Publié le 8 Jun 2023 - 16:30
RETOUR DÉFINITIF AU CALME

La baraka de Serigne Mountakha encore espérée

 

Régulateurs sociaux, les guides religieux ont valu au Sénégal bien des satisfactions dans l’établissement d’une société paisible. Bien que cette influence s’étiole quelque peu ces dernières années, le représentant de Serigne Touba cristallise encore des espoirs dans pour le maintien de cette particularité sénégalaise.  

 

S’il avait attendu de recevoir une délégation de familles religieuses avant de s’exprimer sur les violentes manifestations qui ont touché le Sénégal en mars 2021, le président de la République a pris l’initiative de rendre visite au leader de l’une des confréries religieuses les plus influentes du pays. Macky Sall a été reçu à Touba, dans la nuit du lundi 5 juin, par le khalife général des mourides, Serigne Mountakha Mbacké.  

Si rien n’a filtré de ce tête-à-tête entre le chef de l’État et le guide religieux, les deux hommes ne s’étant pas prononcés pour le moment, la situation sociopolitique particulièrement tendue y est pour beaucoup.

Mais cet entretien illustre à nouveau l’importance de la confrérie mouride et de son khalife dans l’établissement de la paix sociale au Sénégal. Alors que le pays connait de nouveaux épisodes de violences, deux ans après les heurts qui ont suivi l’arrestation de leader de l’opposition, une condamnation d’Ousmane Sonko à deux ans de prison pour ‘’corruption de la jeunesse’’, après avoir été initialement poursuivi pour viol et menace de mort, a remis le feu aux poudres, les 1er, 2 et 3 juin dans plusieurs localités du Sénégal, en particulier à Dakar et à Ziguinchor.

Malgré l’initiation d’un dialogue politique par le président de la République, rejeté par Pastef, les tensions politiques restent vives autour d’une éventuelle troisième candidature du président Macky Sall, l’inéligibilité des principales figures de l’opposition, le parrainage citoyen, etc. Un cocktail explosif qui pourrait prendre feu à tout moment.

Comme en 2021, d’une intervention des autorités religieuses, beaucoup de Sénégalais attendent un retour définitif au calme. Et le khalife général des mourides reste un leader influent auprès des autorités politiques. Lorsque, le 12 mars 2021, une délégation de Serigne Mountakha Mbacké a rencontré les leaders du Mouvement pour la défense de la démocratie (M2D), porteur d’un message du guide religieux, cela a permis d’éviter un nouveau rassemblement prévu le lendemain, facteur potentiel de tensions.

Une autre délégation, regroupant des émissaires plus élargis des familles religieuses et de l’Église, avait permis d’obtenir du président de la République une adresse à la Nation, le lundi 8 mars 2021, suivie du placement sous contrôle judiciaire du leader de Pastef.

Aujourd’hui, exit le M2D, bonjour la F24, qui a également appelé à des journées de mobilisation demain et samedi dans tout le Sénégal, pour dire non à un troisième mandat du président Macky Sall en 2024. Et Ousmane Sonko ayant été condamné à deux ans de prison ferme par contumace, le ministre de la Justice a annoncé qu’il peut être arrêté à tout moment.  

Ainsi, face à des situations plus complexes qu’il y a deux ans, la baraka du khalife général des mourides et des autres structures religieuses du Sénégal est encore espérée pour une sortie de crise.  

Ces dernières années, Touba a joué, à plusieurs reprises, un grand rôle dans la résolution des crises politiques. On se rappelle, ce qui est communément appelé le protocole de Massalikoul Jinan qui a permis au Président Macky Sall et à son prédécesseur de se retrouver, après l’arrestation et l’emprisonnement de Karim Wade. 

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TROIS QUESTIONS À PAPE SERIGNE SYLLA, SOCIO-ANTHROPOLOGUE, SPECIALISTE DES RELIGIONS A L’ÉCOLE DES HAUTES ETUDES EN SCIENCES SOCIALES (EHESS-PARIS)

‘’La parole des  guides religieux au Sénégal… n’a presque plus d’effet persuasif sur les jeunes’’

Le président de la République, Macky Sall, s’est rendu à Touba en cette période de troubles politiques. Pourquoi le khalife des mourides peut-il avoir une importance capitale dans un retour au calme ?

Comme vous le savez, notre pays a toujours connu des périodes de tensions politiques que les aptitudes de médiation et d’influence des guides religieux ont permis de résoudre. L’exemple de la visite récente du président Macky Sall au khalife des mourides fournit une illustration claire de ce mécanisme.  Dans la tradition sénégalaise, l’autorité morale a été, jusqu’à une période récente, le privilège des chefs religieux. L’importance du khalife général des mourides dans le processus de retour au calme est donc certaine.

 Toutefois, je ne suis pas certain qu’elle soit de proportion à nous sortir complètement de cette impasse politique. Ces visites du président aux khalifes ressemblent plus à des opérations de communication qu’à une volonté d’apaiser les tensions. Je pense qu’avec une analyse froide de la situation, l'on se rend compte  qu’il sera difficile, pour les religieux, de trouver le remède.

On a vu que parfois, les consignes données par cette même confrérie peuvent ne pas être efficaces (le khalife qui essaye sans grands succès, malgré les apparences, de réconcilier Macky Sall et Abdoulaye Wade, les consignes de vote parfois non respectées en faveur du président Wade en 2012, etc.). Aussi, le khalife a envoyé des émissaires au président avant le verdict du procès, mais cela n’a pas empêché une condamnation qui a embrasé le pays. A quoi joue le président, selon vous ?

Ce qu’il faut savoir, c’est que l’espace politique dans lequel les chefs religieux exerçaient des fonctions régulatrices et façonnaient les sensibilités collectives est en train d’être remplacé par un système d’acteurs beaucoup moins réceptifs à leurs discours. En d’autres termes, la parole des guides religieux au Sénégal, toutes obédiences confrériques ou épiscopales confondues, n’a presque plus d’effet persuasif sur les jeunes.

Si l’on doit en chercher les raisons, il faudrait sortir d’une approche passionnée qui se limiterait à considérer les jeunes comme impolis, mal éduqués, dépourvus de valeur morale et enclins à la dépravation. Ce qui se passe, c’est tout simplement que la politique s’est transformée en religion à mesure que la religion est devenue politique.

Donc, la charge symbolique est légèrement plus forte dans les partis et coalitions que dans les dahiras ou autres organisations religieuses.

Concrètement, et je le dis avec le recul nécessaire, les appels au calme attendus des khalifes généraux risquent de n’avoir aucun effet sur la détermination des jeunes manifestants. Cela ne veut pas dire que les Sénégalais ne les écoutent plus. Ils  ont simplement déplacé le curseur de la parole légitime vers des acteurs politiques. Considérer que la sortie des guides religieux pour appeler au calme suffise à apaiser ces tensions, c’est percevoir le Sénégal par un prisme des années 80. Il n’est plus de figure religieuse qui détient un pouvoir de persuasion semblable à celui de Mame Abdou Aziz Sy ou de Serigne Abdoul Ahad Mbacké. Cette ère sociologique est malheureusement révolue pour notre pays et il y a de quoi nourrir des craintes.

Par conséquent, si le président Macky Sall compte sur le levier religieux pour sortir de cette crise, il se trompe lourdement et fait une très mauvaise lecture des enjeux. Votre exemple sur l’envoi par le khalife d’émissaires avant le verdict du procès est très illustrant. Vous aurez remarqué que cela n’a strictement servi à rien.

Voilà une parfaite démonstration de mon propos sur l’influence affaiblissante des religieux sur les enjeux politiques.

Comment pensez-vous que le Sénégal puisse dépasser cette crise ?

Par excès d’optimisme, je vous dirais que les Sénégalais sont ‘’naturellement’’ pacifistes et donc finissent par se retrouver autour d’un essentiel commun. Mais nous sommes arrivés à un tel niveau de crispation qu’il est très difficile de se prononcer. En tant que citoyen, sans étiquette politique aucune, je pense que le premier pas vers la sortie de crise serait que le président Macky Sall renonce à une nouvelle candidature à la prochaine élection.

Pour le reste, chaque acteur politique devra faire preuve de responsabilité et mettre l’intérêt de la nation au-dessus des égos. 

 Lamine Diouf

 

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