Un premier pas vers la réforme ?

Face au déficit structurel en ressources humaines dans les universités sénégalaises, le gouvernement a annoncé un recrutement exceptionnel de 500 enseignants-chercheurs. Cette initiative s’inscrit dans la dynamique de l’Agenda national de transformation de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (Antesri 2050). Mais si elle suscite espoir et enthousiasme, elle soulève également des attentes pressantes, notamment du côté des vacataires, qui assurent l’essentiel des enseignements sans statut reconnu. Une réforme structurelle de l’enseignement supérieur est désormais incontournable.
Le 17 juillet 2025, à Diamniadio, le Président Bassirou Diomaye Faye donnait le coup d’envoi d’un projet phare de son quinquennat : l’Agenda national de transformation de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (Antesri 2050). Ce plan stratégique, articulé autour de huit commissions thématiques, vise une refonte en profondeur du système universitaire sénégalais, jugé obsolète, inadapté aux réalités socio-économiques et miné par des déséquilibres structurels.
Premier signal fort de ce processus de réforme : le recrutement de 500 enseignants-chercheurs annoncé officiellement par le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Abdourahmane Diouf, le 21 juillet. Ce recrutement exceptionnel, qualifié de "massif et stratégique", vise à combler un déficit criant dans les établissements publics d’enseignement supérieur, où le ratio enseignants/étudiants dépasse largement les normes recommandées par l’Unesco (un enseignant pour 25 étudiants).
« Cette opération s’inscrit dans une dynamique de transparence, de mérite et d’excellence académique. Elle est conforme aux orientations présidentielles et cible les filières prioritaires alignées à la vision Sénégal 2050 », précise le communiqué du ministère. Cette mesure, selon les autorités, vise à renforcer l’encadrement pédagogique dans les domaines jugés cruciaux pour le développement national : sciences, technologies, santé, agriculture, numérique, et génie civil. Il s’agit aussi de rajeunir le corps enseignant, largement affecté par les départs à la retraite non remplacés depuis plusieurs années. Mais derrière l’annonce, se cache une réalité bien plus préoccupante. Depuis plus d’une décennie, les universités sénégalaises tournent grâce à une armée invisible et souvent silencieuse : les vacataires. En l’absence de recrutements réguliers et d’un statut clair, ce sont eux qui tiennent à bout de bras un système devenu totalement dépendant de leur précarité.
Les vacataires : chevilles ouvrières d’un système à bout de souffle
Le 3 août 2024, le Rassemblement des enseignants vacataires des universités du Sénégal (Revus) tenait une conférence de presse à l’issue de son assemblée générale. Le message est clair, sans ambiguïté : sans les vacataires, le système universitaire sénégalais s’écroulerait. « Nous représentons plus de la moitié du corps enseignant des universités publiques. Nous assurons près de 70 % des enseignements, des cours magistraux à l’encadrement des mémoires, sans contrat permanent, sans reconnaissance statutaire et sans perspectives d’évolution », dénonçait le Bureau national du Revus. Ce chiffre est révélateur d’un déséquilibre systémique. Le ratio global, sans les vacataires, est d’un enseignant pour 80 étudiants. Avec eux, il s’améliore à un pour 16, soit mieux que les standards de l’Unesco. Cela montre à quel point ces enseignants précaires sont devenus indispensables. Pourtant, ils exercent dans des conditions indignes : absence de contrat en bonne et due forme, rémunérations tardives et aléatoires, surcharge de travail, exclusion des programmes de recherche et de formation continue, et précarité sociale extrême. Pour les syndicats, cette situation n’est plus tenable. Le recrutement de 500 enseignants-chercheurs est certes salué, mais reste insuffisant. Le Revus appelle à un plan de recrutement pluriannuel de 1500 enseignants-chercheurs dès 2025, et la mise en œuvre d’un statut spécifique pour les vacataires. Le ministère semble avoir pris acte de cette revendication, en promettant une régularisation prochaine. Mais au-delà de la question de la précarité, se pose celle de l’utilité sociale de l’enseignement dispensé. Les travaux des assises de Diamniadio ont révélé une autre carence tout aussi préoccupante : l’inadéquation profonde entre les formations universitaires et les réalités économiques du pays.
Refondre les curricula : pour une université utile, connectée et innovante
L’université sénégalaise, dans sa configuration actuelle, reste largement calquée sur des modèles hérités de la colonisation. Elle forme en majorité dans des filières généralistes, souvent déconnectées des besoins de l’économie nationale. Sociologie, droit, lettres modernes, histoire, philosophie : ces disciplines sont essentielles à la formation citoyenne, mais ne répondent pas aux urgences techniques du pays. Depuis des années le Sénégal fait face à des défis majeurs : autosuffisance alimentaire, transition énergétique, industrialisation, numérisation, souveraineté pharmaceutique, urbanisation maîtrisée. Tous ces chantiers requièrent des compétences techniques spécifiques que l’université actuelle produit encore trop peu. Les écoles d’ingénieurs, les Isep, les facultés de sciences ou de médecine manquent cruellement de personnels qualifiés et d’infrastructures adaptées. « Nous devons sortir d’un système élitiste où l’université forme des théoriciens déconnectés. Il faut former des bâtisseurs, des créateurs de solutions, des chercheurs utiles », résume un haut responsable du Mesri. Les commissions de l’Antesri, en s’appuyant sur des diagnostics sectoriels, travaillent à une refonte complète des programmes. L’objectif est de renforcer la professionnalisation des formations, d’y intégrer des modules de terrain, des stages, de l’entrepreneuriat, mais aussi une plus grande ouverture vers les langues, les cultures locales et les technologies. Le recrutement des 500 enseignants s’inscrit dans cette vision : il ne s’agit pas seulement de gonfler les effectifs, mais de transformer l’offre académique, d’accompagner les étudiants dans des parcours connectés aux réalités sociales et économiques, et de dynamiser la recherche pour qu’elle serve l’intérêt public.
Vers un nouvel écosystème universitaire : gouvernance, financement et éthique
Le chantier de transformation du supérieur ne se limite pas au recrutement. Il implique une mutation en profondeur de l’écosystème universitaire : repenser la gouvernance, réformer les mécanismes de financement, intégrer les technologies, et revaloriser les carrières universitaires. La gouvernance actuelle, souvent perçue comme opaque, bureaucratique, voire clientéliste, doit être rendue plus démocratique, avec une meilleure implication des enseignants, des étudiants, et des partenaires sociaux. La gestion des ressources humaines doit être professionnalisée, avec des critères clairs de promotion, de mobilité et d’évaluation.
Sur le plan financier, il faut diversifier les sources de revenus. L’État reste le principal bailleur de l’enseignement supérieur, mais cela ne suffit plus. Il faudra renforcer la coopération avec les collectivités territoriales, les entreprises, les partenaires techniques, et encourager l’innovation comme levier de financement. Enfin, une charte de l’éthique universitaire est en préparation. Elle visera à lutter contre le plagiat, le favoritisme, le harcèlement, les fraudes aux diplômes, et à promouvoir une culture d’excellence fondée sur le mérite, l’effort et la transparence.
Le recrutement de 500 enseignants-chercheurs constitue un signal positif, un début de réponse à une crise qui menace l’avenir de l’université sénégalaise. Il incarne la volonté d’un changement structurel, voulu par les nouvelles autorités et attendu par l’opinion publique. Mais ce n’est qu’un premier pas. Il faudra tenir les promesses, faire preuve de rigueur, de transparence et de constance. Pour les étudiants et les professionnels de l’ensei Enseignement supérieur au Sénégal : le recrutement de 500 enseignants-chercheurs, entre espoir réformateur et attentes sociales
Pour les étudiants et les professionnels de l’enseignement supérieur, les attentes sont immenses, et les vacataires, tout comme les étudiants, les recteurs ou les syndicats, seront vigilants. L’université ne peut plus être un lieu de reproduction sociale ou de chômage diplômé. Elle doit devenir un laboratoire de solutions, une école de liberté, et un moteur de souveraineté. L’Antesri 2050 sera-t-il le tournant tant espéré ? La question reste ouverte.L'université sénégalaise, à condition d’être réformée avec courage, peut redevenir le creuset de l’émergence intellectuelle, technique et citoyenne du pays.
Amadou Camara GUEYE