Publié le 12 May 2012 - 19:04
SANTÉ

Faut-il légaliser l’avortement au Sénégal?

 

Après la parité, les mouvements de femme ont un autre cheval de bataille. Ils veulent la légalisation de l’avortement médicalisé dans notre pays, afin que la grossesse ne soit plus source d’angoisse pour les femmes et les jeunes filles.

 

''On ne doit pas imposer une grossesse à une femme''. C’est le mot d’ordre lancé par des défenseurs des droits de la femme. S’il apparaît comme une bouffée d’oxygène pour une partie de la gent féminine, il sonne comme un couperet pour les traditionnalistes, qui estiment que les Sénégalais viennent de toucher le fond.

 

En effet, des associations de femme, en synergie avec les hommes du droit, ont décidé de mener un plaidoyer pour la légalisation, dans notre pays, de l’avortement médicalisé, en cas d’inceste ou de viol, ce pour lutter contre la tragédie des grossesses non désirées.

 

Au mois de janvier dernier, en visite au centre de guidance infantile de Thiès, la ministre de la culture, du genre et du cadre de vie, Awa Ndiaye a sorti le dossier des tiroirs. «L’État, comme je le défends partout, a-t-elle souligné, doit légaliser l’avortement médicalisé; ce qui, certainement, aurait permis à la jeune fille de neuf ans, violée, de ne pas perdre la vie, deux jours, après avoir, par césarienne, donné la vie.»

 

Si l’association des juristes sénégalaises et le comité de lutte contre les violences faites aux femmes portent le combat, ils sont aussi soutenus par des hommes de droit, dont Me Gaoussou Kaba Bodian, représentant de l’ordre des avocats du Sénégal. En janvier dernier, lors de la cérémonie officielle d’ouverture de la Cour d’assises de Ziguinchor, l'avocat s’est aussi inscrit dans le même sillage, en préconisant la dépénalisation de l’avortement. Il est convaincu que le débat vient à son heure face au drame des avortements clandestins et de l’infanticide. Car déplore-t-il, ''sur 17 affaires inscrites au rôle, il y a 7 cas d’infanticides''.

 

 

Les Ivg représentent 50% des motifs d’urgence dans les maternités

 

D’après l’Organisation mondiale de la santé, 300 000 africaines perdent chaque année la vie, à la suite d'un avortement clandestin. Et ce sont 4,2 millions d’avortement à risque qui sont enregistrés tous les ans sur le continent africain. Des chiffres effarants qui lèvent un voile épais sur une sombre réalité.

 

Dans notre pays, les Ivg représentent ''en moyenne 50% des motifs d’admission en urgence dans les maternités de référence. Les complications en rapport avec ces grossesses arrêtées, notamment les avortements incomplets, sont responsables de 8% des décès maternels enregistrés», d’après une étude en date de 2007 réalisée à l’hôpital Fann de Dakar et publiée dans la revue Médecine tropicale.

 

Parce que l’interruption volontaire de grossesse (Ivg) est considérée, sous nos cieux, comme un crime abject lorsque la santé de la mère n’est pas menacée. Des milliers de femmes ont eu à recourir à des méthodes rudimentaires pour mettre un terme à leur grossesse au moment où d’autres ont trouvé comme alternative l’infanticide.

 

Dans son mémoire de Maîtrise en date de 2009-2010, intitulé L’avortement au Sénégal, analyse des textes et de la jurisprudence, Mamadou Saidou Mballo, révèle que ''la cause fondamentale de l’infanticide est la mise au monde d’un enfant non désiré. (…) Les femmes qui commettent cet acte ignoble auraient préféré expulser le fœtus au lieu de le porter pendant neuf mois dans leur ventre pour le jeter dans une fosse''.

 

Une injustice touchée du doigt par la praticienne hospitalière, Fatou Kiné Mbaye, dans une étude sur les femmes incarcérées dans les deux principales prisons de la région de DAKAR, notamment la prison pour femmes de Rufisque et à la maison d'arrêt centrale et de correction de Dakar. Elle révèle que 30% des femmes qui séjournent en prison, l’ont été pour infanticide avec un nombre important de détentions préventives.

 

Ces prisonnières sont souvent des épouses d’immigrés privées, pendant des années, de la présence de leur mari. Ce sont aussi de jeunes domestiques ayant attrapé une grossesse suite à une agression sexuelle de leur employeur, alors qu’elles viennent de débarquer fraîchement dans les grandes villes.

 

 

Un plaidoyer pour la contraception d’urgence

 

Si le sujet d’une grande sensibilité préoccupe les militantes des droits de la femme, certaines préfèrent mettre la pédale douce. C’est le cas de la présidente du réseau Siggil jigéen, Mme Maguette Sy Gaye, qui est aussi sage-femme de formation. ''On a eu à participer à différentes concertations sur la question mais nous estimons que les Sénégalais, du fait des pesanteurs socio-culturelles, ne sont pas prêts à accepter la dépénalisation de l’avortement, même en cas de viol et d’inceste''.

 

La présidente du mouvement de femmes, craint, en tant que médecin et mère de famille, que cette trouvaille ne serve de fourre-tout et n’encourage les jeunes filles au libertinage sexuel. Pour l’heure, il serait plus judicieux, pense t-elle, ''d’accentuer la bataille sur l’usage de la pilule du lendemain, de sorte qu’une femme victime d’agression sexuelle ne soit plus condamnée à vivre avec le fardeau d’une grossesse non désirée. Et qu’elle puisse recourir à la contraception d’urgence qui est à la portée de toutes''. Car, elle reste convaincue qu'''il n'y a rien de plus dur, pour une femme, que d’avoir le même père que son enfant''.

 

Matel Bocoum

 

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