Publié le 30 Sep 2024 - 12:21

LE SENEGAL MALADE DE SON ETAT

 

Le naufrage du bateau « le Joola », le 26 septembre 2002, procède d’abord et avant tout de la volonté divine qui est à la source de toute chose, sur terre, sur mer, sur les airs et dans les endroits inconnus des humains. Mais, Dieu, étant Juste, n’agit pas sans cause. Comme l’enseigne le Coran, toute tragédie vécue par une communauté de croyants trouve son origine dans les déviations de la voie droite de certains de ses membres, non dénoncées ni corrigées par leurs collègues. Le silence des hommes religieux sur les comportements de leurs compatriotes est ainsi inacceptable. Car, Dieu, qui préfère punir ici-bas ses amis croyants, de façon à expier leurs fautes dans l’au-delà et les faire entrer au paradis, envoie alors à la communauté une épreuve douloureuse qui peut atteindre certains vertueux qui n’ont été nullement fautifs. Ces derniers bénéficieront ensuite de la miséricorde divine dans l’autre monde, comme le dit un hadith prophétique.

Mais, le Coran demande aussi aux croyants de ne pas provoquer leurs propres pertes par des comportements inadaptés (II, 195). Le croyant doit donc, à tout moment être sur ses gardes, assurer toutes les conditions de sa sécurité dont un humain peut posséder la maîtrise et mettre ensuite sa confiance en Dieu. Concernant le naufrage du « Joola », les éléments préliminaires publiés indiquent que ces préceptes n’ont pas été respectés.

En mettant en évidence une succession de fautes, le Président de la République Abdoulaye Wade a implicitement reconnu la responsabilité de l’Etat qui devra réparer les torts causés aux victimes du naufrage. Il a, par la suite, fustigé le comportement irresponsable de nos compatriotes qui, par des légèretés, s’exposeraient quotidiennement au danger. Ceci est vrai. Mais il y’a plus vrai encore.

En réalité, l’insoutenable légèreté de l’être sénégalais, pour paraphraser Milan Kundera, n’est qu’à l’image de celle de son Etat.

La dialectique des comportements de l’Etat et des citoyens est en effet une vérité immuable. L’Homme étant créé faible et porté naturellement vers la facilité, il ne peut s’astreindre à la discipline et à l’ordre que si la communauté dont il est issu en font des valeurs absolues et s’appliquent à les faire respecter.

Dans le cas du « Joola », les passagers-victimes, devant rejoindre Dakar dans les délais et ne disposant pratiquement que du bateau comme moyen de transport acceptable et abordable, se sont rués sur le « Joola », chacun ne pensant qu’à son propre sort et non à la charge totale du bateau. Parler de légèreté dans ce cas serait injuste, car c’est à l’Autorité du bateau qu’il appartenait d’arrêter l’embarquement de nouveaux passagers lorsqu’il eût estimé que le chargement maximum avait été atteint.

Au total, l’Etat a montré des insuffisances à trois niveaux : avant, pendant et après la tragédie.

Avant le naufrage, l’Etat a manqué de vision et de sens des priorités. Même si le conflit casamançais n’existait pas, le désenclavement de cette région naturelle, réclamée à cors et à cris par ses filles et fils, devait être considéré comme une urgence absolue à satisfaire. Le budget de l’Etat n’aurait aucune peine à financer l’achat d’un bateau neuf, considérant les énormes économies qui peuvent être tirées d’une rationalisation de sa gestion. Les nombreux atermoiements, dont la demande de rénovation du deuxième moteur du bateau ont fait l’objet, sont simplement inacceptables pour un dossier qui touche aux droits fondamentaux des citoyens à la sécurité et à la mobilité. En outre, le bateau n’aurait pas dû être mis sur mer, sans s’assurer au préalable que les conditions sécuritaires étaient remplies (état du matériel, chargement, conditions météorologiques, etc.).

Pendant le naufrage, les rapports préalables ont soulevé des défaillances dans l’alerte, l’inexistence de permanences, des problèmes de coordination entre services, tout ceci ayant conduit à un retard dans l’organisation et l’acheminement des secours aux passagers, dont certains témoins rapportent que certains continuaient de faire signe de vie dans le bateau dix-sept heures après le drame. Cinq mois plus tard, le « Joola » est toujours dans les eaux. Ce qui est incompréhensible dans les temps modernes.

En tout état de cause, la preuve est faite que notre dispositif de sécurité et de protection civile doit être entièrement refondu, de façon à le mettre aux normes internationales qui s’imposent à tous les pays quel que soit leur niveau de développement.

Après le naufrage, l’Etat a préféré indexer les citoyens et les menacer de sanction future, plutôt que d’engager sa propre réforme. Or celle-ci est le préalable et la première étape de tout chantier de transformation vertueuse des
Sénégalais. Que l’Etat commence donc par corriger ses propres faiblesses et remplisse rigoureusement ses prérogatives, et les Sénégalais suivront son exemple, de gré ou de force. 

Texte publié par Moubarack LO,

au lendemain du naufrage du bateau le Joola

en septembre 2002.

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