An 1,Présidence Diomaye FAYE

1960-2025. Plusieurs pays en Afrique commémorent cette année le 65ème anniversaire de leur accession à la souveraineté internationale. Au Sénégal, le défilé de la fête nationale de l’indépendance du 04 avril s’est tenu sur le boulevard De Gaulle nouvellement rebaptisé, par les autorités, Boulevard-Mamadou DIA, du nom de l’ancien Président du Conseil et figure importante de l’Histoire politique du pays. L’édition de cette année coïncide avec la première date d’anniversaire du nouveau pouvoir incarné par le Président de la République Bassirou Diomaye FAYE, élu à la suite de sa victoire au premier tour du scrutin de mars 2024 lors de l’élection présidentielle, avec 54,28% des suffrages valablement exprimés.
Portées aux responsabilités par le peuple sénégalais, dans ses composantes sociales diverses, à l’effet de répondre convenablement à ses aspirations légitimes – une gouvernance démocratique empreinte d’éthique, respectueuse des libertés fondamentales des citoyens, et adossée à l’idéal d’une société plus juste et prospère ancrée dans les valeurs fondamentales du Panafricanisme –, les autorités ont élaboré et publié le document de référence des politiques publiques « Sénégal 2050 : Agenda National de Transformation ». Ce référentiel des politiques publiques révèle la vision du nouveau pouvoir exécutif sénégalais et son ambition de procéder à une transformation systémique du pays. Une vision qui se réfère à un triptyque de valeurs, en langue Wolof, « Jub, Jubal, Jubbanti » littéralement « Probité, Transparence, Redressement ».
Cette première année d’exercice du pouvoir à Dakar est marquée par plusieurs événements. D’abord, la composition du gouvernement, 25 ministres et 5 secrétaires d’État – pour répondre certainement aux exigences citoyennes d’une équipe relativement moins grande –, toutefois, avec une faible représentation des femmes, avec à la Primature M. SONKO, leader du parti au pouvoir, qui a vu sa candidature à la Présidentielle de 2024 compromise, à la suite de sa condamnation pour « corruption de la jeunesse ».
Puis s’en est suivie, l’organisation des assises de la justice. Ce dialogue national sur la réforme et la modernisation de la justice – après la crise politico-judiciaire que le pays a connue à partir de 2021 et qui a fini par altérer la confiance des citoyens envers le pouvoir judiciaire – a vu la formulation de plusieurs recommandations, notamment la mise en place d’une Cour constitutionnelle et le retrait du Chef de l’exécutif de la nouvelle organisation du Conseil supérieur de la magistrature.
De surcroît, dans l’intention de rationaliser les crédits budgétaires, deux institutions consultatives jugées inutiles ont été supprimées, nommément le Haut conseil des collectivités territoriales ainsi que le Conseil économique, social et environnemental par la nouvelle majorité qualifiée à l’Assemblée nationale issue de la victoire de la mouvance présidentielle, lors des élections législatives de novembre 2024, à la suite du rejet initial du projet de loi de dissolution de ces institutions, par la précédente majorité parlementaire du Président de la République sortante.
Par ailleurs, l’An 1 du pouvoir s’est singularisé par la mise en place d’une plateforme numérique par le gouvernement pour l’enregistrement des organes de presse, dans le cadre d’un assainissement et d’une restructuration du secteur, et la publication de la liste des médias reconnus et conformes à la réglementation ; la reddition des comptes avec l’installation du pool judiciaire financier pour la lutte contre la corruption et la délinquance économique et financière, la publication des rapports de l’inspection générale d’État et de la Cour des comptes ; l’adoption de la loi portant interprétation de la loi d’amnistie ; l’entrée du Sénégal dans le club des pays producteurs d’hydrocarbures, à la veille d’un monde post-énergie fossile dû au réchauffement planétaire.
Mais encore, sur le plan diplomatique par les déplacements du Chef de l’État à l’étranger et de son Premier ministre. Après une tournée dans les différentes capitales africaines, Bassirou Diomaye FAYE a pris part à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’été 2024, à Paris, durant laquelle, il a attiré l’attention sur le racisme et la xénophobie. De plus, le Président de la République a été reçu par le Chef de l’État chinois Xi Jinping, en visite d’État, à Beijing, en marge du Forum sur la coopération sino-africaine (Focac). Le Focac 2024 a été présidée conjointement cette année par le Sénégal et la Chine. En revanche, le Chef de l’État sénégalais n’a pas honoré de sa présence la 19e édition du Sommet de la Francophonie.
Pour conclure sur la liste des faits marquants de cette première année au pouvoir, nous pouvons rappeler la commémoration du « Massacre de Thiaroye 44 », avec la reconnaissance officielle par l’État français, du carnage commis par les forces coloniales, le 1er décembre 1944 ainsi que l’annonce du départ des derniers éléments militaires français.
Après une année d’exercice du pouvoir, les autorités se confrontent à la pluralité des différentes contraintes. En premier lieu, la floraison des partis et mouvements de soutien de la coalition au pouvoir ainsi que la présence de groupes d’intérêt, souvent antagoniques aux préoccupations de la masse populaire, conduisent les autorités à maintenir la structure administrative de l’État, à privilégier la nomination aux différentes fonctions politiques sans réel objectif d’efficacité dans le fonctionnement des administrations et la satisfaction des aspirations populaires. En second lieu, le Sénégal est confronté depuis plusieurs décennies à des déficits : budgétaire primaire, commercial et balance des paiements. A cela, avec une dérive de la dette publique, environ 100% du PIB, le Sénégal, à l’instar de nombreux pays en Afrique, reste sous la contrainte permanente de l’extérieur avec un déficit budgétaire de plus de 10% et une frigidité de l’instrument monétaire, réduisant considérablement les marges de manœuvre des pouvoirs publics.
Avec des dégradations successives de la note souveraine attribuée par les agences de notation, notamment Moody’s et Standard & Poor’s, à la suite de la conférence de presse du gouvernement, dans un exercice de transparence, et de la publication des différents rapports d’audit – Inspection générale d’État et Cour des comptes – sur l’état des finances du pays, le renchérissement des taux de crédit et la baisse de l’attractivité des investissements étrangers ont provoqué un environnement économique morose et laissé planer une politique d’austérité susceptible de déclencher de futures crises sociales. L’avenir nous édifiera de la pertinence de cet exercice de transparence des autorités sénégalaises. En général, au sujet des finances publiques, souvent pour diverses raisons, les gouvernements n’ont pas coutume de rapporter toujours des informations complètes et dans la plus grande transparence.
Les sempiternelles missions du Fonds Monétaire International trahissent la ferme volonté des autorités politiques à maîtriser réellement le système économique et à exercer relativement leur souveraineté. En réalité, depuis 1979 et les premières politiques de stabilisation suivies de celles des ajustements structurels, les institutions de Bretton Woods, bras séculier de l’impérialisme occidental, n’ont cessé d’imposer des choix politiques aux États qui anéantissent le bien-être des populations de ces pays. Par ailleurs, aucun État africain n’a réellement cherché à avoir une maitrise de son environnement, à réunir les conditions requises à l’accumulation primitive du capital, ni à ériger un cadre politique, culturel et social propice à l’éclosion des connaissances scientifiques et techniques socles de la créativité, de l’innovation et de la productivité.
Au-delà de la mal-gouvernance et du laxisme dans la gestion des affaires publiques, la situation constamment peu reluisante, des finances publiques des États en Afrique subsaharienne, est due également au faible niveau de production rationnelle de richesses, par des acteurs bien identifiés par les administrations publiques, susceptible de créer des recettes fiscales considérables. En effet, les économies africaines, plus spécialement celles au sud du Sahara, sont largement dominées par des activités peu productives et majoritairement issues du secteur dit informel.
Pour améliorer le pouvoir d’achat de la population, le gouvernement sénégalais s’enlise dans sa volonté de faire recours à la réduction des prix des biens et services comme instrument économique au détriment de la production. Une telle politique amenuise souvent les marges des entreprises, réduit leur capacité d’investissement et les dissuade à fournir de nouveaux emplois. Pourquoi faire de la baisse des prix des produits, même ceux de première nécessité, une mesure d'efficacité des politiques économiques ? C'est une illusion voire une méconnaissance de la formation des prix dans une économie de marché mondialisée, outrancièrement financiarisée et où les États importateurs nets bénéficient de peu de marges de manœuvre. Le gouvernement sénégalais devrait plutôt inviter les populations à opérer elles-mêmes le changement qu'elles souhaitent dans le pays. Pour cela, il est essentiel de rendre le pays apte au progrès économique, à travers une attractivité et une sécurisation des investissements, des hommes et des femmes bien formés et disposés à être productifs grâce à la discipline, l'éthique et la compétence mais surtout par une foi collective en un avenir en commun radieux possible.
L’absence du Chef de l’État au sommet de la Francophonie, organisation pensée ou inspirée par le premier Président de la République du Sénégal et dont son successeur fut le Secrétaire Général, au lendemain de la première alternance politique du pays, n’a pas été une idée lumineuse. Le Chef de l’État participera-t-il à la prochaine édition ? Le Sénégal se retirera-t-il de la Francophonie incessamment ? En politique, il est fondamental de commencer toujours par se donner les moyens de ses combats. Le volontarisme et l’activisme ne suffisent pas. Une telle décision politique contente certes les militants de l’anti-occidentalisme primaire mais est peu porteuse de dividendes. L’adversité permanente est nuisible à la coopération, aux investissements et à la productivité. Le Sénégal a besoin de stabilité et d’investissements massifs publics et privés. Et la France ainsi que les pays de l’Union Européenne, dans une très large mesure, en dépit de notre passé commun douloureux et non encore soldé, restent des sources d’investissements directs étrangers très importantes pour le pays.
De même son absence à l’investiture du Président de la République du Rwanda, Paul KAGAME où il fut représenté par son Premier ministre. KAGAME a été le premier Chef d’État africain reçu, à Dakar, en mai 2024. En outre, il demeure un acteur important et influent sur la scène politique continentale et a souvent associé le prédécesseur de Bassirou Diomaye FAYE sur divers sujets. En illustre, l’invitation de Macky SALL à Kigali lors du Next Einstein Forum ou de l’inauguration de l’usine de BioNTech Africa – unité industrielle dédiée à la production de divers vaccins en Afrique – ou encore leurs différents échanges sur des sujets d’intérêt commun. Par conséquent, le Sénégal a raté une belle opportunité diplomatique pour pouvoir jouer un rôle symbolique voire significatif dans les différends politiques qui opposent Kigali et Kinshasa.
Dans le même registre des maladresses, la précipitation ou la faible évaluation des rapports de force, à propos de la résiliation du contrat « Acwa Power » – pour la construction et l’exploitation d’une usine de dessalement –, entre Dakar et Riyad, où il a fallu l’intervention du Chef de l’Etat sénégalais pour sauver le projet après une première tentative vaine de son Directeur de Cabinet.
Pour la réussite du mandat présidentiel en cours, le Président de la République Bassirou Diomaye FAYE doit périodiquement se concerter avec les véritables forces de l’opposition pour une meilleure appropriation collective des politiques publiques qui transcenderont son mandat. Le triomphe d’une personnalité politique réside dans sa capacité à s’assurer que l’œuvre entamée sera poursuivie, dans ses grandes lignes, par un successeur empreint de valeurs républicaines et soucieux de la dignité des populations. De là l’impérieuse nécessité de procéder à une meilleure organisation des partis politiques. Hélas, les formations politiques privilégient peu la réflexion prospective pour étudier les différents enjeux et appréhender la complexité du monde. D’ailleurs, elles sont souvent constituées aux fins de participer à une majorité présidentielle afin de capter des sinécures. Pourtant, une fonction politique n’est pas une ligne supplémentaire à inscrire sur un curriculum vitae, un titre affiché sur un réseau social ou encore l’aboutissement d’une carrière professionnelle. Elle doit être assimilée à un sacerdoce et à un engagement pour être au service exclusif du bien-être de ses concitoyens. Par conséquent, elle doit échoir aux hommes et femmes de grande envergure par la profondeur de leur culture générale, de leur qualification pointue et de leur sens élevé de la responsabilité.
La sécurité et l’épanouissement du peuple sénégalais restent tributaires de la place du continent dans les affaires politiques du monde. L’Afrique est encore le seul espace où les populations se confrontent quotidiennement à l’insécurité. En illustrent le nombre de morts causé par les explosions fréquentes de camion-citerne transportant des produits inflammables dans les pays producteurs de pétrole, la pâle qualité de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur qui déteint sur tous les domaines de la vie sociale – la jeunesse flâneuse qui trouve refuge dans les jeux de hasard, s’abîme dans toutes sortes de drogue, les femmes travesties par la culture étrangère et transformées par les ravages des perruques, la dépigmentation et donc exposées au cancer et à un enlaidissement accéléré –, les erreurs médicales régulières dans nos établissements de santé entrainant le décès de patient sans sanction ni leçon tirée, etc...
Le monde vit des moments très complexes et porteurs d'angoisse sans mesure avec le retournement opéré par la nouvelle administration républicaine aux États-Unis et la persistance des conflits russo-ukrainien et au Moyen-Orient. Et l'Afrique reste encore inaudible et stérile. Les élites politiques africaines, plongées dans leurs petites luttes domestiques, sont insensibles au caractère mortel, à la réalité tragique des relations internationales. Les alternances politiques ont servi jusqu’ici, en général, à transférer les privilèges du pouvoir d’une clique à une autre. Aux peuples, il n’est souvent laissé qu’espérances brisées, endettement et humiliations. Les régimes politiques qui se sont relayés à la tête des pays n’ont pas été capables jusqu’ici à satisfaire les intérêts des populations africaines. Et le continent se révèle être le seul espace en marge du progrès. Les traversées honteuses de la Méditerranée et la nouvelle route migratoire vers les États-Unis par l’Amérique centrale sont les symboles de cet échec patent. Face à la lenteur et la faiblesse des régimes civils et militaires africains, dans la prise en charge effective des revendications légitimes des populations, la prochaine vague de protestations risque d’emporter tout sur son passage.
Adama THIAM