Publié le 1 Dec 2018 - 02:04
SYLVESTRE AMOUSSOU (REALISATEUR BENINOIS)

‘’L’Africain met toujours son intérêt particulier au-dessus de l’intérêt général’’

 

Sa dernière tempête a bien ‘’mouillé’’  les cinéphiles de la dernière édition du Festival panafricain de cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Ce qui a permis à Sylvestre Amoussou, réalisateur de ‘’L’orage africain : un continent sous influence’’, de remporter le Yennenga d’argent. Le film a été projeté lors de l’ouverture officielle des Rencontres cinématographiques internationales de Dakar et a été très bien accueilli par le public. Sans langue de bois, le cinéaste  explique à ‘’EnQuête’’ comment il voit l’Afrique, ce qu’il pense des institutions comme le Fmi et la Banque mondiale. Pour ensuite donner son avis sur la décision de la France de restituer 26 objets ‘’volés’’ à son pays le Bénin.

``

‘’L’orage africain : un continent sous influence’’ est projeté à l’ouverture des Recidak. Comment avez-vous vécu ces moments ?

C’est très important pour moi. Dans ce film, j’ai rassemblé tous les sentiments de la jeunesse africaine sur le continent ou dans la diaspora. Il y a des années qu’il y a des frustrations. Je me suis proposé d’être le porte-parole de toutes ces frustrations. Quand j’ai vu l’accueil que le public lui a réservé, j’étais content. Je suis très content que les Recidak reprennent et que c’est un tel film qui est projeté à son ouverture. Je suis reconnaissant au Pr. Kassé, à Hugues Diaz et au comité d’organisation d’avoir eu le courage de faire passer ce film et de le faire passer en présence de membres du gouvernement. A la fin de la projection, j’ai vu le ministre de la Culture qui m’a félicité. Mais le plus important pour moi, c’est que les gouvernants sachent que nous savons. Ils regardent et ils savent qu’on sait, même s’ils rigolent. Mon objectif, c’est cela. Je lui ai dit ‘’Bonjour Monsieur le Ministre’’, mais il sait que je sais et quand je sais, le peuple le sait.

Vous parlez de nationalisation dans ce film. Est-ce réellement le rêve des jeunesses africaines ?

Personnellement, je ne nourris aucun rêve. Je veux que l’Afrique soit libérée. Il n’y a pas plus ultra libéral qu’Emmanuel Macron. Mais quand la France a eu des problèmes avec l’Italie, elle a fait une nationalisation partielle en attendant que des solutions soient trouvées. Il faut savoir où se trouve ses intérêts. Cependant, quand ce sont des Africains qui veulent procéder ainsi, on dit que c’est utopique. Quand c’est eux qui le font, on trouve que c’est normal. Quand vous détenez quelque chose qui attire et intéresse les autres, il faut s’asseoir et voir comment l’utiliser, d’autant plus que dans le cas que nous évoquons, c’est un patrimoine qui appartient à tout un peuple. Il faut donc s’asseoir pour sérieusement réfléchir et nationaliser, en attendant de voir ce qu’il faut faire pour gérer les ressources qui attirent tant les prédateurs.

Pensez-vous que les Africains sont assez matures pour passer à la nationalisation ?

C’est exactement de cela qu’on parle. Pourquoi doit-on toujours considérer les Africains comme de grands enfants ? Non ! On n’a pas à être considéré comme de grands enfants. Nous devons nous libérer de nos chaines. Et elles ne sont pas visibles aujourd’hui, elles sont dans la tête. Il faut que nous nous libérions pour parler d’égal à égal avec l’autre. Moi, je ne fais pas un film contre un peuple. Un film est une expression pour dire ce qu’on pense sérieusement pour qu’on puisse en discuter et qu’il ait un débat fructueux. Nous sommes dans la mondialisation. Il ne s’agit donc pas de s’enfermer sur soi, si l’on veut travailler. Les Africains doivent se libérer tout seuls. L’indépendance ne se donne pas, elle s’acquiert. Vous savez, même pour la Révolution française, des têtes sont tombées. Il y a eu beaucoup de morts. Nous les Africains, partout dans le monde, beaucoup nous marchent dessus. Personne n’a peur de nous.

 On devrait plus prendre exemple sur la communauté arabe. On ne blague pas avec elle. Mais nous les Africains noirs mettons trop d’émotions dans tout ce que nous faisons, à l’heure de penser à nos intérêts. Mon objectif est de pousser les gens à prendre conscience que même nos dirigeants ne sont pas autonomes. Ils ne sont pas libres.  S’ils parlaient un peu plus au peuple, il comprendrait. Quand le peuple a la vraie information et que le président n’est pas un prédateur, on pourra faire des choses. On pourra ainsi compter sur le soutien du peuple. Malheureusement, la plupart de nos présidents sont des valets qui ne travaillent pas pour leur peuple, mais pour les autres.

Vous parlez de l’Afrique, de ce qu’elle peut faire, mais vous semblez ne pas trop y croire, puisque dans le film vous montrez également que l’Afrique est l’ennemie de l’Afrique.

Effectivement, je parle de cela dans le film. Il y a des gens qui ne réfléchissent pas beaucoup et qui, quand  ils voient le film, le prennent de suite au premier degré. Tous les mots utilisés dans ce film, je les ai pesés et ils sont réfléchis. Madame Afrique (Ndlr : l’un des personnages du film) dit : ‘’L’Africain met toujours son intérêt particulier au-dessus de l’intérêt général.’’ Je le dis. Les gens n’essaient pas d’analyser le film. Leur première impression reste souvent la lutte contre le Blanc. Non ! Je lutte contre le système. Le problème n’est pas lié au fait d’être blanc ou noir. Même en Europe, les Blancs dont on parle là, beaucoup ont travaillé avec moi sur ce projet. Le scénario est coécrit avec deux autres Blancs. Donc, vous voyez bien que ce n’est pas une question de Blanc ou de Noir, mais de domination. Il s’agit de l’oligarchie occidentale contre les potentats africains qui sont là pour mener leurs peuples à leur perte.

Il serait quand même difficile de ne pas voir cette lutte contre le Blanc, puisque vous semblez également dire que partout où il y a des guerres civiles en Afrique, il y a une main étrangère derrière.

Il y a toujours, toujours, toujours une main étrangère derrière, parce que là où il y a la guerre, le business prospère. Prenez l’exemple de la Centrafrique. Moi, je viens du Bénin, même si cela fait 38 ans que je vis en France, on a toujours vécu avec nos copains musulmans et chrétiens depuis qu’on est petit. La différence de religion n’était pas un problème. On allait manger chez les uns pendant la Tabaski et chez les autres pendant Noël. Quand les Occidentaux se sont rendu compte que les conflits entre ethnies ne passaient plus, ils ont créé un conflit entre religions. Ils ont déstabilisé le pays. Moi, j’ai fait mon film avant et aujourd’hui, c’est la Russie qui est en Tchad pour protéger Kundera. Je ne dis pas que la Russie est ce qu’il nous faut, mais elle est le seul gendarme aujourd’hui dans le monde, avec la Chine, à réguler les choses. Elles sont des prédatrices comme tout le monde. Si elles viennent maintenant, c’est parce qu’il y a de la place.

La France a joué les prédateurs tout le temps, sans rien nous donner en retour. On vit dans la mondialisation, donc si les autres prédateurs arrivent et qu’on doit négocier, il faut le faire suivant l’intérêt de son peuple. C’est tout ce que l’on demande. Dans le cas contraire, cela ne peut pas marcher. Une autre chose qui fait que cela ne marche pas, c’est l’Union africaine. On ne peut pas demander aux Européens de financer l’Union africaine. Il y a un non-sens. Ce n’est pas possible. Comme je dis dans le dernier discours que je fais dans le film. Je parle du Fmi, de la Banque mondiale, des accords de partenariat économique qui ne font que ruiner l’Afrique. Le Fmi est là pour paupériser l’Afrique. L’Afrique travaille pour les multinationales. Ils ont créé leurs machins là pour dire voilà je donne tel pays en exemple qui ferait de la bonne gouvernance. Non, là où le Fmi ou la Banque mondiale dit qu’il y a la bonne gouvernance, c’est le contraire qui s’y passe. C’est faux (il le répète deux fois). A nous de créer nos outils pour évaluer nos dirigeants.

Est-ce pour cela que vous avez fait une plaidoirie contre le franc Cfa ?

Ah oui ! Le franc Cfa est la monnaie coloniale dont je parle. Comment voulez-vous que notre monnaie soit fabriquée en France et que cela soit la France qui garantisse notre économie ? Quand vous voulez emprunter de l’argent n’importe où dans le monde, c’est la France qui dit oui ou non pour qu’on vous prête. C’est la France qui décide et à la Banque centrale, elle y a un représentant qui est là et qui surveille notre monnaie. Nos économies dépendent de la France. Elle prend tout. En France, on dit que De Gaulle a été un héros, mais pour l’Afrique, De Gaulle a été un criminel. Il a mis en place un système bien verrouillé, bien structuré. Comme je dis souvent, il nous faut des institutions fortes. C’est cela qu’il faut pour l’Afrique.

De Gaulle a réussi à mettre en place une institution tellement forte pour la Ve République en France que n’importe quel président qui arrive met le costume de la Ve République. Leurs gouvernants viennent en Afrique et la pillent. Ils prennent en priorité les matières premières. C’est eux qui nous donnent l’autorisation de les vendre et après il faut leur déposer 50 % du prix sur leur Trésor public sous prétexte qu’ils sont nos garants. Comment voulez-vous que l’Afrique se développe dans ces conditions ? Elle va se développer avec quoi ? J’ai pour habitude de dire les choses avec des mots simples pour que le citoyen lambda comprenne. Je ne prends pas de gants pour dire ce que je pense. Quand c’est noir, c’est noir. Pour moi, c’est comme ça. Cela dérange. L’ennemi de l’Afrique-là, c’est nous-mêmes. Vous croyez que ce film est apprécié par tous nos frères africains ? Moi, je m’en f… je fais ce que j’ai à faire.

N’est-ce pas triste de voir dans ce film que c’est la Russie et la Chine qui libèrent le Tangara (pays imaginaire d’Afrique) et non les autres pays africains ?

J’ai laissé ce débat ouvert parce que c’est à ceux qui ont vu le film de réfléchir et de constater que nous n’avons pas d’institutions fortes. Dans le dernier discours, je dis qu’il faut que nos frères africains s’unissent pour mettre en place une armée forte. Si vous n’avez pas d’armée forte, vous ne pouvez combattre qui que ce soit. Les seuls qui font le gendarme, pour l’instant, c’est la Chine et la Russie. Elles ont vu que le gâteau est énorme et que tout le monde mange sauf les Africains. Elles ont l’arme atomique et peuvent se mesurer aux autres. Quand on est intelligent, on prendra quelqu’un qui nous donne un peu en attendant de tout mettre en place au lieu de quelqu’un qui prend tout, qui ne vous donne rien, qui vous tape et vous empêche de pleurer.

Dans ‘’L’orage africain…’’, les femmes occupent une place particulière. La garde rapprochée du président est composée de femmes et ce dernier ne prend aucune grande décision sans en parler auparavant à la première dame. Quel message voulez-vous faire passer à travers cette représentation ?

L’Afrique est le continent où les femmes décident de beaucoup de choses. On fait croire aux hommes que c’est eux qui décident. En Afrique, on dit souvent que la nuit porte conseil. Ce n’est pas la nuit qui porte conseil. C’est quand tu rentres dans la chambre et que la femme te dicte quoi faire. La femme a toujours joué un rôle important dans nos sociétés. Economiquement, nos mamans et nos sœurs font bouger les choses. Elles se lèvent à 4 h du matin pour aller au marché et tenir la maison. Les hommes cherchent à boire une bière ou trouver un deuxième et troisième bureau. Alors que les femmes pensent d’abord aux enfants et comment tenir la maison. Des fois, les hommes ne donnent pas la dépense et réclament tout de même à manger. Je parle de tout cela. Au Bénin, qui était le Dahomey dans les temps, la garde rapprochée du roi Béhanzin était composée de femmes. C’est un clin d’œil que je fais à l’histoire de notre pays. Les femmes sont fidèles, farouches et défendent leur terre. La journaliste d’investigation qui joue un rôle primordial dans le film est le reflet de la ténacité.

Qu’en est-il de la présence de ce journaliste étranger qui aggrave tout dans ses comptes rendus ?

Les media déstabilisent. Ils peuvent aggraver et déclencher une guerre. Si les media tempèrent, les choses iront bien. Malheureusement, les media ont toujours été manipulés. J’ai montré, dans ce film, les media pro-gouvernementaux. J’ai également montré comment une action est traitée par différents media. C’est un film qu’il faut voir plusieurs fois pour tout comprendre.

Parlons de tout autre chose. Que pensez-vous de la décision de la France de rendre au Bénin 26 objets de son patrimoine ?

La France n’a pas décidé de rendre. Nous avons réclamé. Il ne faut pas oublier cela parce que dans la dialectique, ils sont en train de vouloir manipuler l’histoire. C’est pour cela que je milite pour que nous-mêmes écrivions notre propre histoire. Nous avons réclamé notre patrimoine et ils ont mis une commission en place. Pour la restitution maintenant, ils ont commencé avec leurs media que c’est eux qui décident de rendre. Ce qui est faux. Et sur des milliers d’objets vous décidez de rendre 26. Je pense que c’est juste un début, parce que ce qui a été volé doit être rendu. Un voleur ne doit pas faire sa propre loi en disant oui j’ai volé, mais je m’interdis d’aller en prison. Si c’était un Africain qui était à la place de la France aujourd’hui, elle dirait ce qu’il m’a volé. Mais comme c’est d’elle qu’il s’agit, on parle de restitution.

Certains media français parlent aujourd’hui d’achat de ces œuvres et non de vol.

On l’a toujours dit. C’est toujours ainsi dans l’histoire. Pour nous culpabiliser davantage, on nous dit toujours qu’on a participé à l’esclavage. Quand on compare les prix avec lesquels ils l’ont acheté, l’on sait bien que ce n’est pas correct. Chez nous, les objets d’art sont des objets culturels et cultuels. Certains ont une valeur religieuse. Et puis cela n’a rien à faire chez eux. Combien ces objets ont-ils rapporté chez eux depuis des décennies ? Peuvent-ils rembourser cela ? Et quand on leur réclame cela, ils disent qu’on se ‘’victimise’’, or ce n’est pas cela. On réclame ce qui nous a été volé, point. 

BIGUE BOB

Section: 
ANNIVERSAIRE COUMBA GAWLO SECK : Les 40 glorieuses de la diva 
LIBERTÉ PROVISOIRE DE NABOU LÈYE : Ces choses qui ont convaincu le juge
PARCOURS D’UNE FÉMINISTE EN MUSIQUE : Sister LB, entre hip-hop et justice sociale
LE RAP AU SÉNÉGAL : L’évolution d’une musique qui s’adoucit
Première Dame en chine
MEURTRE D’AZIZ DABALA ET DE SON NEVEU : Ce que révèle l’enquête
AZIZ DABALA TUÉ CHEZ LUI : Horreur à Pikine
JOSIANE COLY AKA JOZIE : Au nom du père et de la musique
TELLE QUELLE - OUMY DIOP, NAGEUSE La reine du 100 m papillon en Afrique
DÉCÈS DE TOUMANI DIABATÉ : Sidiki perd sa boussole
RECHERCHÉ DEPUIS UN AN POUR TRAFIC INTERNATIONAL DE DROGUE Le rappeur AKBess interpellé et envoyé en prison
ITW - SATOU BAMBY (ARTISTE-MUSICIENNE) : "Je veux être dans les annales comme Youssou Ndour et Coumba Gawlo"
DIARRA SOW, DIRECTREUR GENERAL DE L’OFFICE DES LACS ET COURS D’EAU : Une spécialiste de la gestion intégrée des ressources en eau aux commandes de l'Olac
Le Festival de jazz de Saint-Louis accueille des artistes de renom
PORTRAIT DE PAPE ALÉ NIANG : Itinéraire d’un journaliste insoumis  
PORTRAIT MAIMOUNA NDOUR FAYE (PATRONNE DE PRESSE) Amazone et self-made woman
AICHA BA DIALLO, ACTRICE : Une étoile à l’écran
SORTIE DE L’ALMBUM ´´SSP’´ : Omzo Dollar entend corriger les jeunes rappeurs
NOUVEL ALBUM DE CARLOU D : Le ‘’Baye Fall’’ surfe sur les sommets
DEUXIÈME ALBUM DU PIONNIER DE L'URBAN GOSPEL : Scott s’ouvre à de nouvelles sonorités