Publié le 12 Jan 2018 - 21:26
CONTRÔLE JURIDICTIONNEL DE L’ADMINISTRATION

Les magistrats font le procès des pouvoirs publics

 

L’action de l’Administration face à l’Etat de droit a été au menu, hier, lors de la rentrée solennelle des Cours et tribunaux. Les magistrats ont relevé les contraintes du juge administratif et de l’exécution des décisions. Toutefois, des recommandations ont été faites.

 

C’est connu. Trancher des litiges mettant en cause l’administration n’a jamais été une chose facile pour le juge administratif. ‘‘C’est un contrôle externe et spécialisé exercé a posteriori’’, a reconnu le conseiller référendaire à la Cour suprême Sangoné Fall, hier, lors de son discours d’usage à la rentrée solennelle des Cours et tribunaux portant sur le thème : ‘’le contrôle juridictionnel de l’Administration’’. Il faut relever que les contentieux les plus récurrents portent sur les procédures de passation de marchés publics, de licenciement de délégués du personnel, d’autorisation de construire et d’affectation de terres du domaine national. Ainsi, ajoute-t-il, même s’il y a des avancées notables, l’urgence et la nécessité d’améliorer l’intervention du magistrat dans le contrôle de l’administration ne sont pas à occulter. Ce faisant, le communiquant a étalé les limites du système. Notamment le délai de traitement qui, malgré des efforts immenses, reste dans la fourchette d’un an, après l’introduction du recours auprès du greffe de la Cour.

Le conseiller référendaire a, de même, parlé du droit au recours qui semble être remis en cause par une formalité excessive, telle que l’obligation de signifier la requête, outre l’absence de prérogatives du juge administratif sur l’exécution de sa décision qui se traduit par l’inexistence d’un pouvoir d’astreinte et d’un pouvoir d’injonction. ‘’Mais aussi, il faut le relever pour le déplorer, le plus souvent, c’est l’administration elle-même qui fait de la résistance. Elle doit comprendre, qu’au même titre que les particuliers, elle doit se soumettre au droit en usant, le cas échéant, des voies de recours’’. 

A ces difficultés, Sangoné Fall invite à savoir dans quelle mesure, et par le biais de quels moyens, le juge administratif peut contraindre l'administration à se conformer à ses décisions. Non sans évoquer une autre contrainte qui résulte de l’absence de spécialisation des juges chargés du contentieux administratif, dans la mesure où la formation de base est généraliste et, en plus, le premier contact avec ce contentieux ne se fait qu’en fin de carrière à la Cour suprême.

Mamadou Badio Camara : ‘’il est vrai que les litiges qui mettent en cause l’administration…’’

Abondant dans le même sens, Mamadou Badio Camara a reconnu ‘‘qu’il est vrai que les litiges qui mettent en cause l’administration ne sont pas placés sous le signe de l’égalité juridique comme le sont les contentieux opposant des personnes privées entre elles’’. Ce, dans la mesure où elle dispose de prérogatives de puissance publique exorbitantes du droit commun et qui lui permettent de poursuivre des fins d’intérêt général qui lui sont assignées, au besoin, à l’encontre des intérêts privés. Ce qui place les administrés dans une situation d’infériorité, avoue-t-il.  Toutefois, le premier président de la Cour suprême tient à rappeler que le rôle du juge est de veiller à un certain équilibre entre l’efficacité de l’action administrative nécessaire pour des raisons d’intérêt général et la protection des droits individuels contre les atteintes excessives de l’Administration.  Sur ce, précise-t-il, ‘’le contrôle juridictionnel doit être empreint de réalisme dans la recherche de l’équilibre entre ces deux impératifs souvent contradictoires’’.

Conscient que le juge administratif est garant de la légalité et qu’en cas de violation, il doit sanctionner, le magistrat, Sangoné Fall informe qu’il faut, ‘’à défaut d’une réforme en profondeur du système de contrôle juridictionnel de l’administration, des mesures tendant à prendre concrètement en charge la recherche de l’efficacité du rôle assigné aux juges pour encadrer l’action administrative et la limiter en cas d’arbitraire ou de violation de la loi’’. C’est pourquoi, note-t-il, ‘’nous proposons de mettre en place, dans le cadre du processus de modernisation prôné par le ministre de la Justice, un comité de travail qui aura à réfléchir sur les idées portant sur l’organisation du contrôle, sur le cadre légal d’évolution de l’administration, sur la saisine du juge et sur ses pouvoirs’’. Avant de poursuivre : ‘’Il importe de mieux renforcer la spécialisation des juges administratifs, qui ne débouche pas forcément sur un ordre spécialisé, mais par une formation continue accrue et un temps de présence plus conséquent à leurs fonctions. Il faudrait surtout penser à la décentralisation du recours pour excès de pouvoir, du moins pour une certaine catégorie d’actes, notamment ceux édictés par les autorités déconcentrées ou les élus locaux.’’

Selon lui, il y a lieu également de revoir les dispositions du code des obligations de l’administration pour prendre en compte les nouvelles tendances du droit des contrats administratifs au Sénégal. Aussi, le raccourcissement du délai implicite de rejet serait-il intéressant à explorer, compte tenu de sa durée assez longue de quatre mois, dans un contexte où la vitesse du temps constitue un paradigme de notre civilisation.

Des ‘’idées’’ pour faire respecter le droit à l’Administration

Pour les magistrats, il convient, en outre, d’assouplir les formalités d’introduction du recours pour excès de pouvoir par la suppression effective de la consignation et envisager, en ce qui concerne la signification, de la limiter aux procédures qui mettent en cause des personnes autres que l’Etat central. ‘’L’institution d’un organe chargé d’aider l’administration dans l’exécution des décisions du juge pourrait aussi être envisagée’’, ont-ils soutenu. A cet égard, ont-ils affirmé, l’exécution effective des décisions du juge administratif ne peut se faire sans la mise en place de procédures d’injonction et d’astreinte. D’après eux, plusieurs pays africains l’ont déjà expérimenté, renforçant du coup l’efficacité du contrôle de l’administration. 

Cependant, ils sont avertis que ces mécanismes ne doivent pas pousser les juges à violer le principe de séparation des fonctions administratives et judiciaires et s’immiscer dans le rôle confié aux autorités administratives, mais doivent, au-delà de l’explicitation du sens technique des décisions, servir à garantir la jouissance réelle des droits des administrés. ‘’On doit intégrer dans l’analyse l’identification des personnes morales de droit public concernées, la notion d'administration étant très large. De ce fait, nous devons définir les administrations qui sont susceptibles d'être condamnées par le juge administratif, en cas d'inexécution de sa décision’’, déclarent-ils. Car, précisent-ils, l'Etat, souvent très puissant, ne souhaite pas voir son action bloquée par le droit, et le pouvoir d’exécution semble pouvoir être mis en œuvre par les collectivités locales, les établissements publics et les Agences’’.

Toujours sur les recommandations, les juges votent pour l’élaboration d’un code administratif et la sensibilisation des acteurs de la justice, de la société civile et des administrés en général, sans oublier le toilettage du code général des collectivités locales en référence au référé administratif. 

L’aspect financier n’échappe pas également au contrôle juridictionnel, puisque, selon les magistrats, la Cour des comptes reste dépositaire de cette mission. En plus, de façon générale, une compétence est donnée aux juridictions sénégalaises pour le contentieux de l’interprétation et de l’appréciation dans lequel il s’agit de se prononcer sur le sens d’un acte ou sur sa régularité et ceci, en vertu de l’unité de juridiction. Aussi faudrait-il rappeler que le contrôle de l’administration n’est pas seulement l’apanage du juge administratif, mais il conserve tout de même une place centrale dans l’encadrement de son organisation et de son fonctionnement ainsi que de l’exercice de ses missions. 

AWA FAYE

 

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