Publié le 21 Jul 2025 - 16:26
LA JUSTICE

Entre le marteau de l’opposition et l’enclume du pouvoir

 

Malgré une pression terrible venant de toutes parts et particulièrement de son camp, le ministre de la Justice essaie de tenir debout, en refusant de faire pression sur la justice. Sa tête est mise à prix par de nombreux hauts responsables du Pastef, visiblement agacés par la liberté du garde des Sceaux. 

 

Être sur les principes au Sénégal, voilà un chemin bien périlleux. Car les politiques en général, dès qu’ils sont dépositaires de la confiance de la majorité des Sénégalais, se croient tout permis. À entendre certains dirigeants d’aujourd’hui, opposants radicaux d’hier, c’est comme si tout le monde, même les magistrats, doit se soumettre à leurs désirs. Depuis les attaques acerbes du Premier ministre, il ne se passe presque plus un jour sans voir de hauts responsables s’en prendre vigoureusement à l’institution judiciaire. 

Hier, sur le plateau de la RSI, le 3e vice-président de l’Assemblée nationale, Cheikh Thioro Mbacké, est allé un peu plus loin. Il réclame tout bonnement la tête du ministre de la Justice Ousmane Diagne, parce que, selon lui, la justice ne fait pas son travail.

“Aucun Sénégalais n’est satisfait, à l’exception des gens de l’APR. C’est comme si les militants de Pastef continuent d’être stigmatisés. Ma conviction est qu’il faut un remaniement, pour balayer tout le monde et mettre à leur place des gens qui vont mettre en œuvre notre souhait”, requiert le député de Touba. 

Cheikh Thioro Mbacké: “Il faut un remaniement, mettre au sein de la justice des gens qui vont mettre en œuvre notre politique.”

Le nettoyage, selon M. Mbacké, ne doit pas s’arrêter au ministre. Chez les magistrats et forces de défense et de sécurité aussi, il y en a qui ont une certaine haine envers le président Ousmane Sonko.

Pastef, selon lui, “doit prendre ses responsabilités, parce qu’ils ont été élus par les Sénégalais. “Si on ne peut pas le faire, laissons le pays dans le désordre. Le président de la République doit écouter les militants”, peste-t-il.

Au journaliste qui lui demande si le chef de l’État doit écouter les militants de Pastef ou les Sénégalais, il rétorque : “Il faut écouter les militants, parce que ce sont eux qui ont été tués, ce sont eux qui ont été emprisonnés.” 

Contrairement aux allégations du 3e vice-président de l’Assemblée nationale, le fonctionnement de la justice est aussi fortement décrié dans le camp adverse, aussi bien chez les opposants politiques que chez de nombreux responsables de la société civile.

Depuis que Pastef est au pouvoir, ils ont été nombreux, les leaders d’opinion, et même des journalistes, à faire l’objet de poursuites, souvent pour des propos offensants envers le Premier ministre ou d’autres responsables de Pastef. On peut en citer Assane Diouf, Abdou Nguer, Moustapha Diakhaté, Badara Gadiaga, ces quelques cas qui défraient encore la chronique. 

Dans certains cas, alors que tout laissait entrevoir des délits flagrants, les autorités judiciaires ont choisi la voie de l’instruction, permettant de les maintenir en prison depuis plusieurs semaines pour certains, des mois pour d’autres.  

Pendant ce temps, l’opposition et la société civile dénoncent des arrestations pour délits d’opinion 

D’ailleurs, comme les gens de Pastef, les responsables de l’Alliance pour la République, également, ne cessent d’attaquer la justice qu’ils jugent partisane. Récemment, suite au placement sous mandat de dépôt du chroniqueur Badara Gadiaga, Maitre Oumar Youm dénonçait ce qu’il considérait comme une prise d’otage politique et une détention arbitraire.

 “Ce qui se passe est extrêmement grave. Nous avons un parquet qui ressemble plus à un office politique qu’à un parquet de la République. Il est là plus pour défendre un parti malmené dans le débat public, alors que ce n’est pas le rôle d’un parquet qui se respecte”, regrettait l’ancien ministre des Forces armées et avocat de Gadiaga, non sans annoncer la saisine des instances nationales et internationales pour fustiger ce qui se passe. 

Au-delà de cette passe d’armes et des polémiques, il faut noter que le vrai problème porte sur les dossiers impliquant le Premier ministre. La coïncidence entre les dernières sorties du président du Pastef et la décision de la Cour suprême sur l’affaire Mame Mbaye Niang est loin d’être un hasard, selon de nombreux observateurs.

Alors que le PM veut être lavé à grande eau, Diomaye et son ministre de la Justice disent tout haut qu’ils tiennent à respecter l’indépendance des magistrats. Bien avant ce climat délétère, à l’Assemblée nationale, attaqué de toutes parts par les députés de la majorité, le garde des Sceaux disait avec un peu d’agacement : “Je n’ai jamais accepté (en tant que magistrat) qu’on fasse pression sur moi. Qu’on ne compte pas sur moi pour exercer la moindre pression sur les magistrats du siège. Je n’ai aucune autorité sur eux.”

Les faits d’armes du garde des Sceaux 

Ousmane Diagne ne s’est pas limité là. Il a aussi défendu comme il peut les magistrats, en disant qu’ils font un excellent travail, même si certains peuvent estimer que le rythme n’est pas aussi soutenu qu’ils l’auraient souhaité, faute, en partie, de personnel suffisant dans certains domaines. “Il leur arrive de rendre des décisions en parfaite contradiction avec les réquisitoires du parquet et je n’ai jamais eu à faire la moindre observation, encore moins la moindre critique. C’est leur responsabilité, c’est de leurs prérogatives et le seul moyen qui s’offre à nous - à mes services du parquet - c’est de faire usage des voies de recours qui leur sont reconnues par la loi”, s’est défendu le ministre qui s’est voulu très légaliste.

Pour lui, au lieu de s’en plaindre, il faudrait se féliciter d’avoir une justice qui marche. “Nous savons tous que la justice a changé. Il n’est pas dit que, parce que vous êtes opposant ou en délicatesse avec le pouvoir, vous serez fatalement désavantagé devant les autorités judiciaires. Il est arrivé qu’il y ait des décisions de relaxe, des décisions de classement sans suite que nous assumons en toute responsabilité”, a-t-il souligné. 

Bara Gaye : “Sous le régime du président Macky Sall, il a refusé de me mettre en prison”

Il convient de rappeler que le magistrat de formation n’a pas attendu d’être ministre pour avoir de telles postures. Déjà magistrat, il a souvent été présenté parmi les “rebelles” de l’institution judiciaire. Sous Wade, cela lui a valu pas mal de déboires avec plusieurs ministres : Cheikh Tidiane Sy, Ousmane Ngom. Sous Macky Sall aussi, il a connu les mêmes difficultés avec ses supérieurs. 

Témoin privilégié de l’histoire, d’abord en tant que personnalité influente du régime de Wade, ensuite en tant que responsable de premier plan de l’opposition radicale sous Macky Sall, le député Bara Gaye témoignait : “Je garde en Monsieur le Ministre de très beaux souvenirs. C’est quelqu’un de très courageux, quelqu’un de très compétent. Son courage a transcendé les régimes. Chef du parquet sous le régime du président Abdoulaye Wade, je l’ai vu à l’œuvre. Il a refusé des choses qu’on voulait lui faire faire. Sous le régime du président Macky Sall, il a refusé de me mettre en prison, moi Bara Gaye. À l’époque, il disait : ‘Mettez Abdou Mbow et Bara Gaye pour qu’ils débattent politiquement.’ C’est ce que je retiens de vous”, témoignait M. Gaye.

Un magistrat courageux qui a toujours refusé la pression 

Ce courage, Ousmane l’a toujours érigé en bandoulière, alors même qu’il était un magistrat du parquet, en principe assujetti à la hiérarchie. À deux reprises, il en a fait les frais sous le régime du président Macky Sall.

Ironie de l’histoire, la dernière fois, c’était en 2023, dans les nombreux dossiers impliquant Ousmane Sonko. Contre vents et marées, il avait non seulement ouvert une enquête sur le rapport Covid, mais aussi décidé d’instruire des plaintes déposées par l’opposant Ousmane Sonko contre des personnalités du régime. 

Lors de son premier “limogeage” sous Macky Sall en 2013, en passant le témoin à son prédécesseur Serigne Bassirou Guèye, il disait : ‘’J’ai travaillé avec plusieurs gardes des Sceaux et, à l’exception notable du professeur Moustapha Sourang à qui je rends hommage, j’ai toujours eu de grandes difficultés à certains moments.” 

Selon lui, chaque fois qu’il lui a été possible de dire non, il a dit non de la façon la plus ferme, la plus irrévocable, usant et abusant ainsi de son devoir de déplaire. 

Par Mor Amar 

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