Publié le 25 Sep 2013 - 19:17
MALAL TALLA ALIAS FOU MALADE

‘’L'Etat de grâce est terminé’’

 

 

De Kolda où il se trouvait hier dans le cadre du projet ‘’dox ak sa gox’’, le rappeur et membre du mouvement Y en a marre Malal Talla alias Fou Malade a échangé avec ENQUÊTE sur différents sujets. La pénurie d’eau étant au centre. Demandant des solutions immédiates et définitives pour la résolution de cette question, le patron de Youkoungkoung qui parlait au nom du mouvement contestataire, est d’avis que Macky Sall, s’il ne prend garde, risque de faire face à un soulèvement populaire identique à celui égyptien.

 

 

Y en a marre est à Kolda au moment où les Dakarois souffrent de pénurie d’eau.

Y en a marre est sur le point de revenir pour quand même s’organiser et organiser toutes ces populations qui paient leurs factures d’eau normalement et qui ne sont pas normalement rationnées. Si avec Abdoulaye Wade c’était le problème de l’électricité, le problème de Macky risque d’être l’eau. Il faut éviter cela. Les gens ont besoin de l’eau pour se laver, pour cuisiner, et tout simplement pour vivre. C’est vraiment dire aux populations : ''Ne restez pas les bras croisés, sortez dans les rues, manifestez votre colère.'' Ce qui fait mal dans cette situation c’est que là, il ne pipe un seul mot convaincant. Il doit prendre ses responsabilités et surtout entretenir un langage de vérité avec les populations. Il faut qu’il respecte ces populations-là. C’est cela que ''Y en a marre'' attend de nos autorités. Aujourd’hui, ce que ''Y en a marre'' va faire, c’est d’organiser les revendications autour de ça comme on l'avait fait le 23 juin. On va dire aux populations : ''Écoutez, il est temps de se lever. On est en train de vivre un calvaire, une situation très très délicate. L’eau est capitale car indispensable à la vie. Les populations surtout en banlieue ne vivent pas bien. Le problème de l’eau actuellement touche presque tout le monde. Dans certaines campagnes, les gens n’ont même pas de forages. Et ces questions-là, il faut fondamentalement les régler. Des populations boivent de la mauvaise eau parce que celle qui leur est servie n’est pas de qualité. L’Etat a la responsabilité et l’obligation de servir les populations. Et cela ne va pas dans ce sens-là. Si l’Etat ne joue pas son rôle, c’est aux populations de se lever et de dire non. Aujourd’hui, on est aux phases de manifestations. On n’en est plus aux phases d’accalmie. Pour calmer les populations avec des discours, il faut que cela finisse une bonne fois pour toutes. La vie est chère. L’électricité coupe. On a des problèmes d’eau. Les jeunes ne travaillent pas. Il n’y a pas d’argent, etc. Si Macky ne fait pas attention, il peut connaître le phénomène Morsi. 

 

Vous ne voulez pas de discours de l’Etat, qu’attendez-vous concrètement des gouvernants ?

Ce que nous attendons, c’est qu’ils mettent les moyens qu’il faut pour trouver des solutions urgentes et équitables. C’est-à-dire répondre aux questions d’urgence. Gouverner, c’est prévoir. Mieux vaut prévenir que guérir. Pendant les campagnes électorales, les politiques sont là à promettre des montagnes d’or aux populations alors qu’ils n’anticipent pas. Si pendant cette période ils avaient mis des équipes qui réfléchissent sur comment régler les questions d’électricité par exemple, cela permettrait que les promesses soient tenues. Aujourd’hui, tout est au statu quo. Absolument rien ne marche. Il est temps que les Sénégalais se lèvent et disent non.

 

Vous voulez dire que vous ne pardonnerez plus rien à Macky Sall ?

On ne lui pardonnera absolument rien. L’état de grâce est terminé. Il faut que les choses bougent. Il faut que les jeunes travaillent. Il ne faut pas qu’on nous dise qu’on donne du travail aux jeunes alors que ce ne sont que les jeunes des partis qui composent l’attelage gouvernemental qui en bénéficient. Ce n’est pas bien. Les populations qui ont élu Macky Sall ne se réclament d’aucune idéologie politique. Les partis politiques ne mobilisent pas plus de deux millions de Sénégalais. Les autres qui ont voté ont aussi besoin de travail, d’être soignés, etc.

 

Vous comptez revenir à Dakar quand ?

On préfère ne rien dire. On est en train d’organiser un peu partout les populations dans chaque localité. Cela ne nécessite pas qu’on soit à Dakar, même si revenir à Dakar reste une priorité pour nous. C’est ce que nous avons fait quand il y a eu les coupures d’électricité ou encore les votes contre le ticket présidentiel. On avait arrêté la campagne sur l’inscription des jeunes sur les listes électorales. C’est ce que nous allons faire avec nos démembrements dans les différentes localités. Et les quartiers qui ont de l’eau ont un devoir de solidarité envers les autres.

 

La réaction de Y en a marre n’est-elle pas tardive ?

Il fallait quand même donner un temps à l’Etat. On avait dit que l’eau allait revenir dans quelques jours, il fallait donc attendre que le délai s’épuise. Il n’a pas été respecté. Des concessions se font partout. Mais là, il faut réagir parce qu’il est temps. Y en a marre est à l’écoute des populations.

 

Si la situation est réglée au cours de cette journée (ndlr hier) vous allez surseoir à vos manifestations ?

Bien sûr ! Quand tu te bats pour quelque chose et que tu obtiens un résultat satisfaisant, tu arrêtes ce combat pour te consacrer à autre chose. Maintenant, il arrive qu’on nous trouve de solutions très très rapides qui ne durent pas. Nous demandons des solutions définitives.

 

Pouvez-vous nous faire le point sur la tournée que Y en a marre est en train de mener ?

 

Dans le cadre des chantiers du NTS, le mouvement Y en a marre a lancé un programme d’observatoire de la démocratie et de la bonne gouvernance à Thiès le 28 août dernier. Cela concerne sept régions du Sénégal. Nous avons reçu un financement d’Oxfam qui nous aide à dérouler ce programme.

 

En quoi consiste le programme ?

Il consiste à pousser les populations à s’impliquer davantage dans la gestion de leur localité de manière revendicative mais aussi de manière participative. Revendicative, dans la mesure où on les pousse à s’imprégner, à demander c’est quoi le budget, le code minier ou encore celui des collectivités locales. On les pousse à poser les questions à leurs maires et à s’intéresser. Partout où on va, on installe un observatoire avec l’esprit Y en a marre de la localité. On veut pousser les populations à participer. Depuis avant-hier nous sommes à Kolda. Après, nous prévoyons d’aller à Kédougou puis Tamba. Nous allons revenir à Dakar avant de faire l’étape Saint-Louis, Matam, Ziguinchor.

 

Comment se passe la tournée ?

Elle se passe très bien. Nous avons rencontré hier les autorités koldoises à savoir le gouverneur, le préfet, le président du conseil régional, les délégués de quartier, les imams. Aujourd’hui, on a organisé un forum avec les populations pour discuter des problèmes de Kolda. On a essayé ensemble de trouver des solutions sans attendre les politiques. Notre objectif, c’est vraiment d'amener  les populations à se prendre en charge.

 

Pousser les populations à se prendre en charge, est-ce à dire que Y en a marre n’a pas confiance aux politiques ?

C’est toujours l’objectif de Y en a marre. Dès le départ, Y en a marre avait déjà dit qu’il ne pouvait pas laisser aux seuls politiques la gestion de la chose publique. Il faut donc intéresser le maximum de population à cette gestion-là parce que la première déclaration de Y en a marre et dans toutes ses déclarations, cela est dit. A travers ce programme ‘’dox ak sa gox’’, nous les impliquons et sensibilisons surtout les jeunes à prendre en main leur propre destin et dire aux populations d’être beaucoup plus exigeants dans la manière dont ils sont gouvernés. On ne peut pas se débarrasser des politiques mais plutôt l’on doit être beaucoup plus exigeant et vigilant à l’endroit des politiques. C’est une manière pour nous de mieux continuer notre travail d’alerte et de veille.

 

Vous l’avez tout à l’heure souligné que c’est Oxfam qui a financé ce programme. Les 94 millions versés font couler beaucoup de salive. Que répondez-vous aux différentes critiques émises ?

Oxfam est une ONG européenne. Ici, la société civile fonctionne avec l’argent des ONG. Beaucoup de projets du mouvement hip-hop, que cela soit avec Y en a marre ou en dehors, sont financés par des organismes étrangers. Si Y en a marre veut continuer à exister, il a besoin de chercher et de trouver des moyens en dehors du système. Si nous décidions de travailler avec l’Etat et qu’il nous donne ses moyens, il l’aurait utilisé autrement. Car, les Sénégalais n’ont pas encore compris que l’Etat n’est pas le parti. Jusqu’à présent, il n’y a pas de changements par rapport à cela. C’est le parti qui prime devant la patrie. C’est encore dangereux d’être accompagné par l’Etat pour des projets comme celui-là. Et les gens vont toujours dire que l’argent, ils l’ont eu de l’Etat. Nous ne cachons rien. Nous avons dit que nous avons reçu d’Oxfam un financement de 94 millions. La gestion de cet argent est confiée à Enda lead. Le mouvement n’a pas encore mis en place un dispositif qui puisse lui permettre d’avoir une comptabilité claire. C’est aussi pour inviter les gens à la transparence. Cela fait couler beaucoup de salive, c’est normal. Parce que les gens croient que quand tu reçois un financement de 94 millions, c’est pour s’acheter une voiture ou se construire une maison comme les gens ont l’habitude de faire. Nous savons que beaucoup d’organisations qui sont là et qui prétextent les préoccupations des populations n’en font que pour elles-mêmes et leurs poches. C’est très normal que Y en a marre soit critiqué. Y en a marre mérite d’être applaudi parce que quand il s’est agi de prendre des privilèges au niveau de l’Etat ,Y en a marre a dit non pour pouvoir rester vigilant et assurer sa mission d’alerte et de veille.

 

Qui paie, commande, dit-on. N’avez-vous pas peur de tomber sous le diktat de la communauté internationale ?

Non, on ne peut pas tomber sous le diktat de la communauté internationale. Nous ne fonctionnons pas comme ces sociétés civiles qui acceptent toutes les conditions de financement. C’est Oxfam qui est venue vers nous. On n’est pas allé vers Oxfam. Et quand Oxfam est venue discuter avec nous, c’est nous qui avons proposé un programme. Ils se sont intéressés à la pertinence de notre projet. Souvenez-vous après l’élection (ndlr la présidentielle de 2012) quand les gens se demandaient ce qu’allait devenir Y en a marre. Quand certains se disaient que le mouvement allait disparaître parce qu’Abdoulaye Wade est parti, que nous n’étions là que pour son départ. Alors que nous, nous avions déjà commencé à travailler sur les chantiers du nouveau type de Sénégalais. Dans ces chantiers, il y a l’environnement, la démocratie, la bonne gouvernance, l’entrepreneuriat, etc. Aujourd’hui, nous sommes en train de finir tous ces projets. Au-delà du côté revendicatif, ce mouvement a une plate-forme participative. Cela revient à stimuler et galvaniser les populations afin qu’elles s’imprègnent davantage dans la gestion de leurs localités. Pour cela, il faut commencer par la base. Commencer en bas pour aller vers le haut.

 

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