Publié le 30 Jul 2013 - 20:35
ALI HAÏDAR, EX-DIRECTEUR DE L’OCEANIUM

 ''Des plongeurs vont chercher les mérous à 60 mètres de profondeur, c’est ahurissant''

 

''Je dois partir tout de suite en mer. Deux pêcheurs sont restés dans l'eau, on en a déjà sorti deux. Leur bateau a chaviré''. Impossible de s'entretenir dans le calme avec Ali Haïdar. Il est question de Gps, de bouteilles de plongée... Le patron de l'Océanium est un homme sollicité dont le temps est précieux. Il a trouvé le temps de nous entretenir de plongée, sa passion, de la pêche sous-marine, de ses risques et du danger qu'elle représente pour la faune sous-marine. 

 

Parlez-nous de la plongée, d’une manière générale et de la pêche au harpon au Sénégal ?

La plongée de manière générale a existé au Sénégal depuis les années 50, quand le commandant Coustaud montrait à la télévision les merveilles du monde sous-marin. A l’époque, la pêche sous-marine, comme activité sportive, existait déjà. Elle est autorisée par la loi sénégalaise, mais à deux conditions. La première est d'avoir un permis de pêche délivré par la marine marchande. La seconde est d'appartenir à une association reconnue par le ministre des Sports et la seule que je connais est l’Océanium. Donc, cette activité devant être sportive ne peut en aucun cas permettre de générer des revenus. Un pêcheur en apnée, c'est-à-dire, qui va avec la dynamique de son souffle dans l’eau, tire un poisson et remonte, peut le manger, l’offrir, mais ne peut en aucun cas le vendre. Donc, c’est une activité qui a malheureusement dérivé et comme les jeunes au chômage n’ont pas de ressources ni de revenus, ils se sont mis à pratiquer cette activité. C’est pourquoi, de Soumbédioune à Ouakam, des Almadies à Ngor et jusqu’à Kayar, on voit des jeunes qui pratiquent cette activité.

 

Vous dénoncez la destruction de la faune marine. Mais comment la pêche au harpon peut-elle contribuer à cela?

Prenons l'exemple du mérou, mais on peut dire la même chose du Thiof qui est de la même famille, ou de la badèche. Les poissons benthiques, en général, et le mérou, en particulier, quand ils se reproduisent, se retrouvent en banc. La femelle et le mâle libèrent dans l’eau les œufs et les spermes. Ensuite, il y a un contact qui crée une réaction chimique : L’œuf ovule. Il est fécondé et remonte à la surface. Si un pêcheur descend une ligne de pêche, le poisson occupé à pondre ne mange pas son appât. Donc, il ne peut pas l’attraper. Les chalutiers aussi ne pourront pas en faire autant, parce que le poisson se réfugie dans des sites rocheux, pour avoir une chance de s’accoupler. Cet habitat les protège. Alors, seul le pêcheur à harpon peut l’agresser. Car il vient dans le banc et l’éclate, en tirant. Malheureusement, quand il est éclaté, les œufs ne fécondent pas. Ce qui est extrêmement grave, écologiquement parlant. Il faut bannir la pêche sous-marine à la période de reproduction, si nous voulons aussi protéger les mérous. Il faut respecter aussi les tailles marchandes, mais les pêcheurs qui sont des braconniers n’en font rien. Au Sénégal, les gens pêchent à la dynamite à Ouakam, Ngor, aux Almadies... Comment voulez-vous qu’ils respectent les règles ?

 

La pêche sous-marine que vous décriez demande une certaine maîtrise. Or, il y a beaucoup d’accidents, notamment, des accidents de décompression et autres...

Quand les pêcheurs en apnée n'attrapent plus de poissons, ils commencent à apprendre à plonger en bouteille. En allant à certaines profondeurs, ils sont susceptibles d’avoir des accidents de décompression. Malheureusement, aujourd’hui, il y a des plongeurs à Ngor, Yoff, Almadies qui vont chercher les mérous à 60 mètres de profondeur, mais, c’est complètement ahurissant. Pour attraper ce poisson, ils sont capables de tout. C’est normal, parce que c’est la seule source de revenus qu’ils ont. Malheureusement, ils s'exposent à des accidents très graves : des paralysies et des accidents mortels. Régulièrement, à l’Océanium, nous recevons des gens qu’il faut secourir en leur donnant une oxygénothérapie. La pêche sous-marine ne peut se faire à l’aide d’une bouteille. Ce n’est pas normal.

 

Que faire en cas d’accidents de ce genre ? Les pêcheurs se plaignent de l'inexistence de caisson de recompression au Sénégal?

Dans les premières minutes, il faut donner de l’oxygène en normobarre, ce qu’on appelle une oxygénothérapie. L’oxygène à la pression atmosphérique. Avec cela, déjà on peut soigner. Ce qui veut dire qu'il faut avoir de l’oxygène à bord des embarcations. Enfin, c'est vrai qu'au Sénégal, il n'y a pas de caisson, car le seul qui existait appartenait à la marine française et servait pour les accidents de décompression et les gangrènes gazeuses. Malheureusement, il n’est plus fonctionnel. Le caisson le plus proche se trouve au Maroc.

 

Entretien réalisé avant qu'il ne soit nommé ministre de l'Environnement

(*) voir lexique.

 

LEXIQUE

Accident de décompression

L'accident de décompression (sigle ADD) (encore appelé anciennement et familièrement maladie des caissons et maintenant souvent désigné par Accident de désaturation) est un accident survenant notamment à l'occasion d'une plongée sous-marine, comme à l'issue de cette dernière, mais aussi après des travaux en air comprimé ou encore lors de décompression des aviateurs en altitude ou des sorties extra véhiculaires. Il arrive à des plongeurs descendus profondément ou longtemps et qui remontent trop vite ou sans faire de paliers de décompression. Il est lié à une baisse de la pression ambiante subie par le corps (à la suite d’une forte compression antérieure pendant la plongée). C'est une application indirecte de la loi de Henry, à savoir la dissolution d'un gaz inerte dans l'organisme, en l'occurrence l'azote ou l'hélium dans le sang, les muscles, etc.

 

Palier de décompression

En plongée sous-marine, un palier de décompression est le temps que l'on passe à une profondeur donnée afin d'éliminer l'azote restant dans les tissus humains (sang notamment). Il entre dans le cadre des procédures de décompression en prévention des accidents de décompression (ADD). La profondeur à laquelle il est effectué et son temps varient en fonction de la profondeur atteinte et du temps passé sous l'eau. Les paliers sont en général réalisés à des profondeurs de 3, 6 et 9 mètres.

 

Que faire en cas d'accident?

Quel que soit le type d'accident de décompression (déclaré ou tout simplement suspecté), les réactions pour les autres plongeurs et/ou les témoins devront être identiques et immédiates. De la rapidité et de l'efficacité de leur réaction, et de la vitesse d'évacuation vers un centre spécialisé dépendra le pronostic vital de la victime. Dans le cadre des premiers secours, une fois le processus de lutte contre l'accident de décompression entamé, celui-ci ne devra en aucun cas être stoppé, même en cas d'amélioration de l'état ; l'évolution n'ayant pas forcément un développement linéaire et une rémission pouvant précéder une rechute.

 

 

 

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