Publié le 7 Apr 2021 - 23:14
YARAM DIEYE - AUTEURE

L’avocate des faibles

 

Juriste de profession, auteure par passion, Yaram Dièye publie son troisième livre intitulé ‘’Un sou pour sa survie’’, après ‘’Barça ou barçakh’’ et ‘’Tant qu’il y a de la vie’’. A travers son nouvel ouvrage qui est composé de deux nouvelles, elle enfile sa robe noire pour défendre deux couches vulnérables de la société sénégalaise : les enfants talibé et les malades mentaux.

 

Publié aux Editions Rahma, ‘’Un sou pour sa survie’’, le troisième ouvrage de Yaram Dièye est constitué de deux nouvelles qui plongent le lecteur dans l’univers des enfants de la rue et des malades mentaux. Ainsi, en s’intéressant à ces deux couches vulnérables de la société sénégalaise, l’auteure décrit ‘’un monde de la folie ou la folie d’un monde, où les croyances religieuses se mêlent aux traditions dans des situations parfois cruelles, exacerbées par la jeunesse des personnages’’. Pour elle, ‘’l’hospitalité sénégalaise est vide de sens, lorsqu’on braque les projecteurs sur le traitement réservé aux marginaux’’. 

En effet, dans la première histoire, il est question de deux frères talibés qui viennent de Gankette, dans la contrée du Walo. Leur père a fait le choix de les envoyer dans un ‘’daara’’ sis à Guédiawaye, en banlieue dakaroise, malgré les suppliques de leur mère, effrayée par cette séparation. En prenant cette décision, il reproduit un modèle qu’il a connu, estimant que l’apprentissage mérite un détachement familial.

Ce choix a d’abord concerné Bassirou. ‘’Du fond de sa cellule, entre les rats et le moisi, il s’en souvenait comme si c'était hier. Son départ était annoncé depuis plusieurs jours et sa mère, Ndèye, ne s’y faisait pas toujours. A ses yeux, Bassirou était trop jeune pour quitter le giron familial’’.

Cet extrait du livre montre qu’il s’agit d’une séparation qu’un enfant peut vivre comme un abandon, s’il n’est pas préparé et si le lieu d’accueil n’est pas sécurisant. Or, ici, ‘’l’enfant y subit toutes sortes de sévices jusqu’au point de fuir. De retour au Walo, le père n’a rien trouvé de mieux que de le ramener. En plus, il lui adjoint son petit frère Hamidou. Ce qui fait que Bassirou va se positionner comme protecteur de son frère pour que ce dernier ne vive pas les choses qu’il a vécues’’, a expliqué Yaram Dièye au cours d’un entretien accordé à ‘’EnQuête’’.  

Une dizaine d'années s’est écoulée, entre son premier roman et celui-ci. Yaram Dièye affirme avoir eu beaucoup de questionnements au cours de cette période. ‘’Mes angoisses, mes peurs se sont multipliées, parce qu'entre-temps, je suis devenue maman. Et donc, notre rapport à l’autre n’est plus le même’’, confie-t-elle.

Ainsi, c’est sa fibre maternelle qui l’a guidée, au cours de sa rédaction. ‘’On ne peut pas occulter ce qui se passe, quand on voit ces enfants en haillons, sans souliers, qui sillonnent les rues’’, dit-elle.  ‘’Certes, nous avons tous, à un moment ou à un autre, participé à nourrir cela, parce qu’on donne un sou pour que ces enfants survivent. Mais je pense qu’il est important de se poser des questions. Est-ce que nous devons faire perdurer cela ou est-ce que nous devons prendre des dispositions pour que cela cesse justement ?’’, a-t-elle ajouté.

 Redonner la dignité et le respect aux malades mentaux

L’on retrouve, dans la deuxième partie du livre, cette empathie et compassion d’une mère de famille qui, devant la vulnérabilité d’une personne, pose des actes pour trouver des solutions. ‘’Maman raisonne et nous embarque dans ses mots… Je ne l’ai encore dit à personne, mais je crois que maman est en train de devenir folle à son tour. Elle a dû attraper ma maladie en me soignant...’’, lit-on dans le résumé de cette histoire où la parole est donnée à Astou, une ‘’folle’’, qui livre elle-même les détails de sa maladie.

De ce fait, cette partie, Yaram Dieye l’a voulue légère et drôle, car ‘’le sujet abordé est très sérieux’’, dit-elle.  Mais il est surtout question de dénoncer ‘’une société qui abandonne ses fous dans la rue et rit de leur sort. Pendant ce temps, Ndèye, emparée par la folie, ne demande qu’à ‘’se reposer. Rien qu’un peu’’.

En effet, l’auteure entend sensibiliser la société sur le traitement réservé à cette catégorie de malades pour que la dignité et le respect auxquels ils ont droit leur soient donnés. ‘’Il faut qu’on essaye de leur redonner la dignité et le respect auxquels ils ont droit, parce que c’est généralement ce qui fait défaut ici au Sénégal. On n’attache pas une personne malade ; on ne l’isole pas. On n’interdit pas aux personnes vivant dans le même foyer que cette personne-là de la fréquenter, parce que ça l’isole davantage’’, a plaidé Yaram Dièye.

Elle reconnaît, toutefois, que face à un système de santé presque inexistant, les familles concernées ‘’n’ont pas forcément beaucoup de marge de manœuvre’’. ‘’Le système médical défaillant fait que les familles sont très souvent démunies. Et la première réaction que les familles ont, c’est d’aller consulter un marabout. Mais le temps qu’elles se rendent compte que ce n’est pas la bonne solution, il est déjà trop tard. La maladie a gagné du terrain’’, a-t-elle regretté.

Raconter ces deux histoires à travers des nouvelles était un choix bien pensé. Il s’explique par le fait qu’elle offre la possibilité d’être synthétique. La nouvelle ne s’embarrasse pas de beaucoup de descriptions. Yaram Dièye, qui a voulu aller à l’essentiel, parce qu’évoquant des sujets sensibles, trouve ce genre littéraire intéressant à plus d’un titre.

En effet, de son point de vue, les histoires qu’elle raconte ne vont pas de pair avec des descriptions parfois longues qu’imposent d’autres genres littéraires comme le roman.  Car, généralement, ‘’le roman, rappelle-t-elle, peut suivre un personnage de sa naissance à sa mort’’. Quant à la nouvelle, ‘’elle saisit un personnage à un moment de sa vie et le projette aux lecteurs pour qu’il s’en saisisse et en fasse une appropriation personnelle’’.

‘’J’aime beaucoup Mariama Ba et Chimamanda Ngozi Adichie’’

Née au Sénégal, à Thiadiaye, Yaram Dièye a fait ses études supérieures en France où elle a étudié le droit et les sciences politiques. Aujourd’hui, elle exerce le métier d’avocat à Lyon. Elle a dans ses matières de prédilection le droit des étrangers. Elle s’occupe de leurs titres de séjour et de la procédure de regroupement familial, etc. Elle s’occupe également du cas des personnes à qui l’on a donné des avis d’expulsion. Yaram Dièye milite surtout pour les femmes et les enfants.

En effet, elle agit à travers des associations pour permettre aux femmes qui viennent d'arriver en France de connaître leur droit. Auteure par passion, Yaram Dièye a baigné dans la littérature depuis toute petite. Au collège et au lycée, elle participe au concours de poésie et au théâtre. Ayant des frères qui l’ont précédée dans la publication d’ouvrages, elle bénéficie de leurs conseils, de leur appui, pour ‘’une formidable aventure’’. Elle a également un père qui écrit en arabe et en wolof. ‘’La littérature a toujours nourri mes journées et m’a toujours accompagnée’’, sourit-elle.  

‘’Un sou pour sa survie’’ est le troisième ouvrage littéraire qu’elle a signé.

Cette écrivaine-avocate   a un style d’écriture un peu particulier. Engagée, elle aime évoquer des sujets ‘’sérieux’’, en racontant des histoires d’une manière légère. Mariame Ba et la Nigérienne Chimamanda Ngozi Adichie sont ses écrivains préférés. ‘’Mariama Ba, j’aime sa façon d’aller droit au but ; sa façon d’aborder les choses. Quand on lit cette auteure, on se dit ‘ça, c’est vrai’. Elle raconte des choses qu’on a l’habitude de voir, mais elle a une façon de dire les choses. On se dit soit elle nous parle, soit elle parle à quelqu’un que nous connaissons. Aujourd’hui, plus de 30 ans après sa mort, ses écrits sont toujours d’une incroyable actualité’’, a-t-elle apprécié.

‘’Barça ou barçakh’’ est le premier livre de Yaram Dièye. L’auteure y relate l’histoire des jeunes qui décident de prendre les pirogues d’infortune à la recherche de l’Eldorado. C’est une histoire assez dramatique d’un homme qui a décidé d’aller à l’aventure, en vue d'échapper à la monotonie de son existence. Âgé de 25 ans, sans diplôme, ni formation, il y est allé avec une maman célibataire qui essaye de pourvoir aux besoins de sa famille qui s’est cotisée pour lui permettre de voyager.

Yaram Dièye a également signé ‘’Tant qu’il y a de la vie’’. Une œuvre publiée à la Société des écrivains en 2007, qui parle de la prostitution des femmes africaines en Occident. ‘’J’ai eu, dans mon parcours, l’occasion de croiser des personnes - pas forcement des Sénégalais - qui, à la base, étaient parties faire des études et qui ont été obligées de tomber dans la prostitution’’, a-t-elle fait savoir. 

Dans cette œuvre, Yaram Dièye a cherché les causes de ce qui peut pousser une femme africaine à se prostituer en Europe, notamment en France. ‘’’Tant qu’il y a de la vie’ essaye de retracer les causes qui peuvent pousser une femme à faire ce choix, alors qu’elle est loin de son milieu et qu’on aurait peut-être tendance à se dire qu’elle va essayer de surmonter les obstacles qui s’opposent à elle, parce qu’elle aura en conscience ce qu’elle a laissé derrière elle. Mais parfois, la vie se présente en nous d’une façon qui ne nous convient pas et on essaye de faire avec le mieux qu’on peut’’, explique-t-elle.

Interpellée sur la situation des étudiants sénégalais à l’étranger, elle témoigne : ‘’C’est des personnes qui sont déterminées à s’en sortir, qui quittent le Sénégal avec un bagage social, intellectuel qui, en mon sens, leur permet de tenir le cap. ‘Dëkku jambur laa’ ; ça reste ‘dëkku jambur’. On essaye de s’adapter du mieux qu’on peut. Il faut apprendre des bases, des codes. Il faut s’adapter au climat, dans un milieu social que l’on ne connaît pas. Mais le Sénégalais, surtout les Sénégalaises sont dotés d’une formidable résilience qui leur permet de s’adapter dans tous milieux. Et généralement, les étudiants qui ont le Bac et qui quittent ici, ont cette envie, cette volonté de réussir qui leur font surmonter les obstacles qu’ils peuvent rencontrer’’. De plus, ‘’la vie d’étudiant n’est facile nulle part. Ni au Sénégal ni ailleurs !’’.

BABACAR SY SEYE

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