Publié le 12 Oct 2012 - 15:37
POST-POINT

Arrêtons ce jeu de dupes !

 

 

Ainsi, Hollande va passer quelques heures chez nous, au Sénégal, pointe occidentale de l'Afrique, là où des millions d'Africains ont pris le chemin d'un voyage sans retour, arrachés à leurs terres, à leurs familles, à leur environnement. Pour tout dire, à leur identité.

 

Pour la mémoire, le gentil Corrézien va rejoindre l'île de Gorée, va s'incliner devant la mémoire de nos ancêtres, écouter des récits d'événements dont il n'ignore rien, faire un saut à l'Assemblée nationale pour un discours qui ne sera pas forcément historique, visiter un projet de co-développement franco-sénégalais, aller faire la bise à ses compatriotes au Cap manuel, juste en face de l'île de la terreur.

 

Après, il pourra aller ferrailler avec ce «sinistre» Congolais des Grands Lacs ! Le but du jeu ? Comme Sarkozy devant Kadhafi, Hollande pourra biffer sur son carnet d'or aux couleurs Bleu-Blanc-Rouge : «Moi aussi, un jour, j'ai dit basta à un petit tyran africain nommé Joseph Kabila Kabange qui feignait de ne pas savoir que nous sommes à l'ère de la démocratie.»

 

Qu'est-ce à dire ? François Hollande n'est pas Nicolas Sarkozy, mais ils ont un point commun fondamental que les grands naïfs, les joyeux lurons et les fins hypocrites se plaisent à ignorer : ils sont les premiers agents des intérêts supérieurs de la France dans le Monde, en Afrique, au Sénégal. Et les (très) rares chefs d'État africains qui ont su ou voulu négocier politiquement une Coopération bilatérale éthique, équitable et juste sont passés à la trappe de l'assassinat, de la destitution ou de la persécution. Hollande n'a pas la même culture politique que Sarkozy, mais à l'instar de ceux qui se sont succédé à l'Elysée, ils ont un amour fou commun de la France, de son terroir, de son industrie, de ses services, de ses PME... Surtout à l'extérieur. Leur agenda est plus dogmatique que la religion : comment faire pour que la France rayonne à travers ses capitaines d'industrie, ses marques, ses symboles.

 

Qu'est-ce à dire encore ? Pendant cinq ans, Nicolas Sarkozy n'a pas contribué au développement du Sénégal. François Hollande fera à peine mieux que lui ! Au-dessus d'eux, carbure de manière impitoyable une machinerie financière rodée par plusieurs décennies de captage des gigantesques ressources de l'Afrique (et du Sénégal). Cet «acquis» hexagonal qu'est la «location» du franc Cfa aux anciennes colonies africaines, quel président français osera le remettre en cause sans risque ? Au même moment, des entreprises françaises travaillent et prospèrent sur le continent (et ailleurs) en dépit des contraintes de la crise, mettent des centaines de milliers de salariés africains en perfusion instable, et rapatrient leurs bénéfices en France où dans d'autres paradis fiscaux moins onéreux. Hollande va faire face à Kabila ? A côté des remontrances démocratiques préparées contre le Congolais, une dénonciation du pillage organisé des richesses du plus grand pays d'Afrique par des multinationales aidées par une classe politique corrompue pour l'essentiel serait la bienvenue. Et elle serait un encouragement significatif à ces hommes et femmes des sociétés civiles qui, sur le continent, mènent un combat trop inégal contre les capteurs d'argent qui spolient les ressources naturelles et minières de pays appauvris.

 

Qu'est-ce à dire enfin ? La France ne changera pas le versant macro de sa «coopération» avec l'Afrique, sauf si elle y était contrainte par une formidable, large et puissante poussée réformiste, pour ne pas dire révolutionnaire. Le système actuel lui est trop favorable. Par contre, on est en droit d'exiger de nos autorités politiques des répliques à la mesure des affronts que l'on inflige quotidiennement aux demandeurs de visas dans ce territoire d'exception surprotégé qu'est la représentation diplomatique française à Dakar. L'absurdité du système de délivrance dudit sésame est telle que les fonctionnaires préposés à la tâche ne savent plus faire la différence entre un potentiel réfugié économique qui a 99,99% de chances de ne plus revenir au Sénégal après obtention du visa, et un universitaire qui a tout chez lui et qui, malgré lui, s'est fait inviter à un séminaire intellectuel de haut niveau à Grenoble, Strasbourg ou Paris ! On n'est plus en diplomatie, c'est une guerre de civilisations qui ne dit pas son nom.

 

Les pays qui sont jaloux de la dignité de leurs citoyens sont ceux qui savent répondre aux agressions morales contre les leurs. Mais la tendance normative en Afrique, y compris au Sénégal, est que nos leaders politiques ont fait le choix volontaire de subir les humiliations contre eux-mêmes, contre leurs populations et contre les intérêts fondamentaux de leurs pays. Les chrysanthèmes leur suffisent.

 

Aujourd'hui, on souhaitera tout de même la bienvenue à François Hollande comme on ne l'avait pas fait pour Nicolas Sarkozy. L'un n'est pas l'autre, et l'autre n'est pas l'un ! Mais celui que les Français ont préféré mettre à la place de l'agité de Neuilly le 6 mai 2012 est un homme objectivement impuissant et incapable de répondre aux desiderata fondamentaux des Africains et des Sénégalais en matière d'équité et de justice dans les relations économiques. C'est un «système» qui fonctionne ! Admettons aujourd'hui que ce n'est pas cette France devenue puissance moyenne, en butte aux exigences draconiennes de l'Union européenne d'abord, à une crise économique et financière interne ensuite et qui s'attelle à sauver (si possible) son modèle social à coup de plusieurs dizaines de milliards d'euros, ce n'est pas cette France-là qui va soutenir avec désintérêt le Sénégal dans sa quête de développement économique et social. Il est peut-être encore temps d'arrêter ce grand jeu de dupes qui ne sert que des élites qui ne se retrouvent que dans les stratégies de coopération inégales.

 

Comme au bon vieux temps de la coloniale, on fera de l'ambiance pour accueillir Hollande. Danses, danses et danses ! Générosité et chaleur humaine sous le soleil d'octobre qui ne semble plus craindre les dernières pluies d'un hivernage meurtrier pour des centaines de Sénégalais. Mis on nous dira que la Teranga sénégalaise est ainsi faite !

Auparavant, des hordes de pauvres jeunes gens - ambulants, menuisiers, maçons, marginaux, bricoleurs, etc. - payés 4 000 francs Cfa/jour, auront rendu «propres» les artères de la capitale en l'honneur de Saint-François de Corrèze ! Au compteur des humiliations, cela ne fera jamais que X+1. Bonne arrivée, Monsieur le Président !

Momar DIENG

 

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