Publié le 27 Feb 2013 - 10:05
IDRISSA DIOP, ARTISTE-CHANTEUR

«Il faut arrêter de donner du talent au bruit»

 

Tout de noir vêtu, Idrissa Diop donne rendez-vous au Just for you pour aborder sa passion et ses premiers pas dans la musique. Avec un verbe franc, l'auteur de Nobel, partisan du donner et du recevoir, jette un regard critique sur l'évolution de la musique au Sénégal.

 

Quel est le parcours musical d’Idrissa Diop ?

 

C’est un parcours semé d’embûches. Je suis né à Malika, dans un village peul avant de venir à la Gueule tapée où j’ai commencé la musique à bas âge. Il faut dire que j’ai commencé à aimer la musique à l’âge de treize, quatorze ans. A l’époque, on avait monté un groupe de quartier qui s'appelait le Rio. C’est avec ce groupe composé des amis du quartier que j’ai commencé à mettre mon nez dans la musique. Mais avant cela, il y a mon grand-père qui avait remarqué ma passion pour les percussions. Tous les jours en revenant de l’école, j’avais l’habitude de taper sur les bols, les récipients. Un jour, il a eu l’idée de m’offrir un petit djembé comme cadeau. J’avais huit ans et c’est avec ce djembé magique que j’ai commencé à jouer les percussions en chantant sous les cocotiers et à la plage.

 

Ce djembé est-il votre premier instrument musical ?

 

Non seulement c’est mon premier instrument musical, mais ce djembé magique me suit partout. Depuis, j’ai beaucoup joué aux tambours et je voue un grand respect aux percussionnistes.

 

Est-ce que vous avez joué les percussions avec de grands musiciens ?

 

Ici, il y a Doudou Ndiaye Rose qui m’a beaucoup influencé. J’ai joué aussi au Sahel avec le Xalam des Prosper Niang, Henry Guillabert. La percussion m’a toujours accompagné et permis de faire des jam station avec des copains. Je me rendais souvent dans des clubs comme le Calypso, Miami et La plantation pour jouer les tambours. Et comme chansons, je reprenais des titres afro-cubains.

 

Quel est votre première formation musicale ?

 

C’est le Rio. Et comme musiciens, il y avait Blin, Go Faye. Il y avait surtout Laye Mboup qu’on surnommait Otis parce qu’il interprétait très bien les chansons d’Otis Reeding. C’était un groupe de jeunes qui habitaient entre la Médina et Gueule tapée. C'était vraiment mes premiers pas dans la musique en tant que curieux. On faisait de la musique avec passion et non pour l’argent. Cette passion est encore là aujourd’hui. C’est vrai que j’ai gagné ma vie avec la musique. Mais jusqu’à présent, c’est la même passion qui m’habite. Je voudrais rappeler aux musiciens qu'avant le succès, il faut d'abord être passionné.

 

Votre première chanson ?

 

Mes premières chansons étaient des reprises afro-cubaines. Il y a surtout le titre Goor gi que j'avais dédié aux paysans.

 

Comment expliquez-vous votre vidéo clip Money pendant que vous étiez expatrié ?

 

Ce n'est pas une œuvre d'expatrié. J'ai toujours été curieux. Et je continue à croire qu'on peut être musicien, voyager et partager avec les autres. J'ai partagé énormément de choses avec les gens d'abord, ici au Sénégal. En France, j'ai partagé de grands moments avec de grands musiciens africains comme Manu Di bango, Ray Lema, Salif Keïta, Mory Kanté, Papa Wemba, Alpha Blondy, Yannick Noah, etc.

 

Vous êtes en train de citer de grands noms de la musique africaine

Oui mais je n'aime pas trop parler de moi.

 

N'est-il pas nécessaire que les Sénégalais sachent l'icône que vous êtes ?

 

Il y a trois choses qui me tiennent à cœur et que j'aimerai rappeler aux musiciens sénégalais. Il faut savoir cultiver les 3 P pour un musicien. C'est-à-dire la Pureté, la Passion et la Patience. En m'offrant le petit tambour, mon grand-père m'a dit : «Vas transmettre.» Aujourd'hui, j'ai compris la transmission dont il faisait allusion en allant vers les autres. Avec un peu de recul, après un temps de méditation, je me dis : quelle vie ! Dans les années 1970, j'étais le premier à chanter Cheikh Ahmadou Bamba dans un orchestre. Rien que pour ça, j'étais très célèbre avec la chanson Touba, Touba. On a eu un succès énorme ici au Sahel qui était le temple de la musique à l'époque. Les gens venaient et on échangeait. De nos jours, ces moments de partage se sont volatilisés entre artistes. Alors que l'on doit se frotter, échanger, donner pour recevoir. C'est ce que j'ai fait avec des musiciens comme Laba Sosseh, Prosper Niang, Mady Konaté, Pape Seck (Number one et Africando). Je continue d'échanger avec Médoune Diallo et d'autres musiciens. La musique peut être considérée comme une compétition saine où les gens se frottent et échangent. Maintenant pour répondre à la question, il faut rappeler que les Sénégalais me connaissaient bien avant que je parte en France.

 

Quand avez-vous quitté le Sénégal pour la France ?

 

C'était dans les années 1975-76. Aujourd’hui que je suis revenu vingt-huit ans après avec des tubes comme Nobel, Nima yalla def, les Sénégalais me réitèrent leur amour. Et on a comme l'impression que je n'ai jamais quitté ce pays. J'ai toujours nourri une grande affection avec le Sénégal.

 

D'où vous est venue l'inspiration de Nobel ?

 

Nobel, c'est un rêve. Je suis parti de cet amour pur que mon grand-père et ma grand-mère ont vécu jusqu'à leur dernier souffle. Je les voyais tous les deux s'aimer avec respect. Ils s'aimaient tellement qu'ils avaient fini par se ressembler. C'est ce qui m'a bouleversé. Un jour, j'ai rêvé de cet amour où les gens s'aiment en se regardant et j'ai écrit cette chanson. A ce jour, Nobel est la chanson d'amour préférée des Sénégalais. Même si j'en suis profondément fier, je le prends avec beaucoup d'humilité. Et lorsque j'ai proposé à la chorale Saint-Dominique de m'accompagner, elle n'a pas hésité à faire les chœurs. Ensuite, la vidéo est sortie et tout le monde a apprécié. Je remercie beaucoup la chorale Saint-Dominique. C'est ça le Sénégal. Ma première épouse qui est la mère de quatre enfants ici au Sénégal était chrétienne au départ. Il a fallu qu'on se marie pour qu'elle devienne musulmane. C'est cet effet inter-religieux et de tolérance entre musulmans et chrétiens qui fait que j'ai beaucoup de respect pour le peuple sénégalais. Les gens doivent s'aimer dans le plus grand respect.

 

Quel regard jetez-vous sur l'évolution de la musique sénégalaise ?

 

J'ai beaucoup de respect pour les musiciens. Mais on doit faire attention à ce qu'on appelle musique ici. Il faut arrêter de donner du talent au bruit. J'ai comme l'impression qu'autant que l'on fait du bruit dans ce pays, autant on est applaudi. Alors que la musique traduit les aspirations les plus profondes des personnes. Et c'est le meilleur moyen de toucher le monde entier. On ne peut pas être dans ce qui est la musique sénégalaise et prétendre qu'on peut partager avec des Chinois et d'autres peuples. La musique se consomme mondialement. Aujourd'hui, le Nigeria est la meilleure plate-forme de musique dans le monde. Et pourtant, c'est un pays africain. Récemment, Akon m'a dit qu'il voulait faire quelque chose avec Carlou D mais quand il a senti le coup au Nigeria, il est parti investir là-bas. Cette appellation de musique Mbalax n'est consommée que par une infime partie de mélomanes. Le meilleur de la musique, c'est celui qui donne une parti de soi avec passion. Tous ceux qui font de la musique de mode seront démodés. Il faut faire une musique pour la prospérité.

 

Almami CAMARA

 

 

 

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