Le plaidoyer de la juge Awa G. Manga

Lors de la célébration de la Journée internationale de la femme juge, la juge d'application des peines au tribunal de grande instance hors classe de Dakar, Awa G. Manga, a fait une communication sur le bracelet électronique comme une alternative à l’incarcération chez les détenues.
"Empathie et action : femmes et filles en milieu carcéral". Tel était le thème de la Journée internationale de la femme juge. Lors de cette rencontre, la juge d'application des peines au tribunal de grande instance hors classe de Dakar, Awa G. Manga, a soutenu que la société fonctionne selon des règles de droit bien établies. La violation de ces règles, lorsqu’elle constitue une infraction, entraine des sanctions pénales. Le but ultime de la sanction pénale, selon Awa G. Manga, est de maintenir l'ordre établi, de conserver un sens à la société et donc de réparer la défaillance à l'égard de la règle juridique.
‘’La sanction pénale a ainsi une fonction de rétribution, neutralisation, dissuasion, réhabilitation et également de réparation. Lorsqu’une personne est poursuivie ou condamnée dans le cadre d’une infraction pénale, explique-t-elle, elle est détenue dans une maison d’arrêt et de correction. Le législateur sénégalais a prévu, dans son dispositif juridique, des mesures d’aménagement des peines qui non seulement facilitent la resocialisation ou réinsertion de cette personne, mais le désengorgement les lieux de détention qui, au Sénégal, font face à l’épineuse question de la surpopulation carcérale’’.
Ainsi, souligne-t-elle, "les modes d’aménagement des peines permettent non seulement d’alléger l’exécution de la peine, mais elles évitent une incarcération dans un lieu privatif de liberté et facilitent le retour en famille des détenus ou condamnés ainsi que leur réinsertion sociale. Ils trouvent leur cadre juridique dans la loi n°2000-38 du 29 décembre 2000, le décret n°2001-362 du 4 mai 2001, la loi n°2020-28 du 7 juillet 2020 modifiant la loi n°65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal, la loi n°2020-29 du 7 juillet 2020 modifiant la loi n°65-61 du 21 juillet 1965 portant Code de procédure pénale et le décret n°2021-1068 du 11 août 2021 modifiant le décret n°2001-362 du 4 mai 2001 relatif aux procédures d’exécution et d’aménagement des sanctions pénales et mettant en place le centre de surveillance électronique", renseigne la juge.
Les peines alternatives à l’incarcération qui sont prévues par ce dispositif juridique sont, liste-t-elle : ‘’Le sursis, l’ajournement du prononcé de la peine, la dispense de peine, la probation, le travail au bénéfice de la société, la semi-liberté, le fractionnement de la peine et enfin le dernier-né des alternatives à l’incarcération, c’est-à-dire le bracelet électronique qui vise à améliorer l’existant.’’
Une seule demande de placement sous surveillance électronique, sur une population carcérale de 266 détenues
S'agissant des femmes et des filles, informe la juge, sur une population carcérale nationale de 249 détenues provisoires et 145 condamnées, seules 16 bénéficient de mesures de bracelet électronique, sur un total de 266 assujetties. "Ce faible taux est dû à plusieurs causes’’, renseigne la Juge Awa G. Manga.
En effet, fait-elle remarquer, ‘’la décision de placement sous surveillance électronique peut être prise sur initiative de la juridiction, à la demande de l’intéressé ou de son avocat ou suite aux réquisitions du ministère public, sous les conditions visées plus haut. Elle mentionne la mesure de placement dans le dispositif du jugement et indique au condamné l’obligation de se présenter devant le juge de l’application des peines’’.
Par contre, précise-t-elle, ‘’l'assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE) peut être prise, sur initiative du juge d’instruction, à la demande de l’inculpé ou suite aux réquisitions du ministère public’’. La juge précise que la durée de l’assignation à résidence sous surveillance électronique est d’un an au plus. Elle ne peut, non plus, dépasser la peine privative de liberté encourue.
Or, ‘’l’ordonnance de placement sous bracelet électronique, d'après la juge, peut être prise d’office sur initiative du juge de l’application des peines, à la demande du condamné ou de son conseil ou de son civilement responsable, s’il s’agit d’un mineur. L’audience se tient en chambre du conseil, sur pièces ou au lieu de détention’’.
Par contre, informe la juge, ‘’la mainlevée de l’assignation à résidence sous surveillance électronique est d’office, en cas de non-lieu, de renvoi en simple police, relaxe, absolution de peines, emprisonnement assorti du sursis ou amende, acquittement, emprisonnement couvrant la durée du placement ou sur décision du juge d’instruction. Sur réquisition du maitre des poursuites ou à la demande de l’inculpé, instruite conformément aux dispositions des articles 129 et 130 du Code de procédure pénale (CPP) en matière de liberté provisoire. Les révocations sont d'office faites par le juge d'application des peines ou la juridiction de jugement et à la requête du procureur de la République, à la demande du condamné, sur proposition du Comité de suivi en milieu ouvert (CSMO)’’.
Il peut aussi y avoir révocation, en cas d’inobservation des obligations, sans motifs légitimes, de refus de se soumettre aux obligations nécessaires à la mesure et en cas de nouvelle condamnation.
Les freins à l’application du bracelet électronique
À ce jour, selon elle, le nombre de femmes et de filles demanderesses au placement sous surveillance électronique ou à l’assignation à résidence sous surveillance électronique est faible. "En ma qualité de juge de l’application de Dakar, je n’ai reçu qu’une seule demande provenant d’une femme condamnée, qui est encore en instruction. La plupart des demandes proviennent des condamnés hommes. Cela s’explique par les pesanteurs sociales. La société étiquette souvent une personne condamnée, ce qui pose parfois un problème de réinsertion sociale. D’où la réserve des femmes condamnées quant au port du bracelet électronique. Comme à l’image des autres modes d’aménagement des peines, la probation, la semi-liberté, les juges du siège correctionnel ne se sont pas bien encore approprié cette mesure. À l’exception du sursis, leurs plaidoiries sur les autres alternatives à l’incarcération dont le bracelet électronique est quasi inexistant devant les juridictions correctionnelles et le juge de l’application des peines’’, indique la juge d'application des peines au tribunal de grande instance hors classe de Dakar.
Ainsi, elle milite pour une formation initiale et une formation continue de tous les acteurs qui, directement ou indirectement, interviennent en matière de bracelet électronique, la publication des données statistiques pour vérifier l’impact des formations.
La juge Manga insiste aussi pour la disponibilité permanente du bracelet électronique et des agents chargés de l’installer à travers toutes les juridictions du pays, une sensibilisation au niveau des lieux de détention de femmes et de filles sur les opportunités qu’offre le bracelet électronique, qui peut être portée discrètement à l’abri des regards de l’entourage, afin qu’elles puissent être en famille, resserrer les liens familiaux et mener leurs activités génératrices de revenus, tout en subissant leur peine sans être incarcérées.
CHEIKH THIAM