Publié le 21 Apr 2020 - 03:41
LOI RELATIVE A LA REDUCTION DES PRODUITS PLASTIQUES

Comment les industriels changent de paradigme

 

Le chef de l’Etat, Macky Sall, a promulgué, le 8 janvier 2020, la loi n°2020-04, relative à la prévention et à la réduction de l’incidence sur l’environnement des produits plastiques. Celle-ci entre en vigueur ce 20 avril 2020, soit trois mois après sa publication au ‘’Journal officiel’’ intervenue le 20 janvier 2020. Les acteurs se mettent au diapason.  

 

Dans une logique de prévention et de réduction de l’incidence sur l’environnement des produits plastiques, la loi n°2020-04 relative à la prévention et à la réduction de l’incidence sur l’environnement des produits plastiques a été promulguée. Certains industriels commencent à changer de paradigme. Les commandes de sachets en papier se multiplient. La responsable commerciale de la Société rufisquoise de sacs en papiers (Rufsac) de Dakar, Isabelle Fort, renseigne que leur société est en train de recevoir beaucoup de commandes. ‘’Les industriels commencent à venir vers nous, de temps à autre. Les Sénégalais attendent le dernier moment pour se rattraper. Là on est sur la préparation de ce boom, espérant que l’on pourra tenir le coup’’, dit-elle.

Une quantité suffisante est prévue. ‘’Satisfaire tout le monde, on ne saurait le dire. Vendre à 6 000 clients est différent de vendre à des millions. Là, on est dessus, on essaie d’avoir un stock important, au cas où les commandes se multiplient’’, souligne-t-elle.

En effet, les mentalités changent quant à l’utilisation du plastique. Ce que la responsable commerciale de Rufsac souligne. ‘’Il y a une prise de conscience. On a remarqué que les industriels commencent à changer de paradigme‘’, souffle Isabelle Fort.

Parmi la clientèle, il y a de nombreuses petites et moyennes entreprises (PME). Les femmes transformatrices évoluant dans le secteur de la microentreprise, notamment dans le secteur des fruits et légumes, ne sont pas en reste. C’est même la grande ruée vers l’emballage en carton. La trésorière du Réseau des femmes opératrices économiques (Refope) de Kaolack confirme et laisse perler quelques inquiétudes quant au coût d’achat. Lopy Dème estime que l’application ‘’subite’’ de la loi interdisant les sachets plastiques va poser ‘’d’énormes difficultés’’, sachant que les emballages en papier coûtent ‘’plus cher’’ et sont ‘’moins accessibles’’. ‘’Actuellement, cela va être difficile. C’est un sevrage brusque’’, estime-elle. La trésorière du Refope signale que 50 sachets leur reviennent à 500 F CFA, parfois 700 F CFA.

Actuellement, si elles disposent de ces emballages, c’est grâce au concours du Projet d’appui aux filières agricoles (Pafa) qui leur vient en aide. Sinon, elles ‘’ne pourraient pas y avoir accès’’, dit-elle. Madame Dème craint des difficultés, lorsque le Pafa se retirera. Puisque que les femmes transformatrices, dit-elle, sont souvent confrontées à des problèmes d’emballage et de commercialisation. Un phénomène, de tout temps, décrié. ‘’Nous utilisons ces emballages pour vendre des céréales. A part cela, des boutiques vendent l’unité d’emballage en carton à 50 F CFA. Nous trouvons le prix excessif. Nous serons obligés d’augmenter le prix de vente de nos produits’’, lance-t-elle.

Pareil pour les bouteilles en plastique qu’elles utilisent dont les 50 bouteilles leur reviennent à 8 500 F CFA. Toujours avec l’appui de Pafa, elles acquièrent une bouteille en verre à 450 F CFA. Celles-ci leur permettent d’écouler les sirops. Elle sollicite l’appui du gouvernement pour un accompagnement dans leur domaine d’activité.

‘’Il faut une concertation globale’’

Macoumba Diagne, Directeur général de la société industrielle Proplast, spécialisée dans le recyclage du plastique, est d’avis que la présente loi est complète et vient à son heure. Mais elle pourrait être inopérationnelle, dans le cadre de sa mise en œuvre. Il la trouve dure. ‘’Vu la situation économique et sociale du pays, on aurait pu interdire le plastique qui n’est pas nécessaire. Par contre, les sachets que l’on utilise pour les denrées alimentaires, comme l’eau en sachet, sont des produits qui ont un impact sur la santé publique. Parce que l’on sait que l’eau n’est pas très disponible dans toutes les régions’’, argumente M. Diagne. Pour qui le dialogue ne doit pas être rompu. Il suggère une concertation assez globale, avec l’ensemble des acteurs, car beaucoup de dispositions sont mises en place qui sont bonnes et qui ne pourront pas être appliquées. Car cela demande du temps.

Il donne l’exemple d’un Sénégalais qui doit acheter un produit avec un emballage en plastique et est au courant que s’il paye la bouteille, il doit aussi payer un montant pour la consigne. Dans ce cas, dit-il, on parle de responsabilité élargie du producteur. Il se demande si les producteurs ont assez de temps pour mettre en place tout le système qui leur permettra d’assumer leurs responsabilités.

Il y a aussi, selon lui, l’implication des communes dans la mise en place des points de collecte. ‘’Pour pouvoir mettre en place des points de collecte, il faut que les communes appuient et accompagnent, de même que le ministre de l’Environnement qui veut lutter contre la pollution plastique. Cela nécessite forcément une synergie d’actions. Le ministre ne pourra pas le réussir seul. Les entreprises, pareil, de même que les populations. Il faut que tout le monde s’y mette’’.

Il préconise de mettre les choses par palier, de mettre les acteurs autour d’une table et que chacun assume ses responsabilités, ‘’car le pays à ses réalités’’, dit-il.

‘’Avec la pandémie qui change la donne, il y a une réflexion qui est menée’’

Macoumba Diagne ajoute qu’il y a des mécanismes qui peuvent permettre de transformer la situation en opportunité. Il donne l’exemple de la formation des jeunes dans la collecte, la mise en place de nouvelles infrastructures dans le recyclage et la création de nouveaux produits fabriqués avec du plastique qui seront accessibles à toute la population. Cela, dit-il, peut régler le problème de la gestion des déchets. ‘’Un sac peut être fabriqué avec le sachet d’eau en plastique jeté dans la nature’’, dit-il.

En outre, le DG de Proplast invite les populations à changer de comportement et annonce que des concertations sont en cours. ‘’Une loi ne doit pas être faite sans être appliquée. ‘’Avec la pandémie qui change la donne, il y a une réflexion qui est menée’’, soutient-il.

Monsieur Diagne explique qu’il y a le plastique souple et le dur. Toutes les lois votées au Sénégal indexent le plastique souple, ajoute-t-il. ‘’La loi ne nous impacte pas trop, parce que nous travaillons sur du plastique (chaises, bassines et autres)’’, dit-il. Selon lui, pour combattre la pollution plastique, l’interdiction est une des solutions, mais pas la seule.

Innovations

Cette nouvelle loi comporte de nombreuses innovations. Elle repose, selon le ministre de l’Environnement et du Développement durable, Abdou Karim Sall, sur une stratégie holistique de réduction de la quantité de déchets plastiques produits et une modification des procédés de valorisation de ces déchets, avec pour objectif ultime l’élimination totale du stockage en décharge ou de la combustion partielle en incinération ou à l’air libre. Elle introduit l’interdiction de certains produits plastiques à usage unique ou produits plastiques jetables (tasses à jeter, plats à jeter, pailles, etc.). Le bannissement total des sacs plastiques sortie de caisses, la consignation des bouteilles en plastique, afin notamment d’améliorer la collecte de ces contenants, ensuite le recyclage, l’obligation pour les producteurs, au titre de la responsabilité élargie, d’assurer la gestion des déchets issus des produits qu’ils mettent sur le marché. L’obligation d’incorporer du plastique recyclé dans la fabrication de produits plastiques neufs. La création d’une taxe sur les matières plastiques non recyclables afin d’inciter à l’utilisation de matières plastiques recyclables. L’interdiction d’importer au Sénégal des déchets plastiques.

LOI INTERDISANT L’UTILISATION DES SACHETS PASTIQUES

Les détaillants s’inquiètent

Au marché ‘’Bou ndaw’’ de Pikine, beaucoup de détaillants ignorent l’existence d’une loi interdisant la production, l’importation, la détention, la distribution, l’utilisation de sachets plastiques de faible micronnage et à la gestion rationnelle des sachets plastiques. Ceux qui sont informés attendent un accompagnement de l’Etat pour faire face à cette nouvelle donne.

Ce 20 avril entre en vigueur la loi n°2020-04 du 8 janvier 2020 relative à la prévention et à la réduction de l’incidence sur l’environnement des produits plastiques, qui abroge et remplace la loi n°2015-09 du 4 mai 2015 relative à l’interdiction de la production, de l’importation, de la détention, de la distribution, de l’utilisation de sachets plastiques de faible micronnage et à la gestion rationnelle des sachets plastiques.

Au marché ‘’Bou ndaw’’ de Pikine, les vendeurs de charbon se préparent à la nouvelle donne. C’est le cas d’Amadou Diallo. L’homme, entre deux âges, soutient qu’il est au courant de la loi. De ce fait, il s’est mis à stocker du papier-ciment. ‘’J’achète les papiers-ciment dans le marché, parfois à 250 F CFA le kilogramme. Et je peux l’utiliser pour une journée’’, dit-il. Cette solution se révèle efficace et bénéfique, car les sachets plastiques lui reviennent à 1 000 F CFA la journée de travail, pour satisfaire sa clientèle. Quelquefois, les acheteurs apportent des récipients pour le charbon : c’est encore mieux.

En attendant, des sachets plastiques de couleur jaune et noir sont remplis de charbons et sont exposés à même le sol. Ils sont écoulés à 100 F CFA et à 200 F CFA. Conscient, dit-il, des conséquences de l’utilisation des sachets plastiques, il est prêt à changer de paradigme.

Par contre, un peu plus loin, Fatou Mbaye se montre surprise. Elle ignorait la nouvelle loi. Sur l’étal de la jeune dame, sont déposés des sachets de savon en poudre. ‘’Je n’étais pas au courant d’une telle loi. Si les autorités ne veulent pas qu’on utilise les sachets plastiques, elles doivent proposer des alternatives. On ne sait pas quoi faire. Je ne trouve pas les mots.

Pour nous détaillants, c’est une mauvaise nouvelle’’, laisse-t-elle entendre. Elle souhaite des mesures d’accompagnement, en lieu et place. Sokhna Oumy, vendeuse de poulets, affiche les mêmes craintes. ‘’On vend des poulets déjà déplumés et on utilise les sachets plastiques. Si on interdit cela, on ne saura quoi faire et on ne peut donner aux clients le poulet sans emballage ou emballés avec du papier. C’est impensable. Les autorités devaient penser à installer des usines de fabrication de papier. On est désolé’’, regrette-t-elle.

Même son de cloche chez Malick le boutiquier. Il estime que le gouvernement doit accompagner cette mesure. Il souligne qu’il n’est pas préparé à accueillir cette mesure d’interdiction.

Par contre, Oumar Diallo, un autre boutiquier, approuve la décision. A ses yeux, cette décision vient à son heure, car la pollution plastique impacte la nature. ‘’Nous ne pouvons que nous conformer à la loi, c’est pour tout le monde. Peut-être que les autorités vont remplacer les sachets plastiques…‘’, dit-il. Les clients aussi se posent des questions sur les alternatives aux sachets plastiques. Fatou Sall considère ainsi que toute loi doit être accompagnée.

AIDA DIENE

 

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