Publié le 23 Jun 2021 - 15:45
ÉDUCATION NATIONALE : UN SYSTÈME À PLUSIEURS OFFRES

L’enseignement franco-arabe une option à promouvoir

 

La langue arabe a des attaches historiques profondes et des liens spirituels très forts avec les Sénégalais. Avant la colonisation, l’arabe était la langue avec laquelle nos rois communiquaient entre eux mais aussi entre eux et les colons. Elle revêt une importance non contestée aux yeux de la population à 95% de musulmans. Comme disait l’autre « S’il n’est pas nécessaire de connaitre l’arabe pour être un bon musulman, il est indispensable pour le moins de savoir en arabe les versets coraniques qui jouent un rôle si important dans les actes cultuels ».

L’enseignement de l’arabe est une demande sociale portée surtout par les chefs religieux hier comme aujourd’hui. Selon un rapport de 1984 d’Amadou Cissé Diéguène, ancien Directeur de l’enseignement arabe au Ministère de l’Education nationale, « l’enseignement de l’arabe a été introduit officiellement dans le primaire en 1960 par l’arrêté ministériel n° : 6293 du 11 juillet 1960 ».

Et cinq (05) ans après le collège d’enseignement franco-arabe Cheikh Mouhamadou Fadilou Mbacké du Point E fut créé par le décret 65-540 au 21 juillet 1965. Il était Jadis un établissement de formation des instituteurs en langue arabe devant servir dans l’élémentaire avec un an de stage en Tunisie.

C’est ce collège qui deviendra après plusieurs mutations le premier lycée franco-arabe au Sénégal par le décret 2000-1097 du 18 décembre 2000.

Le système franco-arabe repose sur un enseignement général bilingue. L’arabe y est la langue de base, le français la LV1 et l’anglais la LV2. Les disciplines scientifiques, l’histoire, la géographie et la philosophie sont enseignées en français avec le même programme que celui des établissements classiques avec les mêmes coefficients et les mêmes crédits horaires. Sa spécificité par rapport au système classique ou l’école française, c’est l’enseignement de l’éducation religieuse et de l’arabe comme langue de base. Les examens du CFEE, du BFEM et du Bac sont organisés par l’Etat et les bacheliers ont maintenant accès à toutes les universités nationales ou internationales. Cependant l’enseignement technique n’existe pas dans le système franco-arabe. Ceux qui désire faire l’enseignement technique sont obligés de quitter le franco-arabe après le BFEM pour être orientés en seconde dans les lycées techniques.

 Vers les années 70, des organisations islamiques ont créé des écoles arabo-islamiques avec l’appui de certains pays arabes. Elles ne proposent que l’enseignement de la langue arabe qui est le principal médium d’enseignement et déroulent en même temps un programme d’éducation islamique basé sur les sciences religieuses. Toutes les disciplines scientifiques et littéraires y sont enseignées en arabe. Il n’est pas accompagné d’un enseignement technique ni de la formation professionnelle. Jusqu’à ce jour le CFEE et le BFEM de cette option ne sont pas encore reconnus par l’Etat. Les établissements délivrent des diplômes d’école. Cependant son baccalauréat est reconnu depuis 2013 par le décret 2013-913 du 01 juillet 2013. Ce fut le fruit d’une longue revendication. Mais les bacheliers arabo-islamiques n’ont accès au niveau de l’enseignement supérieur qu’au département d’arabe de l’UCAD et à quelques centres de formation.

A côté de ces deux types d’enseignement, il est important de mentionner l’enseignement traditionnel porté par les daaras qui font de la mémorisation du Coran et de l’éducation religieuse.

Le premier type d’enseignement au Sénégal par ordre chronologique, est celui véhiculé par les Daaras. Il s’est installé avec l’arrivée de l’islam au Sénégal. Il est fréquenté par une importante population scolaire âgée de 04 à plus de 20 ans. Il est axé sur la mémorisation du Coran en plus de l’éducation aux valeurs et aux bons comportements. Il n’est pas accompagné d’un enseignement technique ni de la formation professionnelle. Jusqu’à ce jour il n’y a pas encore de diplôme reconnu par l’Etat pour ceux qui ont fréquenté les daaras. Cependant, avec l’objectif de scolarisation universelle de Education Pour Tous et le PARRER (partenariat pour le retrait et la réinsertion des enfants de la rue), l’Etat est en train de faire des efforts dans ce domaine à travers le programme de modernisation des daaras. Cependant, ce programme risque de connaitre des limites parce que les principaux acteurs dans ce domaine se posent un certain nombre de questions :

Est-ce que cette modernisation est synonyme d’amélioration des conditions d’études et d’existence des talibés (apprenants) ? Ou bien s’agit-il d’un changement de programme par l’intégration de nouvelles disciplines comme le français et les mathématiques ?

Quelle que soit la réponse, dans ces deux cas, des efforts restent à faire. Certains daaras sélectionnés pendant la phase pilote ne reçoivent plus d’appui de l’Etat et le personnel recruté pour enseigner n’est pas permanent. Ce qu’il faut comprendre pour mieux agir, c’est que les daaras sont liés aux familles religieuses. Chaque famille religieuse a ses propres daaras pour former et éduquer ses talibés. Et ces talibés s’identifient à tel ou tel autre daaras comme le font les enfants de troupes par rapport à l’école du prytanée militaire. Et ils sont fiers et jaloux de cette identité. Par conséquent toute tentative de réorganisation des daaras et de leurs programmes reposant sur un appui conditionné est à priori voué à l’échec. Et le faire serait ignorer l’histoire de nos chefs religieux avec la colonisation à laquelle on assimile la culture occidentale et l’école française.

Pendant la colonisation, l’école a été utilisée pour assurer une mission civilisatrice et l’église pour l’évangélisation. Cette école est appelée communément l’école française parce qu’installée par les colons français. Elle est souvent accompagnée d’un enseignement catholique comme dans certaines écoles privées confessionnelles. Ce type d’enseignement est bien organisé et très structuré avec des niveaux et des cycles du préscolaire à l’université.il comporte un enseignement général, un enseignement technique coiffé d’une formation professionnelle. Cependant dans certaines zones les populations sont encore réticentes et réfractaires à ce type d’enseignement parce que ne répondant pas à leurs aspirations socio-culturelles mais aussi à leurs valeurs sociales. Pour certains, cet enseignement est un signe d’aliénation à la culture et aux valeurs occidentales. Ce qui explique le faible taux de scolarisation dans les zones telles que Diourbel, Kafrine Kaolack et Kolda.

L’introduction de l’arabe dans cet enseignement n’a pas pu satisfaire une certaine frange de la population parce que la connaissance des pratiques cultuelles étant plus leurs préoccupations que la maitrise de l’arabe en tant que langue. Ils demandèrent ainsi un enseignement leur permettant de comprendre le français et l’arabe tout en apprenant les sciences religieuses pour une bonne éducation aux valeurs islamiques et la maitrise des pratiques cultuelles de l’islam. Et c’est cela qui fait la pertinence du système franco-arabe.

Ainsi, si on prend en compte l’école française on se retrouve alors, dans le même système éducatif sénégalais, avec quatre options d’enseignement. Et chaque citoyen à le droit de choisir l’option qui lui convient comme inscrit dans la loi d’orientation de 2004 à son article 4. « - L’Education nationale est laïque : elle respecte et garantit à tous les niveaux, la liberté de conscience des citoyens. Au sein des établissements publics et privés d’enseignement, dans le respect du principe de laïcité de l’Etat, une éducation religieuse optionnelle peut être proposée. Les parents choisissent librement d’inscrire ou non leurs enfants à cet enseignement ». Le Sénégal a aussi ratifié en 1978 le Pacte international relatif aux droit civils et politiques(PIDCP)qui, en son article 18, évoque la liberté parentale en matière d’éducation, mais aussi dans le contexte plus général de la liberté de religion. Cette démocratisation de l’offre éducative est à saluer. Néanmoins elle est source de disparités, d’inégalité et inéquité. Etant donné que le système éducatif forme des citoyens sénégalais avec quatre types de profils différents, les uns plus performants que les autres.

Si  « L’Education nationale contribue à faire acquérir la capacité de transformer le milieu et la société et aide chacun à épanouir ses potentialités :  en assurant une formation qui lie l’école à la vie, la théorie à la pratique, l’enseignement à la production, conçue comme activité éducative devant contribuer au développement des facultés intellectuelles et de l’habileté manuelle des enseignés, tout en les préparant à une insertion harmonieuse dans la vie professionnelle » comme mentionné dans LOI N° 91-22 DU 16 FEVRIER 1991 portant orientation de l’Education nationale, modifiée en son Article 2 ; alors il est nécessaire d’apporter des réajustements ou corrections afin d’assurer à tous les citoyens sénégalais les mêmes chances de réussite sociale et professionnelle. Les sortants des daaras pour défaut de diplôme ne peuvent pas être recrutés par l’Etats ; ceux de l’enseignement arabo-islamique ne peuvent d’être que des enseignant en langue arabe à cause du blocage linguistique que constitue le français, langue officielle, pour eux. Les problèmes des arabophones soulignés par l’inspecteur Doudou Gaye lors du séminaire du 3,4 et 5 mai 1984 à l’Institut islamique de Dakar sont les mêmes que le mouvement des arabophones du Sénégal a soumis au Président de la république lors de leur récente audience.

Ces problèmes ont comme nom : non orientations des nouveaux bacheliers, non reconnaissance et équivalence des diplômes, non-participation aux examens professionnels et le non recrutement dans des fonctions autres que l’enseignement pour ne citer que cela. S’agissant maintenant de ceux qui viennent de l’enseignement général ou technique classique (école française), ils sont orientés dans les universités ou facultés de leur choix et ils peuvent postuler pour n’importe quel poste dans l’Etat, aussi bien dans le public que dans le privé. Cependant, ils se plaignent souvent de leur manque de maitrise du coran et des pratiques cultuelles qu’ils confient à des imams ou à leurs marabouts ainsi certains actes cultuels. En ce qui concerne les qualités morales, la corruption, le détournement de deniers publics, le manque éthique et le déficit de probité morale leur sont reprochés parce que n’ayant pas appris à bas âge l’éducation religieuse et les valeurs islamiques. Quant aux sortants du franco arabe qui reçoit beaucoup d’élèves qui viennent des daaras et des écoles arabo-islamiques et qui sont parfois parmi nos meilleurs élèves, ils ont maintenant accès à toutes les universités et facultés nationales ou internationales. Ils sont présents dans les secteurs de l’économie et au niveau de tous les domaines de l’Etat.

Ils jouissent, en plus de leurs compétences, généralement d’une bonne réputation aussi bien dans leur milieu professionnel que social due à leurs qualités et valeurs morales acquises durant leur cursus scolaire. Ainsi l’option franco-arabe pourrait être la symbiose ou la synthèse des trois autres options cités plus haut. Elle est plus en phase avec les différents ordres normatifs nationaux et internationaux en matière d’éducation et de formation. Elle pourrait offrir plus de débouchées et d’opportunités d’insertion socio-professionnelle. Cela permettrait au Sénégal de réaliser les ODD particulièrement celui du N° :08 « Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous ». Pour ce faire, il faudrait qu’un certain nombre de mesures et de dispositions soient prises à savoir :

·       Mettre en place un programme renforcé de mémorisation du Coran et des sciences religieuses à, partir de 03 ans en plus des activités d’éveille, dans les préscolaire franco-arabe

·      Condenser le programme de l’enseignement du français en trois ans : CI –CP, CE1-CE2 et CM1- CM2 à partir de 06 ans pour l’élémentaire franco-arabe,

·      Introduire l’arabe et l’éducation religieuse au niveau de l’enseignement technique et la formation professionnelle.

 

 

                                                                                                  Moustapha SENE

                                                                                                     Proviseur du lycée franco-arabe

Cheikh Mouhamadou Fadilou Mbacké

                                                                                                    Du Point E

 

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