Publié le 29 Apr 2013 - 09:35
L’ACOMPTE D’IMPÔT A L’IMPORTATION :

 Un garrot contre la fraude fiscale, un bouclier pour l’economie

 

L’acompte d’impôt à l’importation a entraîné une levée de boucliers de certains importateurs. Depuis quelques jours, des commerçants importateurs, appuyés par le collectif des transitaires, ont menacé d’augmenter les prix des produits soumis à l’acompte d’impôt sur importation. Ils ont décidé de répercuter l’acompte sur les prix de vente au motif que l’État, à travers le Code Général des Impôts, a institué une nouvelle taxe. Dire que l’acompte est une nouvelle taxe est une tentative de désinformation de l’opinion et ces sorties ne constituent qu’un moyen pour contrer les stratégies d’élargissement de l’assiette fiscale et de lutte contre la fraude fiscale.

 

L’acompte est un garrot destiné à arrêter l’hémorragie causée par la fraude fiscale, un moyen d’élargissement de l’assiette, une question d’équité, d’égalité et de justice fiscale mais également un bouclier de protection de l’économie formelle qui s’acquitte de ses obligations fiscales.

 

La fraude fiscale, consubstantielle à l’impôt, est aujourd’hui combattue partout dans le monde. Des stratégies les plus simples aux plus complexes, certains acteurs de l’économie cherchent toujours à se soustraire du paiement de l’impôt qui est un prélèvement obligatoire destiné à la couverture des charges publiques. Aucun État ne peut mettre en œuvre sa politique en l’absence de ressources publiques dont une grande part provient de l’impôt. Les pays développés comptent essentiellement sur les ressources fiscales, à plus forte raison les pays en voie de développement.

 

Pour faire face à l’augmentation de leurs charges, certains États (comme la France) ont opté pour l’imposition de certains revenus qui jusque-là sont non soumis à l’impôt, tandis que d’autres font le pari d’augmenter les taux d’impositions existants, pour répondre à la demande sociale sans cesse croissante. Cela justifie l’importance de la lutte contre la fraude fiscale qui est au centre des préoccupations de tous les États, même les plus développés. Ces derniers sont d’ailleurs en train de mener une lutte farouche contre les paradis fiscaux qui permettent à leurs citoyens de se soustraire à leurs obligations fiscales et de porter une atteinte considérable à leurs ressources publiques.

 

L’acompte d’impôt à l’importation : un moyen efficace d’élargissement de l’assiette et de lutte contre la fraude.

 

L’État du Sénégal a opté, quant à lui, pour une stratégie d’élargissement de l’assiette fiscale en l’accompagnant d’une diminution des taux de l’impôt sur le revenu. La nouvelle loi 2012-31 du 31 décembre 2012 portant Code général des impôts (CGI) illustre cette option. Les taux d’imposition des personnes physiques (salariés, commerçants, prestataires, producteurs, professions libérales, etc.) ont fortement diminué avec la réforme du CGI. L’impôt sur le revenu était constitué de deux droits (un droit proportionnel et un droit progressif). Avec la réforme, le droit proportionnel a été supprimé et l’impôt sur le revenu ne porte plus que sur un seul droit progressif par tranches remaniées à l’avantage du contribuable. Évidemment, la diminution d’un taux d’imposition n’est ressentie que par ceux qui payaient correctement leurs impôts. Et, ceux qui ont jusque-là échappé au paiement de l’impôt ne peuvent s’y intéresser. Quelque soit le taux, le montant d’impôt payé par ces importateurs qui ne déclarent pas est de zéro (0).

 

L’élargissement de l’assiette fiscale répond au principe d’équité fiscale ou d’égalité des citoyens devant les charges publiques. Ces dernières sont réparties entre les citoyens en fonction de leurs capacités contributives. Pour pouvoir réduire l’impôt supporté par ceux qui déclaraient et payaient correctement, sans réduire le niveau de mobilisation des ressources publiques, il faut impérativement appréhender ceux qui, volontairement ou involontairement, ne s’acquittaient pas de leur devoir fiscale. L’institution de l’acompte de 3% sur les importations de certains produits constitue une des stratégies pour soumettre à l’impôt, des personnes qui détiennent des revenus importants et qui ne contribuaient pas convenablement à l’effort de mobilisation des ressources.

 

Cette mesure est prise en application de la directive n°07/2001/CM/UEMOA du 26 novembre 2001 portant régime harmonisé de l’acompte sur impôt assis sur les bénéfices. Cette directive indique au 2ème alinéa de son article 1er que : ''ce prélèvement constitue un minimum d’imposition des entreprises non assujetties au régime d’imposition réel et contribue à maîtriser l’assiette fiscale des petites et moyennes entreprises''. Le champ d’application de la directive va plus loin que le Code général des impôts du Sénégal. La directive prévoit un taux compris entre 3% et 5% qui devrait s’appliquer aussi bien aux importations qu’aux achats locaux. Le Sénégal a choisi le taux minimum de 3% et soustrait les achats locaux du régime de l’acompte.

 

Certains importateurs utilisent tous les moyens possibles pour ne pas payer correctement les impôts. Grâce à la retenue à la source, les travailleurs salariés ne peuvent éviter le paiement des impôts dus tandis que des importateurs échappent beaucoup plus facilement ; astreints à l’obligation de déclaration de leurs revenus, ils minorent les bases d’imposition ou se gardent simplement de procéder à ces déclarations. Ils utilisent des moyens tels que les prête-noms pour ne pas être appréhendés par l’Administration fiscale et, il arrive que des opérations d’importations au profit réel et effectif d’une seule personne se fassent avec des noms différents.

 

Il sera souvent difficile à la limite impossible pour l’Administration fiscale, après que ces personnes aient dégagé et dépensé ces revenus parfois très importants, de les poursuivre afin de les soumettre correctement à l’impôt. Voilà pourquoi, le nouveau Code général des impôts a institué l’acompte de 3% sur les importations de certains produits et s’est conformé ainsi à la directive de l’UEMOA.

 

Il ne s’agit pas d’une taxe qui devrait se répercuter sur le prix de vente des produits. Il ne s’agit pas d’une nouvelle imposition qui s’applique aux importateurs encore moins d’une surtaxe, d’un droit d’accises ou d’une taxe spécifique. Il s’agit juste d’une avance sur un impôt déjà existant et dont le taux a, du reste, baissé. L’acompte BIC est une modalité de recouvrement de l’impôt sur le revenu qui a toujours existé dans notre arsenal fiscal. Il consiste à étaler le montant à payer par l’importateur par une première avance au moment de l’importation. A la fin de chaque année, l’importateur détermine le montant d’impôt dû et défalque l’avance effectuée au moment de l’importation. Si la somme due est supérieure à l’avance versée à l’importation, le reliquat lui sera réclamé. Et si cette somme est inférieure à l’avance, l’excédent de l’avance sur l’impôt calculé sera restitué à l’importateur qui peut aussi le faire valoir en crédit d’impôt sur ses prochaines déclarations.

 

Les importateurs immatriculés au Centre des grandes entreprises, qui déclarent leur impôt et qui sont soumis à des contrôles périodiques, sont exemptés de l’acompte BIC. Au demeurant, un importateur qui a l’intention de payer correctement ses impôts devrait accueillir avec bienveillance l’acompte de 3% qui lui permet d’étaler le paiement de ses impôts en plusieurs versements. L’importateur malintentionné criera à tout va qu’il s’agit d’une nouvelle taxe en menaçant d’augmenter le prix des denrées alors qu’au contraire, son impôt a diminué.

 

C’est l’image d’un commerçant qui menace d’augmenter son prix de revente parce que son fournisseur, pour se prémunir des risques d’impayés, lui demande de déposer 3% du prix d’achat d’une marchandise avant livraison. Ou, du salarié qui réclame une augmentation de salaire au motif que son IR est retenu à la source.

 

L’acompte d’impôt à l’importation : Un mécanisme de protection de l’économie formelle de promotion d’une saine concurrence.

 

Les importateurs immatriculés aux Centre des grandes entreprises ne le paient pas, ceux qui n’y sont pas immatriculés mais dépendent d’un autre Centre des services fiscaux doivent s’en acquitter, mais ont droit à un remboursement si l’acompte payé à l’importation est supérieur au montant de leur impôt. Il reste les importateurs qui ne sont pas dans un de ces cas et qui sont inconnus de l’Administration fiscale, en termes plus clairs, ceux qui ne déclarent pas. Cette catégorie d’importateurs, jusque-là, ne payait pas d’impôts et du coup pouvait vendre moins cher que les importateurs formalisés.

 

Cette situation constituait une distorsion sérieuse aux règles de la concurrence, donc une menace pour le tissu économique formel qui, au demeurant, génère beaucoup d’emplois. Cette mesure permettra de corriger les biais liés à l’imposition disproportionnée des activités d’entreprises évoluant dans le même secteur et qui ont la même catégorie de revenus.

 

Il est très commun d’observer dans certaines rues de quartiers dakarois des déchargements de conteneurs de marchandises parfois dans des maisons. L’Administration ne peut mettre derrière chaque commerçant, derrière chaque conteneur, derrière chaque magasin, un agent. Le meilleur moment de les appréhender c’est avant qu’ils n’enlèvent les marchandises destinées à la revente.

 

A défaut de se formaliser, ces commerçants doivent s’adapter à l’acompte et faire preuve de civisme fiscal, plutôt que de menacer de répercuter cette mesure qui ne grève en rien le coût d’achat, sur le prix aux consommateurs. En tout état de cause, tous les commerçants importateurs immatriculés dans les registres de l’Administration fiscale n’ont aucune raison de hausser leurs prix, puisqu’ils ont une garantie qui consiste en la possibilité de se faire rembourser le trop perçu d’impôt ou faire valoir un crédit d’impôt. Tout commerçant qui hausse ses prix sous le prétexte de cet acompte BIC avouerait, par cet acte, être en marge de la fiscalité et risquerait d’être moins compétitif en vendant plus cher. C’est un choix commercial cornélien qui s’impose à lui ; au-delà du fait qu’il devrait faire l’objet d’une plus grande surveillance de la part de l’Administration fiscale.

 

Pourtant, le législateur fiscal leur a ouvert la possibilité de bénéficier de la loi 2012-33 du 31 décembre 2012 portant aide à la régularisation fiscale. Cette loi promulguée en même temps que le CGI accorde l’abandon des pénalités à toute personne, jusque-là inconnue de l’Administration fiscale, qui prend spontanément l’initiative de s’adresser à l’Administration en vue de régulariser sa situation. Il se voit alors ouvrir un dossier fiscal tout en bénéficiant de conseils gratuits et d’un accompagnement continu.

 

L’acompte BIC de 3% n’est pas une taxe nouvelle, juste une avance de l’impôt sur le revenu de l’importateur. Le répercuter sur les prix revient à faire supporter son impôt personnel aux consommateurs. Les bienveillants ne devraient pas s’en offusquer ou menacer d’augmenter le prix d’autant plus que cela s’est accompagné d’une baisse du taux d’imposition. C’est une question de justice, d’égalité et d’équité fiscale.

 

Maguèye BOYE,

magboye@yahoo.fr

 

Dakar, le 21 Avril 2013

 

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