Publié le 2 May 2019 - 23:28
TAUX DE CROISSANCE 2018 EN CHUTE

Un désaccord entre le Sénégal et le Fmi sur le chiffre

 

Le taux de croissance du Sénégal est en chute et s’établit à 6,2 % en 2018, contre 7,2 % en 2017, selon le rapport du Fonds monétaire international (Fmi) sur les perspectives économiques régionales rendu public hier. Mais le directeur de la Planification des politiques économiques, Pierre Ndiaye, conteste ce chiffre et parle d’un désaccord qui va être réglé. La baisse est moindre, selon lui, et le taux est à 6,8 %.

 

Il ressort du rapport sur les perspectives économiques régionales du Fonds monétaire international (Fmi) que le taux de croissance du Sénégal a chuté, l’année dernière. D’après le document, après un taux de 7,2 % en 2017, ce dernier est estimé à ‘’6,2 % en 2018’’ et projeté à ‘’6,9 % en 2019’’. Interpellé par ‘’EnQuête’’ sur la question, le directeur de la Planification des politiques économiques, Pierre Ndiaye, affirme qu’il y a un désaccord par rapport à ce chiffre. ‘’C’est un chiffre sur lequel nous ne sommes pas d’accord avec le Fmi. Au fait, ils n’ont pas réactualisé leurs chiffres. On leur a notifié cela et ils vont le corriger. Certes, le taux de croissance a connu une baisse en 2018, mais elle est de 6,8 % et non 6,2 %’’, précise-t-il.

Toutefois, le ministre des Finances et du Budget soutient que le Sénégal figure dans ‘’le peloton de tête’’ en Afrique, en termes de taux de croissance et de performance économique. ‘’En matière de gestion de finances publiques, des efforts considérables ont été faits, ces dernières années, pour réduire de manière progressive le déficit public, améliorer la gestion de la dette de l’Etat ou renforcer la qualité des investissements’’, renseigne le ministre. Abdoulaye Daouda Diallo rappelle que le gouvernement sénégalais a aussi consenti d’importants investissements pour développer des corridors routiers en vue de renforcer les échanges avec ses voisins.

‘’Il est important, poursuit-il, de relever que plus de 80 % des ressources mobilisées à travers notre budget d’investissement ont été investies dans 6 secteurs clés. Il s’agit notamment des infrastructures de services, de transport, l’énergie, l’agriculture, l’éducation et la formation, l’hydraulique et l’assainissement, la santé et la protection sociale’’, affirme-t-il.

Pour sa part, la représentante-résidente du Fmi au Sénégal indique que, dans les pays où la croissance est en chute, il est nécessaire que le secteur privé prenne le relais. C’est-à-dire en mettant en place des mesures pour faciliter l’accès au crédit pour les petites et moyennes entreprises (Pme), améliorer le climat des affaires pour l’investissement privé. ‘’La croissance est, dans bon nombre de ces pays, due en partie à l’investissement public qui entraine une hausse constante de l’endettement public. Les pays d’Afrique subsaharienne doivent trouver le juste équilibre entre les besoins de développement et la maitrise de l’endettement. Ils doivent aussi mettre en œuvre des mesures qui rehaussent la productivité et approfondissent l’intégration commerciale, notamment dans le contexte de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf)’’, préconise Cemile Sancak.

Pour elle, il est important, pour les pays en Afrique subsaharienne, d’augmenter les recettes aux besoins d’investissement et sociaux. ‘’Cette augmentation peut être réalisée par l’amélioration du recouvrement des recettes, mais aussi il y a des taxes. Et la politique fiscale peut jouer un rôle. Sur ce, il est important de diminuer les dépenses fiscales qui sont d’environ 6 à 7 % du Pib pour le Sénégal’’, recommande-t-elle.

Accroissement de la dette publique des pays d’Afrique subsaharienne

La composition de la dette publique des Etats de l’Afrique subsaharienne s’est ‘’complexifiée’’ dans plusieurs cas. D’après toujours le rapport du Fmi, elle a connu un accroissement de ‘’366 milliards de dollars entre 2010 et 2017’’, soit plus de 213  713 milliards de francs Cfa. Ce qui est, selon la même source, ‘’imputable’’, pour deux tiers environ, à des emprunts sur les marchés financiers nationaux et internationaux. Ce qui implique donc un risque de changement de prix, pour 43 % de cette dette constituée d’emprunts en devises sensibles aux variations des taux de change et pour 13 % constitués d’emprunts bilatéraux.

‘’L’accès à d’autres sources de financement a, certes, aussi été utile dans certains cas : par exemple, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Kenya, le Nigeria et le Sénégal ont profité de conditions de financement favorables à l’échelon mondial pour améliorer la structure des échéances de leur dette, en remplaçant leur dette à court terme par une dette à plus long terme, ce qui leur a permis de réduire le risque de refinancement’’, explique le document.

‘’Le Sénégal a un risque faible’’

En réalité, le chef de Division des études régionales au département Afrique du Fmi souligne que l’endettement est un des défis auxquels les pays de la sous-région doivent faire face. ‘’Il y a 7 pays qui, en ce moment, sont en situation de surendettement et 9 qui sont à haut risque de surendettement. Le Sénégal a un risque faible. Mais, par rapport aux vulnérabilités liées à la dette, il est important que les gouvernements de la sous-région les réduisent’’, déclare Papa Ndiaye.

En effet, le service de la dette est passé de 5 % du produit intérieur brut (Pib) des pays de l’espace régional, en 2010, à plus de 10 % en 2017. Or, selon M. Ndiaye, ces 5 % du Pib auraient pu servir aux dépenses sociales et de développement dont ces pays ont besoin.

‘’Il est important d’y veiller pour dégager les dépenses fiscales qu’il faut pour répondre aux besoins de développement des pays d’Afrique. Mais aussi pour assurer la stabilité macroéconomique. Cette dernière est très nécessaire pour que les pays de la sous-région créent des conditions idoines à une croissance économique élevée et inclusive’’, préconise-t-il.

Plus 10 047 milliards de F Cfa d’émissions d’obligations souveraines internationales en 2018

Il convient de noter que le rebasage du Pib opéré récemment a contribué à faire baisser le ratio d’endettement de façon ‘’non négligeable’’ en Gambie et ‘’plus faiblement’’ ailleurs.  Cet effet étant en partie compensé, d’après le Fmi, par la ‘’défaillance’’ d’une banque commerciale au Ghana et d’un élargissement du périmètre de la dette à l’ensemble du secteur public au Sénégal. En plus, l’institution de Bretton Woods renseigne que les marchés mondiaux des actifs sont aussi devenus plus volatiles. Tandis qu’on observait un durcissement des conditions financières au niveau mondial, au second semestre 2018.

Sur ce, l’appétit des investisseurs étrangers pour les titres de la région ne s’est toutefois pas démenti. Car les émissions d’obligations souveraines internationales par les pays préémergents d’Afrique subsaharienne ont atteint 17,2 milliards de dollars en 2018, soit plus 10 047 milliards de francs Cfa, et dépassé ainsi les totaux annuels enregistrés dans le passé. Le Nigeria et l’Angola ont contribué à plus de la moitié des émissions réalisées, avec des émissions d’euro-obligations d’une valeur d’environ 5,4 et 3,5 milliards de dollars respectivement. Le reste des émissions effectuées se répartissant à peu près également entre quatre autres pays que sont la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Kenya et le Sénégal.

‘’Ces enjeux montrent bien que la politique budgétaire doit veiller particulièrement à éviter une accumulation insoutenable de la dette et à renforcer les pratiques de sa gestion. Malgré l’accroissement des ratios d’endettement, les besoins d’investissement restent importants dans les infrastructures, l’éducation et la santé, notamment’’, souligne le Fmi.

Les points de désaccord pour la mise en œuvre de la Zlecaf  

Dans un contexte de mise en œuvre de la Zlecaf, l’économiste principal du département Afrique du Fmi affirme que compléter la libéralisation des échanges par des réformes structurelles augmenterait considérablement l’impact de cette initiative. ‘’Les effets distributionnels, l’inégalité pourrait augmenter, mais dans les économies où le secteur agricole est relativement grand. L’effet de revenu est moins important dans les économies où le secteur informel est important. La Zlecaf entrainera également des pertes de revenus limitées, à quelques exceptions près. Les réductions tarifaires peuvent jouer un rôle important dans la promotion du commerce interrégional, si elles sont appliquées à une grande partie du commerce’’, indique Réda Chérif. D’après lui, les avantages seraient plus importants, s’ils étaient complétés par les politiques visant à réduire les goulots d’étranglement non tarifaires. Mais l’économiste estime que les politiques doivent prendre en compte les coûts d’ajustement de l’intégration commerciale.

Toutefois, le chef de la Division des politiques commerciales sectorielles de la Direction du Commerce extérieur signale qu’il y a quelques désaccords entre les Etats dans ce processus. ‘’Pour la durée de libéralisation, elle est de 5 ans pour les pays en développement et de 13 ans pour les pays les moyens avancés. C’est un problème qui se pose, mais qui n’est pas encore réglé. La question des règles d’origine reste essentielle. Nous sommes en train de négocier pour des règles spécifiques, à savoir celles hybrides. Mais il reste quelques points de désaccord sur ce point. C’est pareil aussi pour les services’’, fait savoir Fallou Mbow Fall.

En fait, en février 2019, les chefs d’Etat africains ont établi une feuille de route pour finaliser ces questions en suspens. Elles portent généralement sur le commerce des marchandises et celui des services. Dans une zone de libre-échange, chaque pays doit dégager des listes d’engagement pour dire comment il va libéraliser ces importations en provenance d’autres pays. M. Fall informe qu’au niveau de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), ils ont décidé d’adopter une liste régionale au même rythme de libéralisation.

Dans le protocole sur le commerce des marchandises, il y a une partie sur les barrières douanières. Et les Etats, dans les négociations, envisagent d’avoir un mécanisme d’élimination de ces barrières. ‘’Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine ont également prévu de lancer la phase opérationnelle de la Zlecaf, en juillet 2019, lors d’un sommet extraordinaire. Ce lancement nécessite un certain nombre de préalables pour la résolution de certaines questions’’, ajoute-il. Il convient de souligner que, pour le Secrétariat de la Zlecaf, des pays sont candidats pour l’abriter. Ils sont au nombre de 6 dont le Sénégal.

MARIAMA DIEME

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