Publié le 8 Mar 2021 - 22:06
DE SALARIÉE À MÉNAGÈRE

Immersion dans le nouvel univers d’Aïssatou Diallo

 

Elles sont nombreuses à avoir quitté leur boulot pour se consacrer à leur vie de famille, de plein gré ou sous la contrainte. L’univers de ces femmes ménagères est loin d’être de tout repos, contrairement à ce que beaucoup pensent. A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, l’une d’entre elles a partagé avec ‘’EnQuête’’ son quotidien. 

 

Les rêves ne se réalisent pas toujours. Aissatou Diallo en est la preuve vivante. De teint clair, la peau lisse, son sourire lumineux inspire confiance et respect. Si, à 15 ans, elle rêvait de devenir hôtesse de l’air, aujourd’hui, son quotidien se résume aux quatre murs de son foyer. L’année 2020 n’a pas été de tout repos pour elle. Confrontée à une grossesse assez compliquée, la trentenaire a dû faire une croix sur son poste d’enseignante dans une école privée de la place.

‘’Je n’ai pas vraiment digéré cette décision, parce que je suis de celles qui pensent qu’une femme doit être indépendante d’un point de vue financier. Dans mon groupe d’amies, on m’appelait même l’’Intello’, tant je défendais l’autonomie financière des femmes. Mais, à un moment donné, j’ai été obligée de faire un choix’’, confie notre interlocutrice, allaitant sa fille de 5 mois. Plongée dans ses souvenirs, le regard lointain, les cernes autour de ses yeux renseignent sur son état physique. La jeune dame dort peu, comme toute nouvelle maman, mais ce nouveau-né est aujourd’hui la source à laquelle elle s’abreuve, quand elle se sent à bout de forces.

Aissatou est l’aînée d’une famille de trois enfants. Née le 7 juillet 1990, elle a connu la chaleur d’un foyer paisible durant toute son enfance. D’origine gambienne, en 2014, elle fait la rencontre, à Banjul, de l’homme qui deviendra un an plus tard son mari. Ce dernier s’y rendait fréquemment dans le cadre de missions liées à son travail. Licenciée en anglais, elle rejoint le domicile conjugal et apprend peu à peu à s’adapter à sa nouvelle vie. La barrière linguistique a été pendant plusieurs mois un véritable casse-tête. En effet, le ‘’wolof anglicisé’’ parlé en Gambie est différent de celui du Sénégal, sans compter un accent dont beaucoup se marraient. Des obstacles qu’elle a réussi à surmonter au fil du temps, s’appuyant sur l’amour qui régnait dans son couple. A cette période, les nouveaux mariés filaient le parfait amour.

Tout le contraire aujourd’hui. L’origine du malaise n’est autre que sa volonté de vouloir reprendre son job. ‘’ Après la naissance de notre premier enfant en 2015, j’ai trouvé du travail en tant qu’enseignante. Je donnais des cours d’anglais dans une école bilingue. Tout allait pour le mieux, puisque mon mari était d’accord. Il me soutenait, m’encourageait. Et j’étais vraiment épanouie. J’ai rencontré de nouvelles personnes, je me sentais utile, j’avais une autre vie, à part mon mariage ou les tâches ménagères. Mais au bout de trois ans, ma belle-mère s’est plainte du fait que je ne suis pas présente, que je suis tout le temps hors de la maison, que ne la soutiens pas dans les travaux ménagers. Je n’ai pas compris son attitude, puisque dès que je rentre, je m’implique dans les tâches’’, raconte-t-elle dans une voix empreinte de tristesse.

Malgré ces désaccords, la jeune dame a continué d’exercer jusqu’à sa deuxième grossesse, en 2020. Aux mois de mars, son époux cède à la pression de sa mère et lui demande de quitter son emploi pour se consacrer à la maisonnée. La demeure compte 12 personnes. C’est une cour familiale sise à la commune de Patte d’Oie, abritant grands-parents, parents, enfants et petits-enfants. Unique belle-fille, la jeune Peulh se devait d’être aux petits soins de sa belle-famille. Durant la grossesse, elle assura quatre fois par semaine les trois repas de la journée. Un ordre établi auquel elle continue de se plier. A cela s’ajoutent les séances de nettoyage du rez-de-chaussée et du premier étage, chaque jour. La serpillière doit également passer dans la chambre de la belle-mère. Le visage déformé par un sentiment de colère, elle se demande si cette dernière accepterait qu’on fasse subir ce traitement à son unique fille : ‘’A un moment donné, j’ai voulu partir, mais je n’en ai pas eu le courage. Les cousines de mon mari sont étudiantes, donc pour elles, pas question de faire le ménage. Elles me font savoir qu’elles n’ont pas de temps. Je fournissais beaucoup d’efforts, au point que j’ai failli perdre l’enfant. J’avais de terribles maux de ventre, je vomissais tout le temps, j’ai perdu beaucoup de poids et mon mari semblait sourd à mes complaintes.’’

‘’Aissatou est comme un robot’’

La petite Yandé endormie, elle est maintenant libre de ses mouvements. Cap sur la préparation du repas de midi. Il faut surtout espérer que son sommeil soit long, si elle veut finir à temps. Debout depuis 5 h du matin, ses journées se déroulent presque sans pause. Tout commence par le petit-déjeuner d’Oumar. Viennent, ensuite, le ménage, les emplettes, le repas, la vaisselle... Un programme bien souvent interrompu par moments, par les pleurs de son bébé.  De taille fine, d’un premier abord, on pourrait douter de ses capacités de résistance physique. Il n’en est rien. La jeune maman est habile, souple et dynamique. D’ailleurs, la maisonnée s’accorde sur ses talents culinaires. ‘’Aïssatou, c’est comme un robot. Elle ne s’arrête que lorsqu’elle a fini tout ce qu’elle a à faire’’, lance un de ses beaux-frères.

Après le partage du repas, il faut rendre propres les lieux. Les cheveux défaits, à l’aise dans une robe en wax bleue sans manches, elle s’attaque à la pile d’ustensiles déposée au milieu de la cour. Cela, tout en gardant un œil sur la cuisson du repas du soir. Une heure plus tard, c’est le réveil de sa fille. Personne n’arrive à calmer ses cris et ses pleurs. Visiblement, elle réclame sa mère. Le reste des travaux se fera avec son bébé sur le dos.

Il est bientôt 18 h ; l’heure à laquelle son mari revient du boulot. ‘’Je n’aime pas quand il revient me trouver froissée, avec toutes ces odeurs que j’ai accumulées durant la journée’’, lance-t-elle taquine, penchée au-dessus d’un seau d’eau savonneuse. C’est le moment du bain du bambin.

Son entourage la définit comme une personne serviable, généreuse et attentive. Des traits de caractère auxquels elle aimerait ajouter ‘’la fermeté’’ : ‘’Je pense que si j’étais plus ferme, il y a certaines choses que je ne subirais pas dans cette maison. A force, de rester entre quatre murs et de dépenser autant d’énergie chaque jour, on déprime. Je n’ai pas de temps pour moi. Le plus difficile dans l’histoire, c’est la solitude. Les choses ont beaucoup changé dans mon ménage. Omar est de plus en plus distant. C’est à croire que le bébé le dérange. Je mentirai si je dis qu’il ne subvient pas à mes besoins, mais ce n’est pas comme ça que j’avais imaginé ma vie de couple.’’ Comme pour étayer ses propos, Aïssatou n’hésite pas à sortir un album-photo datant de quelques années. On y voit une jeune fille plutôt corpulente et rayonnante. Tout le contraire actuellement. Les travaux ménagers quotidiens, surtout sans aucun soutien, sont bien plus épuisants qu’un quelconque emploi. Elle en est convaincue.

De son point de vue, la société devrait accorder plus de respect à ces femmes sur qui repose le bien-être des ménages. ‘’Ce sont souvent des femmes comme nous, ajoute-t-elle, qui nous jugent, qui nous prennent de haut. Je ne suis pas sûre qu’elles puissent abattre la moitié de toutes ces activités. Certes, on est au même point, du matin au soir, mais ce n’est pas pour dormir. Si tout ce que nous faisons était rémunéré ou estimé à sa juste valeur, on se ferait certainement beaucoup d’argent. D’ailleurs, actuellement, les filles de maison exigent de fortes sommes, entre 30 000 et 50 000 F, parce qu’elles savent que c’est éprouvant’’.

Une journée du 8 Mars réussie, pour elle, se résume à un hommage à toutes les femmes qui se donnent corps et âme pour la bonne marche de leur foyer. Et ce, sans salaire, sans congé ni arrêt maladie.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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