Publié le 9 Apr 2023 - 02:25
ÉTUDE SUR LES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE DANS LE TRANSPORT ROUTIER

Les différents scenarii pour juguler la pollution

 

Le Bureau Opérationnel de Suivi du Plan Sénégal Émergent (BOS-PSE) a mené une étude sur les impacts de mesures incitatives pour la réduction des émissions de Gaz à effet de serre (GES) dans le transport routier au Sénégal. Les résultats sont édifiants.

 

Une étude d'impact des mesures incitatives pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le transport routier au Sénégal a été organisé par le Bureau Opérationnel de Suivi du Plan Sénégal Émergent (BOS-PSE). Elle avait pour objectif global d’identifier et évaluer les mesures incitatives pour réduire les émissions de carbone dans le secteur du transport terrestre au Sénégal et déterminer les conséquences sur la santé publique. Les résultats attendus de cette étude sont de pouvoir évaluer les différentes options pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le transport routier, les coûts et les avantages de ces options, et de permettre la mise en place de politiques de transport durable et le développement des technologies de véhicules plus propres.

Hier, lors de la cérémonie de restitution, le coordinateur du pôle de suivi des impacts socio-économique au niveau du BOS a expliqué qu’un modèle d’équilibre général calculable (MEGC) a été utilisé pour analyser l’impact des mesures. La source principale de données de cette étude, selon Baye E. Guèye, a été la matrice de Comptabilité Sociale du Sénégal de l’ANSD (MCS 2017) permettant de prendre en compte aussi bien le transport formel qu’informel.

Le plan de simulation, ajoute-t-il, a porté sur deux scénarii : la simulation ‘’Assurance-carbone’’ et la simulation ‘’report modal vers les véhicules bas carbone’’. Dans chaque scénario, souligne M. Guèye, trois variantes ont été mises en œuvre.

Le scénario 1 « Assurance-carbone » a consisté à simuler la hausse actuelle des prix du carburant de 31% et de 15%, respectivement du prix de l’essence et du gasoil. Le scénario 2 a permis de simuler l’impact du développement du transport de masse avec l’intégration de l’électricité comme nouvelle source d’énergie. ‘’Les résultats des simulations du scénario 1 montrent que la hausse du prix de l’essence et du gasoil entrainerait une hausse des émissions de CO2 due en grande partie au transport informel qui utilise plus le gasoil que l’essence. Les simulations sur la redistribution des recettes issues de cette mesure montrent que l’investissement pour le renouvellement du parc automobile de transport donnerait les meilleurs résultats sur la croissance économique. Par rapport au scénario 2, les résultats indiquent que l’électrification dans le transport de masse permettrait de réduire considérablement les émissions de CO2 et a un impact également positif sur le PIB et sur la santé publique. En effet, cette baisse des émissions permettrait de réduire les décès dus à la pollution de l’air. Les émissions de carbone évitées dans une telle option apporteraient des ressources additionnelles qui pourraient financer le renouvellement du parc automobile de transport’’, déclare M. Guèye.

Il ajoute que l’étude a montré que le pétrole est considéré dans la modélisation comme un bien composite qui est constitué des deux types de carburant disponibles sur le marché que sont l'essence et le gasoil qui présentent une certaine substituabilité. La préférence des agents économiques à l'usage de l'essence ou du gasoil est fonction du rapport des prix et de l'élasticité de substitution entre ces deux types de carburant. ‘’La structure des prix au niveau de la branche transport est déterminée de telle sorte à prendre en compte les mesures incitatives que l'État pourrait mettre en œuvre pour augmenter la consommation d'un type de carburant. Ces mesures permettent de faire varier le prix relatif entre l'essence et le gasoil pour modifier la demande relative. Les émissions par secteur sont déterminées comme une somme de la consommation d'essence et de gasoil pondérée par les facteurs de conversion de chaque carburant en kg de CO2. Enfin, concernant les émissions de carbone, elles viennent de l'utilisation de l'essence et du gasoil’’, dit-il.

Dans le cadre de ce travail, Baye E. Guèye souligne que l'analyse s’est limitée à la production totale de carbone issue des activités de production et n’a pas pris en compte la partie des émissions liées à la consommation des biens et services par les ménages. Les émissions par secteur sont déterminées comme une somme de la consommation d'essence et de gasoil pondérée par les facteurs de conversion de chaque carburant en kg de CO2.

En outre, deux autres scénarii de simulation ont été envisagés avec des variantes. Dans le premier scénario, il s'est agi de simuler l'impact de l'augmentation des prix du carburant (+25% pour l'essence et +15% pour le gasoil) sous forme d'une taxe dénommée ‘’assurance carbone’’. En fonction de l'affectation des revenus générés par taxe, trois alternatives sont proposées: les ressources sont utilisées par le Gouvernement de manière proportionnelle à ses dépenses actuelles (situation de base), les ressources sont reversées dans Fonds de Développement des Transports Terrestres (FDTT) pour servir d'investissement en capital (renouvellement du parc) et elles sont transférées aux ménages les plus pauvres de l'économie sous forme de bourse d'allocation familiale ou de protection sociale (protection sociale).

Pour le scénario 2, l'idée était d'encourager les ménages à prendre les transports publics et de réduire l'utilisation des véhicules particuliers en vue de réduire l'usage des véhicules polluants. L'hypothèse qui a été effectuée est que toute la hausse de demande en électricité du secteur du transport est considérée comme la source d'énergie utilisée par le transport en commun, notamment le TER, le BRT et les nouveaux véhicules hybrides et/ou électriques. Le développement de ces types de transport de masse valide la pertinence de ce scénario.

Ainsi, trois possibilités ont été présentées en fonction du degré de l'électrification du secteur du transport dans ce scénario. Il s'agissait pour le ‘’faible’’ de faire passer la consommation de l'électricité à 10% ; pour le ‘’moyen’’ de faire passer la consommation de l'électricité à 20%. Dans le scénario fort, il s'agissait de faire passer la consommation de l'électricité à 40%. ‘’Les résultats de la simulation de la hausse de 31% du prix de l'essence et de 15% du prix du gasoil montrent que l'Indice des Prix à la Consommation (IPC) est modérément affecté avec une augmentation moyenne de 0,33% sur une période de 10 ans, ce qui n'entrainerait pas une tension inflationniste. Une réallocation des ressources recettes pour le renouvellement du parc est la meilleure option pour réduire l'IPC. Une politique de transfert des recettes aux ménages maintiendrait TIPC à un niveau constant de +0,4% par an. Les entreprises des industries alimentaires et dans une moindre mesure celles du secteur primaire enregistreront une VA négative durant les quatre premières années à partir de 2023. Toutefois, cette tendance s'inverserait à partir de 2028 ou leur situation s'améliorerait avec des taux de croissance positive de leur VA. Globalement, la VA des entreprises s'apprécierait de 0,16 à 0,32% d’impacts sur la croissance économique relativement au PIB’’, renseigne M. Guèye.

L’expert d’ajouter : ‘’Les résultats font ressortir une hausse régulière de la croissance économique passant de 0,08% en moyenne annuelle sur 10 ans. Cette mesure ne compromettrait donc pas la santé économique du pays et le PIB connaitrait une croissance régulière avec l'option situation de base» et « renouvellement du parc »’’. Ainsi, d’après lui, l'option de transfert de ménages donnerait une croissance plus modérée compte tenu de son impact plus marqué que les autres options sur la hausse des prix.

L’étude fait ressortir que les impacts sur la demande d'essence, de gasoil, les produits pétroliers, notamment l'essence et le gasoil, constituent les principales sources d'énergie des véhicules mais aussi de certaines industries. Donc, l'augmentation du prix des carburants se traduirait par une baisse sur le long terme de la demande de consommation intermédiaire de l'essence pour les branches d'activités du transport formel (-2,8%) et informel (-1,6%).

Dans l'option d'investissement dans le ‘’renouvellement du parc’’, la demande d'essence retrouve une tendance positive à partir de la 4ème année. En revanche, la demande intermédiaire du gasoil connaitrait une hausse importante surtout sur le secteur informel (+10,5%) de manière structurelle. Celle du secteur formel serait en progression de 9,9% en moyenne annuelle dans les trois options de réallocation des recettes tirées de la hausse des prix des carburants.

En somme, souligne-t-il, l'activité du transport n'est pas négativement impactée du fait de la substitution dans le long terme de l'essence par le gasoil, comme l'ont montré les résultats de l'évolution de la demande intermédiaire d'essence et de gasoil. ‘'L’effet conjoint entre la diminution de la consommation de l'essence et de l'augmentation de celle du gasoil aurait un impact sur les émissions de CO2. Dans le transport informel, les émissions connaitront une croissance régulière de 1,0% en moyenne par an sur la période 2023 - 2031 avec l'option ‘’situation de base > 1,3% avec protection sociale’’ et 5,0% avec celle ‘’renouvellement du parc’’. Ce fait s'explique par l'augmentation de la demande de gasoil. La même tendance est observée dans les activités de transport formel et l’impact sur la santé des populations’’, renseigne M. Guèye.

Lien entre les émissions de CO2 et la santé

L'étude, poursuit le coordonnateur du pôle de suivi des impacts socio-économique du BOS, a aussi tenté de traiter le lien entre les émissions de CO2 et la santé (décès dus à certaines maladies) des populations au Sénégal en recourant à une analyse des élasticités. ‘’Dans notre cas, les élasticités sont définies comme le pourcentage de variation des maladies (AVC, infections des voies respiratoires inférieures, cardiopathie ischémique, broncho-pneumopathie chronique obstructive) et le pourcentage de variation des émissions de CO2. Les résultats montrent qu'une augmentation de 1% des émissions de CO2 entraine une hausse des décès de 0,22% dus aux accidents cardio-vasculaires cérébrales (AVC) ; 0,23% dus aux infections des voies respiratoires inférieures ; 0,3% dus à la cardiopathie ischémique ; 0,14% dus à la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Sur la période 2023 - 2031, la hausse des émissions de CO2 provoquerait une hausse, en moyenne annuelle, des décès (pour 1 000 habitants) liés aux AVC de 0,075% ; aux infections des voies respiratoires inférieures de 0,141%, à la cardiopathie ischémique de 0,184%, à la BPCO de 0,086%’’, renseigne le coordonnateur.

S’agissant du scénario 2 qui concerne le développement du transport de masse fonctionnant avec de l'électricité et l'introduction progressive de véhicules électriques, l’étude montre une stimulation de la croissance économique (+0,02% en 2023 à +0,2% en 2023) pour toutes les 3 alternatives et la génération d’une hausse modérée de l'IPC avec un pic de 0,23% en 2030, avant de connaitre une baisse à partir de 2021, conduisant à une baisse de la consommation de carburants au profit de la source d'énergie électrique. ‘’C'est ce qui justifierait les régressions de la demande de carburants pour le secteur formel et informel du transport terrestre et bénéficierait aux branches d'activités du transport terrestre et les industries non alimentaires qui vont accroitre leur valeur ajoutée. Il augmenterait la demande intérieure d'électricité, réduirait les émissions de carbone dans le transport’’, dévoile M. Guèye.

Les recommandations de l’étude

Au vu de tous ces résultats, l'étude recommande des réformes clés, la mise en place d’une norme d'émission au Sénégal pour les émissions de polluants et le cadre de gouvernance y afférent, de rendre obligatoire le relevé des émissions de polluants lors de la visite technique des véhicules, d’appliquer une taxe annuelle dénommée assurance carbone pour les véhicules dépassant la norme d'émission, de réformer le cadre légal et réglementaire pour l'homologation des véhicules électriques et hybrides.

Elle souhaite aussi la réalisation d’une Étude d'impact environnemental et social pour l'introduction des véhicules hybrides au Sénégal. Les experts du BOS recommandent aussi de revoir le statut du Centre de Gestion de la Qualité de l'Air (CGOA) et de renforcer ses moyens financiers et humains, afin de renforcer les données sur la qualité de l'air.

Ils souhaitent la mise en place d’une stratégie pour la recharge des véhicules électriques, la promotion du statut de chauffeur professionnel par la délivrance d'un certificat d'aptitude professionnelle à la conduite des véhicules de transport public de voyageurs, de marchandises et d'engins, en mettant en place un programme de formation complémentaire intégrant des modules de conduite écologique et sécuritaire, de renforcer les capacités des transporteurs pour mieux prendre en compte les transitions du secteur, d’instaurer un cadre de régulation permettant de faire correspondre l'offre à la demande pour accompagner le projet de renouvellement des gros porteurs et d’institutionnaliser la lettre de voiture pour lutter contre la surcharge et concurrence déloyale.

L’étude préconise aussi d’actualiser le mémento sur les transports terrestres dont l'objectif principal est de mettre en place et développer les outils de connaissance et d'information nationale sur le transport afin de fournir une vision la plus large et la plus précise possible du transport de marchandises et des déplacements de voyageurs au Sénégal, entre autres.

CHEIKH THIAM

 

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