits soient sautés. Qu’on arrête de dire que Khalifa et Karim ne peuvent pas participer. Après, il faut que des audits soient faits sur tout ce qui s’est passé de 2000 jusqu’à nos jours au moins et qu’on puisse imputer la responsabilité de chaque denier sénégalais pris à des gens et que ces derniers paient d’une manière ou d’une autre, même s’il faut privilégier le système vérité réconciliation au lieu de poursuites pénales qui ne vont pas aboutir à grand-chose. Il faut qu’on nous restitue nos biens. On ne peut pas devenir riche par la politique.

Pensez-vous qu’Ousmane Sonko est victime du même système dans l’affaire l’opposant à Adji Sarr ?

Très sincèrement, je ne peux rien dire pour ce cas précis. J’attends d’avoir plus d’informations. Ce que je peux dire de manière de très sincère et claire, c’est que Macky Sall ne ratera aucune occasion pour se débarrasser d’Ousmane Sonko, s’il en a l’opportunité. Cela est au clair aux yeux de tout le monde. Quand on fait des tournées, il y a toujours des gens qui filment, qui entrent et sortent, etc. On veut chaque jour nous tendre des pièges. En ce qui concerne Sonko ou Khalifa Sall ou Karim ou Abdoul Mbaye ou moi, on est tous des victimes sursitaires. J’évite d’entrer dans le fond des dossiers. J’ai eu une sommation interpellative d’un ancien DG d’une structure  de l’Etat, sur le cas Khalifa Sall. J’ai été souvent au tribunal. Je me suis beaucoup exprimé sur cette affaire pour dénoncer la politisation du dossier, mais je n’ai jamais voulu me prononcer dans le fond.

Et au Sénégal, quand on fait cela, on dit que si vous n’épousez pas la position des uns, vous êtes avec Macky Sall. Beaucoup de gens sont dans le manichéisme. Ils sont dans une logique binaire. Je refuse d’y être, même si je suis un ingénieur télécom. Dès l’instant qu’on dit que si on est contre Macky Sall, il faut être tout le temps d’accord avec ce que dit l’opposition et intégralement, sans nuance, je ne suis plus libre. La liberté, c’est de pouvoir apprécier au cas par cas et de me prononcer en pleine connaissance de cause. Je suis absolument contre Macky Sall, par position personnelle. Je n’ai signé aucun contrat avec personne. Quand je quittais Macky Sall, dans son bureau, je n’ai averti personne. Je n’ai demandé la permission de personne. J’ai estimé en mon âme et conscience que mon compagnonnage avec lui était fini. Beaucoup étaient surpris. C’est moi qui ai informé les  journaux. Pour prendre position sur un sujet, je ne demande l’autorisation de personne, si ce ne sont les gens de mon parti avec qui je me concerte. Pour les autres, on peut ou non avoir les mêmes points de vue. C’est cela la richesse de la démocratie. Quand j’étais dans le pouvoir, on m’accusait d’aider l’opposition en leur donnant des informations sur le pétrole, parce que, juste, je n’étais souvent pas d’accord.

Woodside prévoit le forage de puits à la fin de ce mois au plus tard pour le champ de Sangomar. BP pose les premiers caissons en mer à St. Louis pour le gaz. Peut-on dire que tout va bien pour le pétrole et le gaz ? 

Pour le projet de production, je ne saurais vous dire. Mais, je peux vous dire que ça va assez mal, parce qu’on est mal parti avec des contrats noués dans des conditions que j’ai largement expliquées dans mon livre. On peut aussi se demander, puisque les projets semblent avancer de ce côté-là, que faisons-nous, nous Sénégal, pour anticiper sur la production de gaz et pétrole et faire en sorte que ce soit un levier de développement de notre économie. Mais, quelqu’un qui n’a pas été capable de nous amener 100 lits d’urgence en pleine pandémie ne peut pas être capable d’apporter un plan stratégique de développement économique, en utilisant les hydrocarbures comme levier. J’invite les Sénégalais à ne pas croire à des allégations de soi-disant experts internationaux dont on ne sait pas comment ils ont produit leurs rapports. Je ne dis pas qu’il ne faille pas croire à tout ce qui vient de l’étrangern mais j’ai dit dans mon livre et j’ai donné la lettre que j’ai faite à l’ITIE qui a classé le Sénégal 1e ou 2e pays, en 2018.

J’étais entré en furie et je leur ai envoyé une lettre pour leur demander comment ils pouvaient comprendre qu’un ministre démissionne et dise qu’il y a un scandale, qu’un premier ministre dise qu’on lui a fait faire du faux, etc. et vous là-bas de l’extérieur vous dites qu’il est celui qui a le mieux géré. On voit aussi un journaliste à RFI faire l’apologie de la gestion de Macky Sall sur les ressources en hydrocarbures. Nous sommes un pays majeur. Nous avons suffisamment de compétences et de capacités pour challenger les allégations qui ne sont pas vérifiées.

L'engouement suscité par les annonces sur les hydrocarbures diffère des réserves modestes dont dispose le Sénégal en réalité. Le décalage est-il si grand ?  

J’ai toujours dit qu’on serait très surpris quand le pétrole viendra, parce que les réserves ne sont pas très fabuleuses, même si elles sont assez conséquentes. Mais, les termes du contrat sont tels que les recettes seront très faibles, les premières années, après que les gens vont prendre les coûts d’investissement. Même pour Sangomar signé en 2004 ou 2006 sous le règne du Président Wade avec Madické comme ministre de l’Energie, les  parts qui nous reviendront sont modestes. Quand aussi le Gouvernement n’est pas assez alerte pour réfléchir sur quoi faire sur le gaz dont on dispose, cela pose problème. J’ai essayé, quand j’étais ministre, de faire en sorte que les pays et les institutions internationales puissent nous aider à construire un bon plan d’exploitation de nos ressources. Mais actuellement, on est là à attendre. Tout ce qui intéresse le président de la République est de gager notre pétrole pour faire de nouvelles infrastructures génératrices de rente. Des gens s’enrichissent ainsi outrancièrement.

Dans quelles proportions les hydrocarbures peuvent contribuer à l’essor économique du pays ?

Dans toute la mesure où on a une vision claire et articulée et ainsi qu’un programme cohérent. Les pays qui ont des projets clairs comme Dubaï, les recettes pétrolières constituent 30% globalement de leurs revenus. Les pays qui ont des immenses réserves dépendent beaucoup plus des recettes pétrolières et sont beaucoup sujets aux aléas économiques. Ils sont plus fragiles in fine. Nous, nous avons choisi le modèle des pays africains que nous connaissons le plus. C’est celui d’un pays qui vend des matières premières sans transformation et sans ambition. Avoir un Président géologue ne veut pas dire qu’il a une vision. Apparemment, il n’en a pas. On connait les programmes de BP et Woodside, mais quel est celui du gouvernement. Rien. Aujourd’hui, le Sénégal est dans une zone rouge, à cause des risques d’insurrection. Les gens risquent d’aller s’installer dans les îles Canaries, au Cap-Vert ou au Maroc, venir faire des missions au Sénégal et repartir vivre là-bas. Arrêtons de croire en ce gouvernement et des choses qui sont factices. On aura des lendemains durs.

Parlons des locales. Votre parti va-t-il aux élections ?

Absolument !

Etes-vous candidat pour la mairie de Thiès ?

Nous sommes en train de construire une coalition spécifique à Thiès et dans tout le pays avec les partis de l’opposition. On est en train de vouloir travailler pour des coalitions. Les seules contraintes qu’on s’est mise sont qu’on ne va pas avec le Benno Bokk Yakaar assaisonné à la sauce ‘’mburu ak sow’’ et qu’on va partir avec ceux qui accepteront de prendre des engagements écrits pour assurer qu’ils n’iront pas après collaborer avec le système. Il y a d’autres conditions sur lesquelles on va travailler. Avec la contrainte de la 3e vague, il sera très compliqué de faire des campagnes électorales.

Vous avez baptisé votre parti République des Valeurs. Combattrez-vous la transhumance, quand vous serez Président ?

Non seulement, je combattrais la transhumance sous toutes ses formes, mais également, beaucoup d’autres antis valeurs qui gangrènent la politique au Sénégal dont l’utilisation massive de l’argent par exemple et l’absence de démocratie dans beaucoup de partis. Nous avons transposé ici notre logique africaine et un peu féodale qui consiste à instaurer un droit d’ainesse. Il n’y a pas de débat franc. C’est le problème qu’on a avec certains de nos amis. Il faut une séparation du parti et de l’Etat. Jusqu’ici, on n’y arrive pas. J’ai été membre du gouvernement et je ne suis jamais allé à Thiès avec deux ou trois véhicules de l’Etat pour faire campagne ou des tournées le weekend, contrairement à certains de nos amis qui viennent de rejoindre le ‘’mburook soow’’.

Il faut avoir un respect scrupuleux des biens de la République, parce que ce sont des ambulances en moins ou de tables en moins pour le pays. On est un pays fondamentalement pauvre. Il y a des choses qu’on doit combattre. Je pense que les valeurs sont au début du processus de construction d’un Etat. Il y a beaucoup de choses qui ne peuvent pas être dans la Constitution ou le droit positif, mais, qui procède des valeurs et dont le respect est fondamental pour la bonne marche de la société. Quand je dénonce les choses assez ahurissantes qui se sont passées à l’Assemblée nationale, tout le monde devrait être avec moi. Je ne comprends pas que certains s’en prennent à moi. C’est pour cela que je dis qu’il y a beaucoup de choses qu’on doit remettre sur le tapis.

Les gens vous soupçonnent d’être contre Sonko, parce que d’abord vous ne l’avez pas soutenu en mars dernier et votre dernière sortie sur ce qui s’est passé à l’Assemblée…

(Il rit) Cela me fait rire. C’est quoi la liberté et la liberté de penser. Moi, j’ai exprimé une opinion. On est en démocratie. C’est la faiblesse de nos Etats. On ne peut penser qu’en rapport avec l’autre. On ne prend pas position, parce que c’est la vérité pour soi, mais plutôt pour l’autre. On n’est plus dans la quête de la vérité pour la vérité. Ici, je devrais me taire et taire mon indignation parce qu’elle peut faire mal à quelqu’un ? C’est la question fondamentale que je me pose. Quand j’étais au pouvoir, les gens me disaient que j’ai longtemps cheminé avec Macky Sall et qu’on est des amis que j’aille le voir pour lui dire certaines choses que je pensais. Les gens m’ont même dit que Macky Sall est venu présenter ses condoléances chez moi et assister, en pleine nuit, à la levée du corps de mon père et que je ne pouvais lui rendre la monnaie en démissionnant après. Ils m’ont dit que j’aurais pu des efforts. Faire quels efforts ?

Les efforts, c’est me taire par rapport à ma vérité pour faire plaisir à l’autre ? En plus, pour revenir sur l’Assemblée, je parlais de tout ce qui s’est passé. C’est singulier de singulariser quelqu’un, alors qu’on a vu des insultes. Pour se battre, il faut être plusieurs. Je suis surpris et ahuri, je le dis avec détachement et sérénité, qu’on ait ce rapport là avec la vérité. Ce qui s’est passé est-il condamnable ou pas ? Si cela s’était passé au Japon ou en Angleterre ne l’aurait-on pas condamné virulemment ? Avons-nous des normes et des valeurs qui doivent être en dessous de tout ce qui est universel, parce que nous sommes des Nègres, excusez-moi du terme ? Non, je ne me résous pas à ça. A chaque fois que j’aurais une opinion, je l’exprimerai. Je ne le fais pas pour être contre quelqu’un ou pour quelqu’un. Je le fais parce que je pense que c’est ce qui est bon pour le Sénégal.

Quelles sont vos rapports avec Sonko ?

Sonko et moi, nous sommes retrouvés au moins une bonne dizaine fois ici chez moi. A la base, quand je vais à l’intérieur du pays, ce sont ses partisans qui organisent nos rencontres. Mais fut-il mon frère, cela ne m’empêche pas de dire, non pas ce que je pense de lui, mais du pays. Je suis né libre, je vivrai libre ou je cesserai d’être.

En tant que Thiessois, quel est votre engagement pour la relance des chemins de fer ?

Quand j’étais au ministère des Infrastructures, tout mon projet était de relancer les chemins, non pas parce que je suis natif de Thiès, même si effectivement quand on est de Thiès, on est quelque part cheminot. Donc, c’est une raison subjective et affective de plus. Mais objectivement, le chemin de fer est une nécessité pour le Sénégal. Des villes de 500 mille habitants au nord et il n’y a pas de tram ou de chemins de fer pour la compétitivité de l’économie. A fortiori, quand on est presque 17 millions d’habitants et qu’on n’ait pas de chemin de fer. Je crois qu’il est  un peu tard pour bien faire. Il faudra quand même ressusciter les rails.

Ministre des infrastructures, j’avais fait faire un audit des emprises ferroviaires pour faire au moins les réservations pour qu’on n’ait pas demain à payer les impenses importantes. Mieux, je voulais qu’on réhabilite le rail à la place du Ter. Il y avait deux projets dont un d’écartement métrique pour 500 milliards et un autre d’écartement standard de l’ordre de 1000 milliards, Dakar-Tamba avec un port sec à Tamba. Les camions maliens ne viendraient plus jusqu’à Dakar. Quand on fait aujourd’hui l’audit autour des emprises des rails, on verra que tout est en train d’être bazardé. Demain, on paiera cher pour faire partir ceux qui se sont installés illégalement ou ont bénéficié de la complicité de ceux qui sont chargés de gérer la situation actuelle. C’est terrible.

BIGUE BOB

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