Publié le 22 Jul 2015 - 00:31
AVIS D’INEXPERT

La place de Habré est au pinacle, pas au prétoire

 

Ouvert en fanfare médiatique le lundi 20 juillet au palais de justice de Dakar, le procès de l’ancien chef de l’Etat tchadien, Hissein Habré, semble plus intéresser la presse sénégalaise que celle tchadienne supposée informer une opinion publique pour laquelle d’ailleurs on a justifié la retransmission en direct à la télévision de l’ouverture ; une retransmission assurée en exclusivité par la télévision publique sénégalaise dont toutes les autres chaînes du Sénégal et du reste du monde reprennent le travail de captation des scènes du prétoire dakarois.

Tout un déploiement cathodique en dépit de la loi sénégalaise qui interdit la retransmission et les enregistrements radiophoniques et télévisuels d’une audience de tribunal. Mais, on a allégué que c’est une cour spéciale, les Chambres africaines extraordinaires, dont les pouvoirs sont au-dessus de la loi de la République du Sénégal qui pourtant abrite ce procès. D’ordinaire, aucun journaliste sénégalais couvrant un procès n’est autorisé à enregistrer les débats. Même un téléphone portable qui sonne en pleine audience risque de valoir à son détenteur des poursuites judiciaires ou, au minimum, l’expulsion de la salle d’audience. Mais, voilà qu’on juge un ancien chef d’Etat et tombent tous ces interdits de la loi ? Oui, c’est un procès historique ! Soit ! Cela vaut-il qu’on torde la main à la loi sénégalaise qui fait ainsi allégeance aux Chambres africaines extraordinaires ? Non, à notre avis.

La presse n’est-elle pas suffisamment professionnelle pour assurer une couverture convenable, exhaustive de ce procès ? Ce que font au quotidien les chroniqueurs judiciaires de Dakar et ailleurs à travers le pays est assez louable… Est-ce en tordant le cou à la loi sénégalaise en retransmettant le procès Habré qu’on va informer le mieux le peuple tchadien  du retentissant jugement à Dakar ? Nous ne pensons pas, non plus.

Il y a un paradoxe dans cette novation : lundi matin, pendant que des chaînes de télévision sénégalaises s’en donnaient à cœur joie, la télévision publique tchadienne – en tout cas, le signal disponible sur le bouquet de Canal Satellite-Sénégal - diffusait du folklore tchadien puis des variétés musicales de ce pays. Et pourtant, le journal arabe de 19 h (heure de N’Djamena) n’a même pas ouvert sur cette actualité touchant le pays, mais géographiquement éloignée. Il n’est venu qu’en  troisième position du journal télévisé de la chaîne publique du Tchad.

Ce procès n’est notre affaire que par ce qu’il se déroule sur le sol sénégalais. Certes, ce n’est pas une raison de ne pas s’y intéresser, mais il y avait d’autres sujets qui auraient pu intéresser les Sénégalais. Ne soyons pas plus royalistes que les Tchadiens, c’est-à-dire plus concernés qu’eux par le jugement de leur ancien président de la République.

Ce procès fait à un ancien chef d’Etat tchadien nous paraît injuste, inéquitable au regard du patriotisme intransigeant de ce dernier, au regard du combat libérateur qu’il a mené pour l’intégrité territoriale de son pays… C’est comme si le général De Gaulle était jugé pour crimes commis par les résistants au lendemain de la Libération de la France de l’occupation. Si la Bande d’Aouzou (le Nord du Tchad) est redevenue territoire tchadien, c’est à la pugnacité et à la stratégie guerrières et politiques de Habré qu’on le doit. Il y avait la Libération de la France ; il y a eu la libération d’Aouzou.

C’est pour cette raison et pour tant d’autres encore que ce procès restera comme une arête en travers de la gorge des nationalistes africains. Même la Belgique, dont les crimes sordides au Congo sont inoubliables, ne prévoit pas de juger les assassins de Patrice Lumumba dont ce hideux protagoniste qui ose encore révéler avoir découpé en trente-cinq morceaux le corps du nationaliste congolais Patrice Lumumba.

On ne pourra pas écarter les prises de position dans l’expression de notre point de vue sur cette affaire. Nous reprenons à notre compte et partageons le cri indigné de confrères de Sud Quotidien, Abdoulaye Thiam, Bacary Domingo Mané qui parlent de « procès d’un authentique combattant de la promotion et de la sauvegarde de la dignité de l’Afrique et de l’homme noir ». Seuls comprendront le sens de ce propos ceux qui courant 1982 ont vécu les mois et jours de combats héroïques de la marche de Habré vers la libération de son pays, les bombardements de Faya Largeau par les avions de chasse libyens, les rezzous tout aussi audacieux que  victorieux de l’armée tchadienne contre les troupes humiliées du colonel Khalifa Haftar, aujourd’hui un des chefs des factions qui ensanglantent la Libye post-Kadhafi.

Parlons comme certains démagogues sénégalais en disant que la place de Habré n’est pas la prison, mais le pinacle. Le dire, n’est pas se faire l’avocat du diable.

Jean Meïssa DIOP

 

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