Publié le 29 Jan 2021 - 02:45
ANNULATION DE LA DETTE AFRICAINE

Une conférence internationale pour appuyer l’Initiative de Dakar

 

Lors d’un panel organisé dans le cadre du Forum social mondial virtuel, la pertinence de cette initiative a été discutée entre acteurs gouvernementaux, influenceurs, altermondialistes et membres de la société civile.

 

Le début d’année 2021 a apporté avec lui bien des malheurs de ceux constatés un an plus tôt. La pandémie de coronavirus perpétue une deuxième vague plus virulente. Ses conséquences sur l’économie des pays africains restent dramatiques. Mais les luttes entamées pour les réduire trouvent encore des porte-étendards. C’est dans ce cadre que s’est tenu, hier, un panel pour partager les informations sur l’Initiative de Dakar pour l’annulation de la dette africaine. Des échanges déroulés dans le cadre du Forum social mondial virtuel 2021.

Organisé par l’Initiative pour l’annulation de la dette africaine (IADA), l’atelier a permis de fédérer des actions en vue de la mise en place d’une campagne internationale afin d’amener les créanciers à annuler la dette publique africaine. Une approche décrite par Mamadou Mignane Diouf, Coordonnateur du Forum social sénégalais : ‘’L’idée de ce comité d’initiative, c’est de convoquer très prochainement une conférence internationale et panafricaine pour rassembler tous les mouvements sociaux, toutes les initiatives, tous les chercheurs, tous ceux qui travaillent sur la question de la dette, en Afrique, en Europe, en Amérique latine, en Amérique du Nord et dans le monde.’’

Un plaidoyer pour l’annulation de la dette africaine avait été soutenu par le président de la République Macky Sall, quelques mois après l’arrivée de la pandémie en Afrique. Ceci, dans l’optique de dégager assez de ressources pour faire face au virus et à ses conséquences économiques. Très vite, cette approche a été magnifiée par différentes organisations africaines et internationales, dont le Forum social mondial. Cette adhésion trouve un accès dans un large public. Le panel d’hier n’était qu’une parmi les 660 activités à dérouler plus de 1 600 associations qui se sont inscrites au Forum social mondial dans plus de 83 pays.

Souvent aux côtés du président de la République dans cette quête, l’artiste Youssou Ndour s’est voulu clair dans son intervention. Egalement coprésident de l’IADA, le lead vocal du Super Etoile a précisé que ‘’nous ne quémandons pas, nous ne demandons pas de rééchelonnement, encore moins de suspension, mais l’annulation pure et simple de la dette. Un combat juste et légitime que nous parviendrons à gagner, si nous nous mettons tous ensemble’’.

‘’Nous ne quémandons pas’’

Un de ses collègues au sein de l’appareil gouvernemental a apporté une vision complémentaire de la nécessité de libérer les Etats africains de leur dette publique. Selon Mor Ngom, ‘’au-delà de l’intérêt immédiat, l’annulation de cette dette qui constitue 14 % des revenus des pays africains, a une portée plus essentielle, dans la mesure où elle contribue à la refondation des rapports qui structurent le nouvel ordre mondial pour plus de justice et d’équité, même au sein des Nations Unies’’. Une ouverture du ministre-conseiller du président de la République qui a permis de revenir sur l’histoire de la dette des pays africains.

Une des personnalités centrales du mouvement altermondialiste, Gustave Massiah, a rappelé que la crise de la pandémie et du climat s’inscrit dans une autre plus large, correspondant aux dysfonctionnements du système international actuel. Après la Conférence des non-alignés de Bandung de 1960, rappelle-t-il, ‘’les Etats qui se sont décolonisés ont mis en avant leur droit au développement. Cela a abouti à l’apparition économique et politique, en 1973 et 1977, des nouveaux Etats sur la scène mondiale avec la première et la deuxième augmentation des prix du pétrole qui a mis en crise le système international post-décolonisation. La dette a été utilisée pour répondre à cette offensive des pays décolonisés. Et le mot d’ordre utilisé était simple : endettez-les ! Donc, il y a eu une politique construite d’endettement des pays colonisateurs pour reprendre le contrôle de l’économie mondiale et des nouveaux acteurs dans les commanderies mondiales. Pour consolider cela, les institutions de Bretton Wood (Banque mondiale, FMI, etc.) ont été mises en place’’.  

‘’La dette de la Belgique est égale à l’ensemble de la dette africaine’’

Pour l’ingénieur et économiste ancien professeur à l'École nationale supérieure d'architecture de Paris-La Villette, la période actuelle est celle de la lutte pour une nouvelle décolonisation. ‘’La dette et la pandémie ouvrent une nouvelle situation. Il suffit de régler la question de la dette pour répondre aux questions de l’ordre mondiale aujourd’hui. L’annulation de la dette est une manière de construire le nouvel ordre mondial’’, soutient-il.  

Ce rappel historique a été conforté par l’historien belge Eric Toussaint, qui a mis la lumière sur une, parmi les nombreuses histoires, qui ont empêché des pays africains de trouver la voie du développement : ‘’Au moment des indépendances, les puissances coloniales ont légué aux pays colonisés les dettes qu’ils ont accumulées pour les coloniser. La Belgique a exigé du Congo indépendant qu’il rembourse les dettes odieuses qu’elle avait obtenues de la Banque mondiale pour renforcer sa présence dans son ancienne colonie. Lumumba a refusé et a été assassiné. Mubutu, qui a participé au crime, a accepté. En échange, il était financé par ces institutions avec le droit de mettre 10 % des sommes dans sa fortune familiale. L’annulation de la dette est un strict minimum de justice.’’ 

Comme les autres participants au panel, le porte-parole du Réseau international du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes soutient la revendication de l’annulation complète de la dette publique africaine. D’autant plus que, informe-t-il, si cette dette représente un poids extrêmement lourd pour les populations africaines, elle représente une quantité réellement infime des dettes sur le plan mondial. ‘’Avec 11 millions d’habitants, la Belgique (100 fois moins que la population de l’Afrique) a une dette supérieure à l’ensemble de la dette africaine. Celle-ci représente le 1/4 de la dette de France’’, compare-t-il.

Pour Eric Toussaint, l’annulation totale des dettes africaines représente très peu de choses dans le portefeuille des créanciers. Une telle action ne les mettrait pas en danger, affirme-t-il, avant d’ajouter : ‘’S’ils ne veulent pas d’annulation, c’est simplement pour maintenir un lien de dépendance. Les montants remboursés représentent peu de choses dans leurs gains. Mais ils ne veulent simplement pas renoncer à un instrument de chantage.’’

‘’Regrouper les ressources domestiques pour couper la dépendance’’

D’autres participants ont plaidé pour la mobilisation des peuples, peu importe leurs origines, mais également des ONG, mouvements citoyens, les jeunes et les femmes, etc. Sans toutefois, note Zakaria Sambakhé de l’ONG Actionaid Senegal, oublier l’importance de trouver des ressources domestiques pour couper cette chaîne de dépendance.  

Le secrétaire général de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (CNTS) a évoqué la nécessité de veiller à ce que les retombées de l’annulation de cette dette, si elle se concrétise, soient ‘’utilisées de façon efficace dans le financement des programmes sociaux de base tels que la santé, l’éducation et le développement durable’’. Une remarque que Youssou Ndour a tout de même trouvée prématurée. Estimant qu’au moment où la ‘’sauce est en train de prendre’’ dans cette lutte, ‘’il ne faut pas que l’on se salisse en commençant à pointer du doigt nos chefs d’Etat. Le moment venu, nous allons régler cela entre nous. Mais arrêtons de nous rabaisser devant l’Occident !’’. Voilà qui est dit.

Lamine Diouf 

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