Publié le 5 Jun 2020 - 16:19

Macky Sall, notre maréchal Pétain national ou la république du galimatias

 

Pétain maréchal de France, héros de la première guerre mondiale, finit ses jours en prison pour avoir non seulement collaboré avec les nazis durant l’occupation, mais aussi à cause d’une personnalisation outrancière du pouvoir qui l’a conduit à commettre des atrocités au nom du redressement de la France. Chez nous, on a affaire à un chef de guerre qui, en l’espace de deux mois, a rendu les armes face à un ennemi certes redoutable, mais pas fatal sous nos tropiques. Pétain prétendait vouloir redonner la France aux Français, et il a signé l’armistice pour écourter les peines de ses compatriotes fortement éplorés par la déroute militaire. Macky Sall a voulu atténuer la souffrance de son peuple ébranlé et anesthésié par Corona, mais au final, l’opinion retient qu’on s’est servi du malheur du peuple pour enrichir des proches. Le comble est que le peuple préfère désormais affronter Corona, les mains nues, plutôt que d’obéir à un général visiblement borgne dans sa stratégie de guerre.

Mais le plus important dans l’histoire de Pétain pour nous Sénégalais de 2020, c’est moins l’armistice que le discours qui l’a préparée et qui mettait en cause une tare de la société française d’avant-guerre. Une société de délaissement, de courtisanerie et de grandiloquence : « Depuis la victoire, l'esprit de jouissance l'a emporté sur l'esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu'on a servi. On a voulu épargner l'effort ; on rencontre aujourd'hui le malheur ». Ce discours est prononcé le 20 juin 1940 soit deux jours après la signature de l’armistice. En vérité Pétain symbolise pour la France libérée la honte projetée sur autrui pour se dédouaner. L’homme qui a été « sauveur » de la France en 1917 a fini par faire « don à la France de sa personne » perdant ainsi son honneur et sa place dans l’histoire. Lui qui, pour remobiliser les troupes française en 1917, a dû faire condamner à mort 49 soldats (le nombre initial prévu était d’ailleurs 554 condamnés à mort pour mutinerie) finit lui-même à l’échafaud : il fut condamné à mort. Tenant compte de son âge cette peine fut commuée par de Gaule en perpétuité. 
 
Notre problème depuis la première alternance est le même que celui évoqué par Pétain : l’esprit de jouissance a tué chez nous l’esprit de sacrifice ! Si on a un Président comme Macky Sall, un président qui conduit si maladroitement ce pays de grands intellectuels comme Cheikh Anta Diop, Alioune Diop, Mamadou Dia, etc., c’est parce que nous, intellectuels, avons démissionné. Cloitrés dans nos espérances mesquines, chacun de nous trace un sentier minuscule et sinueux pour sa propre rédemption, ce qui déshérite la nation. Nous sommes incapables de nous regrouper, de faire des synergies autour de grands principes : le résultat est qu’une oligarchie médiocre et vorace nous dirige vers l’impasse. 
 
Aujourd’hui, Macky Sall balbutie, tâtonne et cafouille avec notre destin, parce que nous n’avons pas le courage et l’abnégation de lui tenir tête dans une dynamique collective. Nous sommes tous coupables, du moins responsables, des dérives de Macky Sall. Quand on préfère la compromission à la foi en ses propres capacités, on ne peut pas occulter ses responsabilités dans la décadence de son époque ou de son pays. Les élites de ce pays sont tous en situation d’urgence existentielle : appauvris par le système, ils sont en général dans l’espoir dramatique de trouver leur salut dans la politique.
 
Sartre n’avait dès lors pas tort de dire aux Français : « Jamais nous n'avons été aussi libres que sous l'occupation allemande ». Cette formule provocatrice et intentionnellement paradoxale par laquelle s’ouvre un article intitulé « La République du silence » publié dans Les lettres françaises du samedi 9 Septembre 1944 ne peut être pleinement comprise que lorsqu’on va à la page 566 de l’Être et le Néant où il explique ce qui suit : « Car être libre n'est pas choisir le monde historique où l'on surgit - ce qui n'aurait point de sens - mais se choisir dans le monde, quel qu'il soit ». Quelle que soit la situation dans laquelle on est plongé, c’est librement que nous la signifions ou pensons. Il y a toujours des possibles quelle soit notre situation qui, ne s’éclaire d’ailleurs que par nos projets, c’est-à-dire nos visées, nos choix. Pétain comme Sartre savait que la façon de vivre avant la guerre était un choix dont les conséquences sont la déroute des armées françaises. 
 
Mais Sartre voulait également mettre chaque français devant ses responsabilités : résister ou collaborer sont deux attitudes opposées, mais exprimant toutes les deux la liberté ! Il expliquait sa formule provocatrice en ces termes : « Puisque le venin nazi se glissait jusque dans notre pensée, chaque pensée juste était une conquête … puisque nous étions traqués, chacun de nos gestes avait le poids d’un engagement ». L’engagement : voilà l’expression qui exprime notre entière responsabilité dans la situation délabrée de notre pays ! Chez nous, c’est le venin de la corruption et du communautarisme qui s’est répandu dans nos esprits : chacun n’est préoccupé que par sa piètre promotion personnelle. Le résultat de cette supercherie universelle, c’est que le plus grand corrupteur devient le plus grand chef et ce, quelle que soit sa médiocrité. 
 
Je disais récemment à ami que la posture inconséquente du ministre de l’éducation et l’incohérence des discours et actes de Macky Sall m’inspirent une œuvre que je n’ai malheureusement pas le talent de composer : une pièce de théâtre intuitée « La république du galimatias ». Car c’est tellement embrouillé pour les citoyens que nous sommes que le supplice le plus pénible qu’on puisse nous infliger aujourd’hui est d’obéir à ce régime. Macky symbolise désormais notre propre déchéance : il nous gouverne selon nos tares et non par une quelconque vertu.
 
Comment peut-on convoyer des centaines d’enseignants en pleine pandémie (et dans les conditions que l’on sait) sans au préalable avoir la diligence de les tester au coronavirus ? La réponse n’est pas à chercher dans l’incompétence des ministres concernés, elle est plutôt à chercher dans le manque de courage du président lui-même. L’école n’était, dans cette affaire, que l’agneau sacrifice pour sauver la face devant la surenchère des religieux. La réouverture des écoles n’était qu’un prétexte pour occulter la reculade du gouvernement. Quand un homme se noie il ne s’aperçoit pas en général que tous les efforts qu’il fait l’enfonce davantage au fond de l’eau. Nous pouvons tous constater avec amertume et désolation le processus sinistre par lequel l’État perd sa substance régalienne, son essence morale qui fait son caractère majestueux, pour n’être plus qu’une énorme machine de collecte d’impôts et de répression des forces susceptibles de barrer la route à son insatiable appétit d’argent. 
 
L’État perd sa transcendance quand il perd l’autorité pour ne gouverner que par le pouvoir. « On est revêtu de l’autorité par les autres, elle inspire le respect, la confiance » disait fort justement Raimon Panikkar alors que « le pouvoir réside en moi, je suis plus puissant qu’un autre si je peux faire plus de choses que lui …». Qu’y a-t-il de plus noble que d’être revêtu de l’autorité par ses semblables ? Les derniers évènements montrent le différence entre l’autorité et le pouvoir : quand Serigne Mountakha a demandé le respect des mesures barrières dans la cité religieuse les fidèles se sont exécutés ; quand les jeunes ont commencé à manifester contre le couvre-feu, sa parole a suffi à les renvoyer chez eux alors que le pouvoir, malgré les forces de l’ordre, n’y a réussi que médiocrement. 
 
La faute n’est peut-être pas entièrement imputable à Macky Sall, nous sommes tous comptables de cette situation. Nous avons détrôné l’État au profit de nos convictions ou intérêts égoïstes ; nous l’avons désacralisé par nos conduites communautaristes, chauvines et irresponsables. Il nous faut travailler à réconcilier le pouvoir et l’autorité, à incarner l’autorité dans le pouvoir de l’État. La condition pour y arriver c’est l’exemplarité irréprochable de celui qui incarne l’institution. On ne peut pas, on ne peut plus élire n’importe qui au sommet de l’État. Donnons l’autorité à celui qui a le pouvoir et qu’il nous donne la dignité par laquelle nous lui conférons ce statut sacré. Le pouvoir peut être volé ou usurpé, jamais l’autorité.
 
L’une des conséquences inattendues de cette crise de covid 19 dans notre pays, c’est l’expression de plus en plus ouverte des communautés. Jamais notre nation n’avait montré autant de signes de fébrilité due à un menace de dissolution de la société dans les réflexes et préoccupations communautaristes. Il nous faut réapprendre à vivre en société,  à être des citoyens comme l’ont été les Grecs. Les Grecs vivaient avec leurs dieux, ils avaient l’impression d’être membres d’une communauté à la fois céleste et terrestre. La paideia grecque tant chantée n’est point un hasard. Quand l’individu sent en permanence la transcendance dans sa vie quotidienne, son éducation et sa culture sont pénétrées de valeurs formatrices absolument transcendantes et inaltérables. 
 
Dans un univers où les hommes côtoient des dieux, la vertu faire rarement défaut. Les Grecs avaient un côté divin et leurs dieux un côté humain. Ils nous faut refonder nos conduites de sorte à nous sentir, en toute circonstance, faire une confession devant Dieu. Les Égyptiens étaient beaucoup plus radicaux, ils avaient des dieux et non de simples rois ; disons qu’ils avaient des rois divins. Nous n’avons certes à copier les anciens, nous devons simplement nous inspirer de leur façon de vivre en société pour réhabiliter l’État et la république. Nous devons nous affranchir de nos partis et postures politiques pour nous retrouver autour de l’idéal d’une nation respectable, capable de se prendre en charge.
 
La pire décadence d’un homme doué de sens c’est d’attendre de l’État et de la politique les moyens de sa subsistance et son épanouissement. Nous ne serons dignes du Sénégal que le jour où jeunes et adultes cesseront de faire de la politique un gagne-pain, de se laisser hypnotiser par les combines des politiciens qui, comme des charmeurs de serpent, nous ôtent notre lucidité et notre dignité. Nous voulons chacun goûter aux délices du pouvoir comme de vieux chats borgnes et souffreteux, alors que nous avons la force de nous épanouir ailleurs. Cette maladie du pouvoir doit être soignée si nous ne voulons pas avoir un autre ou pire que Macky Sall en 2024 !
 
Ce dont notre pays a besoin en ce moment, c’est non d’un homme providence, mais d’un homme-dieu, c’est-à-dire à la fois transcendant et compatissant, détaché, mais fortement préoccupé par le bonheur de son peuple comme l’a suggéré Rousseau ; un homme qui, par le prestige qu’il a de commander, fera don de sa personne et de sa famille à la nation. La famille est l’entité envers laquelle tout homme d’État doit faire preuve d’ingratitude pour gouverner dignement une société. Le parti devra être la deuxième victime de l’ingratitude du rédempteur dont nous avons besoin ; et la communauté la troisième… Nos communautés ont les moyens de se prendre en charge et de vivre en parfaite intelligence avec l’État ; ce qui pose problème, c’est plutôt la posture de nos hommes d’État. Ce pays mérite mieux, le Sénégal mérite que nous lui sacrifiions nos folies individuelles, nos peurs ainsi que nos familles.
 
 
Alassane K. KITANE
 
Professeur au Lycée Serigne Ahamdou Ndack Seck de Thiès
 
Président du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal
 

 

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