Publié le 19 Oct 2015 - 19:05
MARIE MBENGUE, ANCIENNE RESPONSABLE DU PDS

‘’Abdoulaye Wade est un traître’’

 

L’exclusion de Modou Diagne Fada des rangs du Parti démocratique sénégalais (Pds) pose le débat sur les relations toujours heurtées que le Pape du Sopi a toujours eues avec certains de ses responsables politiques. De Serigne Diop à Fada, que de responsables libéraux qui ont été exclus du Pds. Qu’est-ce qui explique cela ? La raison est toute simple pour Mme Marie Mbengue. Selon cette ancienne militante et responsable libérale, le problème du Pds, c’est Abdoulaye Wade lui-même. Dans cet entretien avec EnQuête, elle revient sur ses années de militantisme dans les rangs du Pds, fait des révélations fracassantes sur Abdoulaye Wade et demande à Modou Diagne Fada d’être conséquent jusqu’au bout dans la bataille engagée contre son mentor. Entretien.

 

En tant qu’ancienne militante et responsable libérale, comment appréciez-vous la situation au sein du Pds?

J’entends des gens dire que Fada est un traître. Qu’il n’obéit pas à son père. Qu’il a fait acte de désobéissance ou de rébellion. Mais tout cela, ce sont des histoires. Moi, je peux citer 16 personnes qui ont été dans le cas de Fada, des personnalités éminentes. De Serigne Diop à Fada, il y a eu au moins 16 à 20 personnes à qui on a créé des problèmes et qu’on a ensuite exclues. On leur a créé tellement de problèmes qu’elles sont parties. Les cas de Macky Sall et d’Idrissa Seck sont là, même si ce sont les plus récents. Abdoulaye Wade a eu plein de problèmes avec tout le monde. Et à chaque fois, ce qu’il fait, c’est de prendre quelqu’un qui est moins gradé ou moins ancien dans le parti pour l’opposer à celui qui n’acceptera jamais que ce quelqu’un soit devant lui.

Aïda Mbodj, en 2003, c’est Modou Diagne Fada qui l’a amenée au Pds, qui l’a trimbalée dans sa voiture lors d’un accueil de Wade à l’aéroport pour qu’elle puisse entrer au salon d’honneur. Elle dormait à Darou Mousty dans la maison de Modou Diagne Fada. Et quand on partait en caravane, moi, j’avais à l’époque une 406 et j’étais le Pca du Fonds de garantie automobile, Fada me disait : prends telle ou telle personne dans ta voiture, moi je prends Aïda Mbodj. Elle n’avait pas de voiture encore moins un chauffeur. Fada, à l’époque, était le répondant du Pds dans la région de Louga. Ce n’était pas Habib Sy ni personne. C’est lui qui faisait les listes avec les autres militants et personnalités de chaque ville.

Comment appréciez-vous la position d’Aïda Mbodji dans le duel Wade-Fada ?

Elle était dans la fronde et était comptée parmi les frondeurs. Par des techniques de Wade, Aïda Mbodj a accepté de jouer le jeu. Elle a trahi. Celle qui était dans la fronde et qui s’est retournée contre la fronde a trahi. Avant cette dernière trahison, c’est Fada qui nous l’a amenée dans le parti. Une fois, j’ai dit à Fada, on était chez Maniang Faye à Louga, tu nous as amené Aïda Mbodj, mais c’est elle qui disait Fantômas de Abdoulaye Wade. Fada me dit : oui, ma grande sœur, oublie ces choses-là, on a besoin de se renforcer et en politique, vaut mieux additionner que soustraire.

Quelle lecture faites-vous de la posture de Modou Diagne Fada ?

Modou Diagne Fada est conséquent avec lui-même. Moi, j’ai démissionné en 2005 de ce parti, parce qu’on a tenté de m’humilier. Ils m’ont agressée. Wade est au courant, j’étais hospitalisée. A l’hôpital, ma mère, la première femme qui a vendu une carte du Pds et a tenu le premier congrès des femmes du Pds à Kébémer, qui a fait la prison avec Abdoulaye Wade, après chaque élection, est venue me voir et dès qu’elle a vu mon état, elle a piqué une crise et est décédée. J’ai appelé Abdoulaye Wade, il était au Yémen. Il m’a dit : qu’est-ce que vous allez faire ? Je lui ai dit qu’on va aller l’enterrer à Kébémer. Il me dit : Je serai là-bas. On ne l’a jamais vu.

Jamais Abdoulaye Wade ne nous a présenté de condoléances personnelles, pour Adja Rama Diaw qui était, à la fois sa cousine et sa première militante et qui lui a donné un indéfectible attachement. Ça c’est de la trahison. C’est un traître. Pire, Boubacar Sall, lion du Cayor, a été malade d’un cancer, plusieurs fois hospitalisé à l’hôpital Principal. Tous, nous sommes allés le voir. Il a fallu qu’on insiste pour que Abdoulaye Wade aille le voir, parce qu’il avait des bisbilles avec lui, comme il fait avec Fada actuellement. C’est pour cela qu’il a reçu le traitement qu’il a eu aux obsèques de Boubacar Sall. Sa veuve ne s’est pas gênée de lui reprocher publiquement cela. Donc, celui-là ne peut accuser personne de traîtrise.

Avant Fada, Wade a eu des bisbilles avec d’autres responsables qui sont finalement partis. Qu’est-ce qui explique, selon vous, ces genres de situation ?

Le premier avec qui il a eu des bisbilles, comme il le fait avec Modou Diagne Fada, il s’appelle Baïla Amadou Moctar Wane. Puis, Serigne Diop qui était au Mouvement des élèves et étudiants. Il a eu des problèmes avec lui et ils ont été au tribunal, comme il veut faire avec Fada. Il y a eu Dame Kébé qui était le premier trésorier du parti. Il y a eu Fara Ndiaye, Me Doudou Ndoye, membre fondateur du Pds, Cheikh Sarr, ex-secrétaire chargé des affaires religieuses du Pds, Jean Paul Dias, Ousmane Ngom, Bineta Ba, la première responsable du Mouvement des femmes du Pds. Elle, c’est ma mère qui est allée la chercher à Tambacounda. Elle était infirmière.

Avant Aminata Tall, avant Awa Diop, c’est Bineta Ba qui a été la première responsable des femmes du Pds. Wade s’est levé un matin, en 1992, et dit que le parti, avec l’Internationale libérale, a besoin d’avoir quelqu’un qui a fait des études profondes à la tête du Mouvement national des femmes libérales et qu’il a quelqu’un sous la main et c’est Aminata Tall. Il a présenté sa candidature au congrès de 1992, mais cela n’a pas passé. Il y a eu des bagarres et le congrès a été dispersé. Pendant 4 ans, Abdoulaye Wade n’a pas adressé la parole à Bineta Ba qui continuait à venir chez lui, à le saluer et il refusait de lui répondre. Et moi, en 1996, je suis allée avec Bineta Ba chez lui. Je suis entrée et je lui ai donné la main. Bineta en a fait de même et c’était la première, depuis 4 ans, qu’il la saluait. Elle a été délaissée, reléguée au dernier plan, jusqu’à ce qu’elle attrape un cancer. Elle ne pouvait plus voir Wade qui était au pouvoir. Elle lui a adressé une lettre que Wade a bien reçue, sans jamais répondre.

Quand nous sommes allés voir Pape Samba Mboup, il nous a demandé de lui donner une copie de la lettre que je lui ai remise. Il n’y a eu aucune suite. Elle demandait simplement, après avoir vendu sa maison et tous ses biens pour se soigner, qu’on l’aide pour aller se soigner. Elle ne demandait que 10 millions pour pouvoir se soigner. Elle est partie finalement en Italie. Elle est morte là-bas et elle a été rapatriée. Le jour de son enterrement à Tambacounda, c’est Macky Sall qui a présidé aux cérémonies funèbres. Après, ses enfants sont venus me demander où était la maison de leur maman, parce qu’ils ne savaient pas qu’elle avait tout vendu pour se soigner. Elle a été humiliée et ces humiliations peuvent même être à l’origine de son cancer. Boubacar Sall a eu un cancer, Bineta Ba et Cheikh Sarr aussi. Les multiples humiliations peuvent même rendre malades les gens et les tuer.     

Ma fille Penda Kébé s’est immolée en Italie, à cause d’Abdoulaye Wade. Elle a été victime d’un complot ourdi par ses propres camarades de parti. On l’a battue, insultée et humiliée. Elle a été interdite d’accès à la mairie de Rome où devait se tenir une réunion du parti sous les ordres de la sécurité présidentielle. C’est comme cela que les choses se sont passées. Elle a fini par s’immoler et a perdu la vie. C’est dire que je n’ai connu que des malheurs au sein du Pds. Personnellement, j’ai subi des humiliations, pas de défenestration. Parce que quand Wade n’avait pas d’argent, moi j’en avais. Je suis enseignante d’université. J’ai été au Congo Brazzaville enseigner. Je suis notaire de formation, mais je n’ai jamais été nommée notaire. Abdou Diouf m’avait proposé cela, mais à cause de Wade, cela n’a pas abouti. J’ai sacrifié ma carrière pour Wade. D’autres l’ont fait. Donc, ce sont ces humiliations qui ont miné le Pds.  

Comment voyez-vous l’avenir politique de Modou Diagne Fada ?

Modou Diagne Fada a déjà eu une pareille mésaventure avec Abdoulaye Wade. Quand il a démissionné de son poste de ministre de l’Environnement, Abdoulaye Wade lui a demandé de revenir. Il ne voulait pas qu’il démissionne. Il voulait que ce soit lui qui l’humilie. Il a pris Thierno Lô qui n’était pas du Pds mais de Cdp/Garab gi, qui est de Darou Mousty, mais que nous ne connaissions pas dans le département de Kébémer sur le plan politique. Il a défenestré Fada du ministère de l’Environnement et y a mis Thierno Lô. Il a créé une dualité entre les deux. Il y a eu des affrontements à Darou Mousty et il y a même eu des morts.

Que conseilleriez-vous à Modou Diagne Fada dans la situation qu’il est en train de vivre ?

Qu’il soit conséquent jusqu’au bout. Dans la vie, il faut avoir des convictions. Il ne faut pas jouer et il ne faut pas accepter qu’on se joue de soi ou qu’on soit un instrument. Aïda Mbodj aurait dû refuser d’être l’instrument d’Abdoulaye Wade. Il n’avait qu’à choisir quelqu’un d’autre et attendre de voir s’il peut faire face à Modou Diagne Fada. C’est parce que Aïda Mbodj est présidente de Conseil départemental comme Fada et appartenait à la fronde qu’il l’a opposée à Modou Diagne Fada pour ensuite évoquer la parité à l’Assemblée.

Mais qui perd dans tout cela ?

C’est seul le Pds qui en pâtit avec ces cascades de soustractions. A ce rythme, le parti n’ira nulle part. Ils disent qu’ils tiennent le coup et déclarent souvent que leur candidat, c’est Karim Wade. Cela n’a aucun sens. Tout Sénégalais condamné à une peine de six mois ou plus, même assorti de sursis, est inéligible du fait de l’article 90 du Code électoral. Donc, les juges n’ont pas eu besoin de prononcer l’inéligibilité de Karim Wade.

Selon vous, pourquoi Abdoulaye Wade persiste-t-il à maintenir le choix de Karim ?

Il sait très bien que Karim n’est plus éligible. Mais il joue pour dire : voilà ! la démocratie est massacrée au Sénégal. Le candidat de mon parti a été déclaré inéligible. Même si Karim sort demain, s’il n’est pas amnistié, pas gracié, s’il dépose sa candidature pour être président de la République, mon pauvre cousin Karim va subir le Code électoral. Le Pds n’aura pas de candidat, s’il persiste dans le choix de Karim Wade.           

Pouvez-vous revenir sur votre militantisme dans les rangs du Pds ?

J’étais au Pds. J’étais membre du Collectif de femmes cadres. J’étais à la CIS (Cellule d’initiatives et stratégies) que dirigeait Macky Sall, en tant que président. Mais avant que Macky Sall n’arrive dans le parti, j’ai fait la Coordination des cadres avec les Cheikh Touré qui en était le président et autres. Puis, ils sont partis avec Ousmane Ngom créer le Pls (Parti libéral sénégalais) et ils nous ont laissés là-bas avec Macky Sall qui a demandé l’autorisation à Abdoulaye Wade de créer quelque chose qui pouvait regrouper les cadres. Parce qu’il n’y avait plus de structure des cadres. Tous les cadres étaient pratiquement partis avec Ousmane Ngom. Cheikh Touré, Marcel Bassène, bref tout le monde. C’est comme cela qu’avec moi, Marie Pierre Sarr, professeur à la faculté des Lettres de l’Ucad, qui sommes ses grandes sœurs, nous avons créé la CIS.

Quand est-ce que vous avez adhéré au Pds ?

Je connais Abdoulaye Wade depuis 1970, donc avant qu’il ne soit entré en politique. Avant le Parti socialiste, il était dans des structures comme le Club Nation et développement qui animait des conférences sur beaucoup de sujets d’actualité et je les suivais partout. Sur recommandation de Senghor à Abdou Karim Fall, il est venu après militer au Ps, mais à Kébémer ; et ma mère est sa cousine. Quand il est venu, il a présenté sa lettre pour appartenir à la coordination départementale.

A cette époque, il y avait Djibril Ndiogou Fall, le propriétaire de la Librairie papeterie du Sénégal (Lps)- c’est le premier libraire noir du Sénégal d’ailleurs- et Abdou Karim Fall qui a été secrétaire général d’Abdou Lahad Mbacké. Wade est venu militer. Il a essayé de constituer une coordination, mais au bout de deux ans, il n’a rien pu glaner comme secteur important. Et un jour, il a dit qu’il voulait faire un meeting. Mais le président de la coordination lui a dit que pour faire un meeting, il y avait des voies à suivre : c’est le président de la coordination qui donne l’autorisation, puis appelle les militants à y aller. Wade a répondu : oui, je suis professeur d’université, je suis riche, je suis indépendant. Il a fait son meeting.

Il y avait des gens comme ma mère, le vieux Mandoumbé Mbodj, le vieux Birahim Aïcha Tall ainsi que toutes leurs familles. Wade a tenu son meeting autour d’un petit cercle et eux (les dirigeants de la coordination de Ps) lui ont envoyé des vendeurs d’eau, des maures, le disperser. Il a pris la tangente. Ensuite, il a été avec Senghor dans une mission et a profité de cela pour le rencontrer dans l’avion et lui dire que son parti est antidémocratique. Qu’on l’a agressé à Kébémer. Il lui a dit : je veux créer un parti de contribution. Senghor a dit oui. Il a construit son parti et nous sommes partis avec lui, notamment, ma mère, Adja Rama Diaw. C’est elle qui a été la première femme responsable du Pds et le premier congrès des femmes du parti s’est tenu à Kébémer chez nous. 

PAR ASSANE MBAYE

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