Publié le 22 Sep 2021 - 20:02
INTERVENTION DU GROUPE DE SECURITE RUSSE WAGNER AU MALI

Les mercenaires russes qui font trembler la France

 

La possible venue des mercenaires russes appartenant à la société militaire privée (SMP) russe Wagner créée en 2014, a jeté un froid dans les relations franco-maliennes. L’arrivée du groupe de sécurité russe au Mali risque de rabattre les cartes géopolitiques dans la zone sahélienne, longtemps considérée comme une zone d’influence de la France. Les autorités françaises, qui ont prévu de redéployer leurs forces au sein de Barkhane dans la zone des trois frontières (Niger, Mali et Burkina Faso), s’opposent à ce déploiement de mercenaires russes qu’ils considèrent comme le bras armé du Kremlin en Afrique.  

 

 Le possible déploiement de mercenaires de la société de sécurité privée russe Wagner, considérée comme le bras armé de Vladimir Poutine en Afrique, a provoqué une levée de boucliers à Paris comme dans plusieurs capitales ouest-africaines. La société militaire privée est engagée dans des pourparlers avancés avec la junte au pouvoir au Mali pour l’installation d’un millier de mercenaires russes. Le gouvernement malien a confirmé ses échanges en cours avec le groupe Wagner, considéré par plusieurs analystes comme le bras armé du Kremlin dans notre continent. 

Le Mali entend désormais diversifier et, à moyen terme, ses relations pour assurer la sécurité du pays. ‘’Nous n’avons rien signé avec Wagner, mais nous discutons avec tout le monde’’, a affirmé le ministère malien de la Défense, à la tête duquel se trouve le colonel Sadio Camara, qui avait effectué un stage en Russie peu avant le coup d’État d’août 2020, dont il a été l’un des acteurs. Et les responsables maliens de surenchérir à travers un communiqué pour réaffirmer la souveraineté du Mali en ce qui concerne tous les éléments liés à la défense nationale. ‘’Le gouvernement malien ne permettra à aucun Etat de faire des choix à sa place et encore moins de décider quels partenaires il peut solliciter ou pas". 

Mais, ‘’à ce stade, rien n’a été signé’’, ont fait savoir les autorités maliennes.  La présence dans la junte malienne de plusieurs officiers qui ont effectué ou complété une partie de leur formation militaire en Russie, a visiblement facilité les contacts avec les autorités russes qui font du groupe de sécurité militaire un cheval de Troie pour la promotion des intérêts russes en Afrique (miniers et pétroliers). 

 Dans le cas malien, des contreparties minières (concession de trois gisements d’or et de magnésium) seraient en discussion pour s’attacher les services d'un millier de paramilitaires russes. Le Mali devrait aussi s’engager à verser une somme de 9 millions d’euros par mois pour des missions de formation des Forces armées maliennes (Fama) et de protection des dirigeants maliens, en cas de partenariat avec Wagner. 

Pour beaucoup de spécialistes, la perspective d’une baisse des effectifs des forces françaises de la force Barkhane, qui passe de 5 000 à 2 500, à partir de 2022 et leur redéploiement dans la région des trois frontières Mali, Niger et Burkina Faso au détriment du Nord-Mali (fermeture de bases françaises dès le deuxième semestre de l'année 2021) pousse les autorités maliennes à vouloir renforcer la capacité opérationnelle des forces maliennes face aux groupes djihadistes.

De ce fait, le recours à des partenaires russes a pour but, pour Bamako, de se prémunir d’un désengagement soudain de la France et de ses alliés européens (force Takuba) et de s’assurer d’un plus important soutien stratégique et militaire face aux groupes terroristes.

L’ingérence militaire et cybernétique russe menace les intérêts français dans son pré-carré en Afrique

Cette possible intervention des mercenaires russes a provoqué l’ire de l’Elysée. Les services du Quai d’Orsay (ministère des Affaires étrangères françaises) se sont ouvertement inquiétés, le 14 septembre dernier, des discussions entre Bamako et la société militaire privée russe Wagner, avertissant qu'un déploiement de ces paramilitaires au Mali pourrait entraîner un retrait des troupes françaises qui y combattent depuis huit ans les groupes jihadistes. Une implication de Wagner au Mali serait ‘’incompatible’’ avec le maintien d'une force française, a ainsi averti le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, la semaine dernière.

‘’Mon objectif est de parvenir à clarifier la position des autorités maliennes et de réitérer des messages’’, a expliqué de son côté la ministre des Armées Florence Parly, ce lundi 20 septembre 2021, avant une rencontre avec son homologue malien, le colonel Sadio Camara.  Dans le même sillage, selon certaines informations, le président français Emmanuel Macron aurait câblé, la semaine dernière, certains présidents de la sous-région pour partager ses inquiétudes et son hostilité à une possible intervention du groupe russe Wagner dans le Sahel.  Des craintes relayées, le 16 septembre dernier, par le ministre nigérien des Affaires étrangères, Hassoumi Massaoudou, en marge du Sommet extraordinaire de la CEDEAO qui s’est tenu à Accra, où il affirmait que ‘’la CEDEAO tenait à ce que des mercenaires russes ne soient pas dans notre région pour dégrader davantage la situation sécuritaire et que les militaires maliens devaient renoncer sans délai à ce type d’accord’’, a-t-il fait savoir.

Vu de Paris, cette incursion des mercenaires russes dans les zones historiquement d’influence française en Afrique fait partie d’une opération de déstabilisation des intérêts français en Afrique. Le gouvernement français accuse régulièrement la Russie de mener une stratégie de désinformation numérique visant à exacerber le sentiment anti-français dans les pays d’Afrique francophone. Des pays préoccupés par le redéploiement de la force française dans le Sahel qu’ils considèrent comme le préambule à un désengagement complet de la France dans la région.

 Déjà, le 16 septembre dernier, lors de la conférence de presse officialisant la mort d’Abou Walid Al-Sahraoui, chef djihadiste ‘’neutralisé’’ par les forces françaises le 17 août 2021, Florence Parly avait d’ailleurs tenu à insister sur le fait que ‘’la France ne s’en allait pas du Mali’’, mais, ‘’reconfigurerait son dispositif militaire au Sahel’’, a-t-elle fait savoir. 

Les paramilitaires russes assurent, dans les différents théâtres d’opération en Afrique, notamment en Centrafrique, des missions de formation des soldats, de conseillers militaires et de soutien pour les unités combattantes pour les Forces armées centrafricaines (Faca) et les miliciens pro-Haftar en Libye.

L’expérience centrafricaine, vitrine de l’efficacité du groupe de sécurité Wagner, exactions contre les populations civiles

Le principal théâtre d'opérations des mercenaires russes demeure la Centrafrique. Arrivés dans ce pays en décembre 2017, ils avaient pour mission la protection rapprochée du président centrafricain, l’encadrement et la formation des Forces armées centrafricaines (Faca).  Si, en 2017, le nombre de formateurs russes pour l’armée centrafricaine était de 170, en 2021, il s’élève à 2 300, selon un rapport de la chaîne américaine CNN et l’ONG The Sentry publié le 14 juin 2021. Cette croissance a servi de prise de contrôle des zones riches en minéraux et la signature d'accords de coopération avec la Russie.  Les expériences en Centrafrique ont démontré que le groupe Wagner sort rapidement de ses règles d’engagement pour constituer des troupes de choc au service du régime de Faustin Touadéra.

Ainsi, les conseillers militaires de Wagner sont engagés dans des missions de combats contre les rebelles centrafricains, notamment contre le groupe rebelle 3R dans l’ouest du pays.  Des accusations d’exactions contre les civils de la part de paramilitaires russes sont régulièrement répertoriées par les ONG et les Nations Unies présentes dans le pays. Une opération de sécurité des mercenaires russes du groupe Wagner contre un campement d'éleveurs peuls dans la localité de Besson (préfecture de Nana-Mambéré au nord-ouest de la RCA), a fait au moins 40 morts et plusieurs blessés, le 7 septembre dernier, ont rapporté des médias locaux.

Un massacre d’une quarantaine des Peuls dans les villages de Bouzou, Sanguéré, Tourwa, Sabewa et Babba, près de la frontière camerounaise, a été attribué à des mercenaires russes, en août 2021.

Perte d’influence française dans son ancien pré-carré en Afrique (Centrafrique, Mali)

Pour Mouhamadou Lamine Bara Lo, Docteur en sciences politiques et spécialiste des questions de sécurité, le choix du groupe de sécurité militaire privé Wagner pourrait s’expliquer par la réduction de la présence française dans le nord du pays en proie à une insurrection touarègue, puis djihadiste depuis 2013. ‘’Les négociations avec le groupe de sécurité russe répondent à des problèmes de sécurité. La France a décidé de réarticuler son dispositif dans le Nord-Mali en proie à la rébellion touarègue. Le départ français risque de laisser un vide que le gouvernement malien veut combler avec de nouveaux alliés. Le groupe Wagner pourrait être positionné dans cette zone. Au-delà, la junte veut une prolongation de la transition ; ce à quoi s’oppose la France. Donc, cette carte de mercenaires russes pourrait être utilisée comme un moyen de pression sur la France et sur les autres organisations internationales. La présence de ces groupes russes pourrait constituer des têtes de pont de l’influence russe en Afrique de l’Ouest’’, a-t-il déclaré, avant de soutenir que cette situation témoigne de la perte d’influence grandissante de la France face à la poussée de ses concurrents : Etats-Unis, mais aussi Russie et la Chine. 

‘’Le discours anti-français progresse dans son ancien pré-carré en Afrique.  La France est très concurrencée par ses alliés comme les Etats-Unis et des pays comme la Chine et la Russie. La Russie utilise l’aspect sécuritaire, un domaine sur lequel les régimes africains sont très sensibles. Avec Vladimir Poutine, la Russie est en train de retrouver sa place dans le jeu diplomatique en Afrique, une position qu’elle n’avait plus depuis la chute de l’URSS en 1991’’, a soutenu le président du cabinet de conseil Tullius Africa SAS. 

Poursuivant son propos, il renseigne que l’arrivée du groupe Wagner au Mali serait un tournant dans les pratiques et traditions militaires au Sahel. ‘’L’arrivée de mercenaires russes risque de poser plus de problèmes d’engagement et de coordination avec les forces internationales (Nations Unies, force Barkhane et européenne Takuba).  Les méthodes et modes d’actions des groupes paramilitaires ne sont pas très regardants sur les questions de Droits de l’homme et des lois qui régissent la guerre.  En effet, le groupe Wagner est accusé en Centrafrique de nombreuses exactions contre les civils’’, a déclaré le spécialiste de défense et de sécurité. 

Pour sa part, le colonel Mamadou Samb, Directeur des formations du Centre des hautes études de défense et de sécurité (CHEDS) de Dakar, estime que le recours au groupe de sécurité privé russe pourrait permettre aux forces de sécurité maliennes de gagner en efficacité face aux djihadistes. Toutefois, il appartiendra aux responsables maliens, s’ils décident de travailler avec le groupe Wagner, de fixer des règles d’engagement pour éviter tout dérapage et autres bavures susceptibles de marquer les actions du groupe paramilitaire russe.

‘’Le groupe Wagner ne pourra être qu’un prestataire du gouvernement malien. Le risque de dérapages et de bavures contre les populations civiles existe. Lorsque l’on traite des problèmes opérationnels à travers un intermédiaire, ça peut causer quelques difficultés. Donc, il appartient aux responsables d’assurer un contrôle sur les règles d’engagement du groupe Wagner, s’ils décident de travailler avec eux’’, a conclu l’officier supérieur.

Historique du groupe militaire Wagner

Fondée par Dmitri Outkine, un ancien du GRU (renseignement militaire russe) avec l’appui de l’homme d’affaires Evguéni Prigojine, un proche du Kremlin, la société militaire privée (SMP) russe Wagner a été créée en 2014, dans la foulée de l’intervention russe dans l’est de l’Ukraine (Donbass). La société de sécurité militaire a eu recours au mercenariat, lors de la guerre du Donbass et la guerre civile syrienne, mais aussi dans d'autres zones de conflits, notamment en Afrique : Centrafrique, Mozambique, Soudan et Libye.

Le groupe a deux rôles : fournir au Kremlin une possibilité de déni lors du déploiement de combattants dans des zones de guerre et servir d’outil tout prêt pour renforcer son influence auprès d’États réceptifs. Cette organisation paramilitaire est liée au gouvernement russe dans le but d'assurer la défense des intérêts extérieurs de la Russie. Ses effectifs sont largement flous, mais pour les spécialistes, ils varient entre 2 500 et 4 000 éléments. 

Même si le groupe se défend d’être le bras armé du Kremlin, sa présence dans tous les théâtres d’opération extérieurs où les intérêts russes sont engagés peut prêter à confusion.

MAKHFOUZ NGOM

Section: