Publié le 12 May 2023 - 21:18
HYDROCARBURES

Le faux départ du Sénégal

 

Alors que l’État table sur des recettes de l’ordre de 700 milliards F CFA à l’horizon 2032, Dr Khadim Bamba Diagne alerte et invite l’État à développer une stratégie pour ne pas dépendre des recettes du secteur. C’était lors d’une table ronde organisée, hier, par le Wathie sous le thème ‘’L’exploitation du pétrole et du gaz : enjeux, défis et risques’’.

 

Bientôt la fin de l’année 2023, il n’y a toujours pas de certitude que le First Gas va sortir des puits de GTA-Ahmeim. Hier, à l’occasion d’une table ronde organisée par le think thank Wathi autour du thème ‘’L’exploitation du pétrole et du gaz : enjeux, défis et risques’’, l’expert en communication sur les questions de pétrole et de gaz, Mapathé Sow, a entamé son propos en remettant en cause les prévisions de l’État consistant à sortir le First Gas dans le dernier trimestre de l’année en cours.

‘’Personnellement, je n’y crois pas. Certes, le FPSO est en route pour Saint-Louis, mais si on regarde la distance qu’il lui reste à faire, on peut dire s’il est possible qu’il soit là à temps, pour que la production puisse démarrer dans le quatrième trimestre comme cela a été annoncé. De plus, nous échangeons avec les acteurs et l’idée dominante est que dans le scénario le plus optimiste, on va démarrer peut-être durant le premier trimestre de l’année prochaine’’, soutient le journaliste spécialiste Mapathé Sow.

Dans la loi de finances 2023, l’État prévoyait 27 milliards F CFA sur la base de l’exploitation du gaz de GTA, rappelle le docteur Khadim Bamba Diagne, économiste et directeur du Laboratoire d’analyse de recherche économique et monétaire (Larem). Il résulte de son analyse que l’État pèche souvent dans ses prévisions.

Revenant sur les prévisions financières de l’exploitation des hydrocarbures, il insiste : ‘’Cette année, on attendait 27 milliards. On ne va pas l’avoir. L’année prochaine, on attendait 53 milliards ; on ne va pas l’avoir. Pour 2025 aussi, nous n’allons pas atteindre l’objectif. Souvent, nous avons des cadres très sérieux dans nos États, mais les résultats de leurs rapports sont dévoyés.’’

Mais la plus grosse erreur, selon l’économiste, ce n’est pas là. C’est surtout de se focaliser sur les recettes qui seront issues de cette exploitation, de croire qu’on peut développer le pays avec ces ressources financières. Il déclare : ‘’On est là, par exemple, à attendre 700 milliards à l’horizon 2032. Ces 700 milliards, c’est la TVA, l’impôt sur le bénéfice, les redevances, la part de Petrosen... C’est très insuffisant. La véritable question, personne ne la pose. Qu’est-ce que l’exploitation en tant que telle va apporter au Sénégal ? Ce qu’il nous manque, c’est surtout un État stratège. Si on l’avait, on allait penser à bâtir des écosystèmes forts grâce à ces ressources des hydrocarbures. Et la première ambition devrait être l’augmentation des capacités de raffinage de la Sar.’’

L’objectif, d’après lui, c’est de casser les prix de l’énergie qui sont un frein au développement du secteur industriel. ‘’Un État stratège enchaine Dr Bamba Diagne, c’est aussi un État qui accorde moins d’importance aux revenus du pétrole. Les compagnies qui sont là dépensent beaucoup d’argent en termes d’approvisionnement, plus de 1 800 milliards, c’est près de quatre fois ce que l’État attend en 2025. Qu’est-ce qu’on a fait pour capter cette manne ? Rien du tout, malgré les déclarations. Il n’y a que 200 milliards captés par les entreprises sénégalaises. Plus de 1 500 milliards qui nous échappent’’.

Formation     

A entendre l’économiste, ce n’est pas demain la veille pour que le Sénégal puisse être un bon négociant sur le marché international des hydrocarbures. Selon lui, il y a un déficit important en ressources humaines qualifiées. ‘’Le problème, souligne-t-il, c’est que les entreprises savent ce qu’elles veulent. Mais est-ce que nos États savent ce qu’ils veulent ? Par exemple, nous sommes un des rares pays au monde qui n’a pas de financiers dans son Administration centrale.… Zéro financier sénior. On parle de l’INPG ; c’est certes une bonne chose. Mais une école, elle te forme 30 à 40 personnes. C’est rien par rapport aux capacités de l’université. Si l’État voulait demain 200 juristes spécialistes, l’université peut lui faire 200 juristes spécialisés… Au moment où l’on se glorifie de quelques personnes formées par l’INPG, une entreprise est venue à l’université pour former chez nous 30 financiers séniors. C’est juste une question de volonté et de vision’’.

De l’avis de Khadim Bamba Diagne, ceci est fondamental pour bien négocier avec les majors. Il prend l’exemple de l’autoroute à péage pour illustrer son propos. ‘’Si on avait des financiers, au lieu de contrôler le résultat final dans le but de voir quel est le bénéfice que nous allons percevoir, ils vont se charger de contrôler le processus. Dans notre pays, on ne contrôle pas le processus, alors que tout se passe sur le processus. Par exemple, avec l’autoroute à péage, l’entreprise qui fait un chiffre d’affaires de plus de 140 milliards, en 10 ans, n’a payé que 3 milliards d’impôts sur le bénéfice. Nous avons des États qui attendent sagement que la société fasse son bilan, vienne faire sa déclaration, pour prendre 30 % d’impôt sur le bénéfice. C’est là où le bât blesse, parce qu’avant de payer l’impôt sur le bénéfice, l’entreprise fait tout pour qu’il ne reste qu’une petite somme. Cela pose énormément de pertes…’’.

Contenu local

Sur un autre registre, les panélistes ont insisté sur la nécessité de rendre effectif le cadre juridique sur le contenu local. Pour Mapathé Sow, c’est loin d’être le cas au niveau des plateformes. ‘’Ce qui se passe dans les plateformes est extraordinaire. Il y a beaucoup d’étrangers, notamment des Asiatiques qui exercent des boulots que peuvent exercer nos compatriotes. Lesquels quittent parfois des plateformes dans d’autres pays producteurs dans l’espoir de rentrer chez eux. Malheureusement, ils sont laissés en rade. Quand on les prend, parfois, ils sont victimes de discrimination. Il y a beaucoup d’effort à faire à ce niveau’’.

Dans la même veine, il a été relevé comment certains marchés à milliards et qui sont à portée de main échappent aux nationaux. Il en est ainsi des domaines de la sécurité, de la buanderie, de la restauration… ‘’Il y a dans les plateformes des entreprises qui achètent leur alimentation au Brésil. C’est bien de regarder le micro. Mais il faut voir macro. C’est le plus important. Nos États se focalisent sur la chose la moins importante, parce qu’étant une évidence, c’est-à-dire les impôts. Nous devons redoubler d’efforts pour capter plus de parts de marchés avec le contenu local’’.

Par ailleurs, l’économiste a attiré l’attention sur le niveau galopant de l’endettement du Sénégal. ‘’Le service de la dette, constate-t-il, c’est 1 600 milliards et l’endettement continue à un rythme soutenu. Les miettes que nous allons recevoir avec l’exploitation des hydrocarbures ne pourront pas permettre de faire face. Malheureusement, ce sont les plus vulnérables qui vont supporter davantage. On peut donner l’exemple du secteur de la pêche. Alors que les majors vont s’enrichir.       

MOR AMAR

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