Publié le 29 Sep 2015 - 04:47
BABACAR DIAGNE, PRÉSIDENT DU CONSEIL DES ENTREPRISES DU SÉNÉGAL (CDES)

‘’Ce que je pense de la Bnde, du Fonsis et du Fongip’’

 

Il est le président de la quatrième organisation patronale du Sénégal, après le Conseil national du patronat (Cnp), le Conseil national des employeurs du Sénégal (Cnes) et le Mouvement des entreprises du Sénégal (MDES). Dans cet entretien accordé à EnQuête, Babacar Diagne, le président du CDES, revient sur la nécessité, pour le gouvernement du Sénégal, d’impliquer les petites et micro-entreprises dans le processus d’émergence. De même, il veut une alternance générationnelle à la tête des organisations patronales pour donner la chance aux jeunes champions.

 

Vous êtes le président du Conseil des entreprises du Sénégal, comment est née cette organisation patronale ?

Depuis 2013, il n’y avait que trois organisations patronales au Sénégal. D’après les dernières informations, il y avait plus de 325 000 micro et petites entreprises au Sénégal. Malgré les trois organisations patronales existantes, il n’y avait pas une qui répondait aux besoins ou aux problématiques des micros et petites entreprises.

Donc, c’est pourquoi vous avez mis en place le Cdes ?

Oui, c’était un prétexte pour nous de mettre en place une nouvelle organisation patronale qu’on appelle le Conseil des entreprises du Sénégal qui a pour cible les micros et les petites entreprises qui constituent la majorité du tissu économique. Nous nous sommes rendu compte que les cibles que je viens de citer à savoir les petites et les micro-entreprises ont tous les problèmes du monde pour renforcer leurs capacités. Elles ont un problème de formation, de mise à niveau, des problèmes d’accès au marché, des problèmes d’accès au financement ou même des problèmes d’information économique. Pour pallier l’ensemble de ces problématiques, il était urgent et nécessaire de mettre en place une nouvelle organisation patronale.

On parle de plus en plus des Pme-Pmi, quel est leur poids réel dans l’économie nationale ?

Les micros et les petites entreprises représentent plus de 62% du PIB. 75% des emplois se concentrent au niveau des micros et des petites entreprises. Juste pour vous dire, d’après ces chiffres, que la majorité des contributions dans la création des revenus, dans l’absorption des emplois, se trouve dans ces petites entités. C’est la raison pour laquelle nous pensons que le fondement du tissu économique est représenté par les micros et petites entreprises. Cela doit pousser le gouvernement et les politiques à les inclure dans tout le processus de mise en œuvre du Plan Sénégal Émergent et des grandes lignes du développement du Sénégal pour un développement inclusif, un tissu économique fort et pour un patronat fort.

Vous avez dit que les Pme-Pmi représentent plus de 60% du PIB. Par contre, on constate que leur taux de mortalité est très élevé. Qu’est-ce qui explique, à votre avis, cette disparition précoce ?

Le taux de mortalité est très élevé parce que, en amont, on n’a pas fait ce que l’on devrait faire. C’est vrai que l’Apix a fait un travail extraordinaire, il est en train d’améliorer l’environnement des affaires, nous saluons cette belle initiative. En 24h, tu peux avoir une entreprise mais en amont et en aval, il y a des stratégies d’accompagnement qui ne sont pas du ressort de l’Apix. C’est la raison pour laquelle nous avons pensé mettre en place la maison de l’entreprise du Sénégal qui sera en quelque sorte un supermarché où il y aura la pré-incubation. Les promoteurs vont suivre une formation en culture entrepreneuriale.

Cela permettra d’avoir une idée sur ce qu’est une entreprise : quelles sont les faiblesses ? Quels sont les avantages que vous avez selon votre idée de projet ? Après, quand vous finirez de créer votre entreprise, il y a d’autres modules de formation qui vont vous accompagner pour la mise en place de la société, pour vous donner les outils vous permettant d’accéder aux marchés, pour vous donner des informations sur les opportunités d’affaires, sur le choix juridique, les stratégies innovantes de financement. Tout cela pourrait permettre de réduire, de moitié, la mortalité très jeune des entreprises sénégalaises qui est à un niveau de 65%, ce qui est alarmant. Toutes ces politiques, sous l’initiative du Conseil des entreprises du Sénégal, permettront de réduire de moitié la mortalité des micros et des petites entreprises.

Vous déplorez un problème de financement des Pme, pourtant le gouvernement a mis en place la Bnde, le Fonsis, le Fongip. Est-ce à dire que tous ces instruments ne permettent toujours pas de répondre à cette préoccupation ?

Je ne crois pas que la Bnde ait les moyens de financer les besoins des micros et des petites entreprises. Je ne le crois pas. La Bnde est une banque et une banque restera toujours une banque. Le Fonsis, c’est le bras financier de l’Etat, mais il ne s’occupe que des grands projets du chef de l’Etat. Les micros et petites entreprises ne l’intéressent pas. Le Fongip est un fonds de garantie qui n’a pas assez de ressources financières. Souvent, ses missions ne sont pas adaptées aux besoins réels d’exploitation des micros et des petites entreprises.

Ce qu’il faut attaquer, c’est l’auto-entrepreneuriat, les entreprises qui existent déjà et qui ont un problème de fonds de roulement, d’exploitation. Et ça, je ne pense pas que le Fonsis ait des stratégies adaptées aux besoins des micros et petites entreprises. A notre niveau, nous avons pensé mettre en place une institution financière qui permettra non seulement d’avancer des fonds aux entreprises qui ont gagné des marchés et qui doivent attendre 80 à 120 jours pour être payées. Cette institution financière prévoit une centrale d’achat qui pourra fournir du matériel ou des matériaux aux entreprises. Cela pourrait assurer une partie du fonds de roulement des micros et petites entreprises. Toutes ces initiatives auront comme ultime objectif de contribuer au renforcement des capacités financières des micros et petites entreprises ; ce qui est fondamental pour leur développement et leur promotion.

Dans le Pse, il est dit que l’accent sera mis sur l’accompagnement de la Pme qui est le socle du développement économique. Est-ce qu’à votre niveau, vous sentez réellement cet accompagnement de l’Etat?

Pour le moment, on ne sent pas cet accompagnement. On ne le sent pas vraiment. Nous avons effectué une visite à la direction du BOS. Nous avons été reçus par le ministre et le directeur du BOS qui nous ont fourni les garanties pour nous impliquer dans le processus de mise en œuvre et dans les projets du Pse. Mais ce qu’il faut comprendre est que le Pse est une vision et un plan. Au Sénégal, la bourse nationale de sous-traitance, même si elle existe, elle n’a pas les informations économiques, elle n’a pas les grands marchés permettant de sous-traiter les grands marchés au niveau des micros et petites entreprises. Cela constitue un problème. Nous sommes en train de travailler avec le BOS pour mettre en place un canevas de journées économiques qui aura comme objectif de nous informer sur l’ensemble des opportunités d’affaires et l’ensemble des projets qui seront lancés par le Pse. A partir de cela, les micros et petites entreprises devraient s’approprier ces projets.

La question de l’emploi reste une préoccupation pour les pouvoirs publics. Pensez-vous que le développement de la Pme pourra permettre de répondre à cette problématique ?

Oui, s’il y a l’encadrement nécessaire, c’est possible. Il y a 150 000 emplois que le président de la République a prévus et on peut absorber plus que ça.

Comment ?

Au Sénégal, il y a 250 000 demandeurs d’emplois chaque année dont 30% ont le Bac plus 2 ans. Il faut impérativement une implication du secteur privé. C’est un grand dommage que le secteur privé existant a ses limites parce qu’à un certain moment de maturité, le patronat sénégalais ne prend plus de risques à créer de nouvelles structures.

Ça, c’est un problème et ça impacte négativement sur l’environnement des affaires, sur les possibilités de création d’emplois, le renouvellement du tissu économique. C’est la raison pour laquelle nous avons pensé qu’il faut impérativement que des fonds soient alloués aux organisations qui s’occupent des micros et des petites entreprises, pour permettre de booster l’auto entrepreneuriat et surtout mettre l’accent sur les entreprises agricoles.

On parle d’autosuffisance en riz, de transformation des produits locaux. Il y a de la matière sur ça et des milliers de micros et de petites entreprises ou de petites unités industrielles qu’on devrait mettre en place dans l’ensemble des capitales régionales du pays, pour permettre de résorber une grande partie des demandeurs d’emplois. C’est l’appel que nous lançons. L’Etat, la Présidence, la Primature doivent nous associer dans les grands débats, les instances décisionnelles. J’ai toujours dit qu’au Sénégal, il nous faut une alternance générationnelle du patronat. Sur cette question, l’Etat doit prendre ses responsabilités. On ne peut pas accepter que les mêmes personnes soient là depuis 30 ans, 40 ans. Tous les jeunes champions qui ont pris le risque de mettre en place des entreprises avec tous les risques que cela comporte seront une génération du patronat sacrifiée car ils ne pourront jamais accéder aux instances de décisions.

Donc vous voulez des changements à la tête des confédérations patronales ?

Il nous le faut impérativement. L’idée du président de la République de réduire son mandat de 7 à 5 ans devrait servir de jurisprudence au patronat, aux présidents des organisations patronales existantes. On ne peut pas être président d’une organisation pendant 15 ans, 20 ans. C’est trop. Il faut du renouveau. Même à la Chambre du commerce, on a attiré l’attention du ministre sur le renouvellement des Chambres de commerce. Les micros et petites entreprises ne sont pas associées et on a écrit une correspondance au ministre mais nous n’avons pas encore de réponse. C’est de cela qu’il s’agit, impliquer les champions dans le processus de développement du Sénégal pour qu’il ne soit plus une affaire d’élites, une affaire de trois, quatre, cinq personnes qui vont parler au nom des acteurs du secteur privé alors qu’ils ne défendent jamais leur problématique parce qu’on n’a pas les mêmes préoccupations.

Donc là, vous voulez citer Baïdy Agne du Cnp, Mansour Kama de la Cnes…?

Je ne voudrais pas citer de noms. C’est vrai que Baïdy est en train de faire un travail remarquable, Mansour Kama, je l’ai rencontré il n’y a pas longtemps. C’est lui-même qui m’a dit : ‘’Nous, nous sommes fatigués, nous voulons partir.’’ On a besoin de ce déclic. Dans tous les pays émergents, on implique les champions, les jeunes dans ce processus. Même pour les voyages d’affaires, ce sont les mêmes qui sont là depuis très longtemps et qui seront là encore. J’ai l’impression que la Présidence doit faire la mise à jour de sa base de données des acteurs du secteur privé qui accompagnent le chef de l’Etat.

On ne peut pas comprendre, avec 325 000 micros et petites entreprises, que ces jeunes ne soient pas impliqués dans les voyages d’affaires du chef de l’Etat alors que ce sont eux qui créent de l’emploi. On ne demande rien, tout ce qu’on veut, c’est que les champions soient impliqués dans le processus de l’émergence. Il nous faut un patronat populaire et il ne peut être assuré que par les champions jeunes. C’est un appel que je lance au président de la République. L’émergence, c’est à partir de la base, à partir des petites et micro-entreprises. Pour un développement inclusif, il faut que ces acteurs soient impliqués.

L’Apix a fait beaucoup d’efforts pour faciliter la création d’entreprises. Il y a la réglementation du capital de la société à responsabilité limitée qui est passé d’un million à 100 000 F CFA. Est-ce que cela a permis de booster la création d’entreprise ?

Je pense bien que Mountaga Sy, le Directeur général de l’Apix, est en train de faire un travail remarquable, il faut le reconnaître, surtout du côté de l’environnement des affaires. Mais c’est juste une épine. Il y a beaucoup à faire. Le problème des micro-entreprises, ce n’est pas les frais de constitution. C’est des problèmes d’accompagnement, la mise en place de stratégies de pré-incubation. C’est là où le bât blesse. On peut créer 10 entreprises chaque jour ou chaque semaine mais si l’ensemble des entreprises créées sont des entreprises mort-nées…, si rien n’est fait, rien n’est prévu, il y a un problème. Ce n’est pas l’aspect quantitatif qui va impacter l’environnement des affaires mais c’est mettre en place des entreprises pérennes et durables. Ça, ce n’est pas le ressort de l’Apix. 

PAR ALIOU NGAMBY NDIAYE

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