Publié le 17 Nov 2021 - 20:27
BAISSE DES LOYERS

Aveu d’échec !

 

Plus de sept ans après l’adoption de la loi 2014-03 du 22 janvier 2014 portant baisse des loyers, le gouvernement constate les manquements et promet d’y remédier. 

 

Elle risque d’être rangée dans la catégorie des lois les plus fugaces de l’histoire du Sénégal. Après ses temps de gloire en 2014, la loi sur la baisse des loyers a été rendue presque caduque, grâce à l’ingéniosité des bailleurs qui ont su exploiter ses nombreuses failles congénitales. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le gouvernement a bien constaté que cette législation n’a pas produit les effets escomptés.

Hier, en réunion avec les différentes parties prenantes, le ministre du Commerce, Aminata Assome Diatta, a déclaré : ‘’Les prix du loyer connaissent une augmentation continue, depuis quelques années. Et cela s’est renforcé ces derniers temps…’’ Dans la foulée, elle reconnait : ‘’Les contraintes n’ont pas permis une réelle effectivité des dispositions législatives…’’

Afin de contourner cette loi de 2014 qu’ils ont jugé contre leurs intérêts, les bailleurs ont usé de plusieurs voies pour échapper à son application. Parmi ces voies de contournement, il y a les surfaces corrigées, les demandes de congé pour reprise personnelle ou reconstruction, le refus d’encaisser le loyer, les voies de fait… Lors du Conseil des ministres du 27 octobre dernier, le président de la République, Macky Sall, constatait les manquements et intimait à ses ministres en charge des Finances et du Commerce de lui présenter, dans les meilleurs délais, des mesures d’urgence pour encadrer davantage et réguler les prix du loyer.

Pour les agences et experts immobiliers, il est certes bien de penser à la baisse des prix du loyer et au locataire, mais il est aussi du devoir de l’Etat de penser au bailleur qui a fait un investissement, parfois en contractant des crédits importants.

Responsable à l’Association nationale des agents immobiliers du Sénégal (Anas), Mme Diack précise : ‘’On ne peut pas se lever du jour au lendemain et décréter une baisse du loyer. Il faut équilibrer, ne pas mettre dos à dos bailleurs et locataires. De plus, on oublie souvent que ce bailleur supporte aussi des charges.’’

Quand le loyer est enregistré, explique-t-elle, il y a le droit d’enregistrement qui équivaut à 2 % du prix de location ; pour la Tom, c’est 3,6 %, sans compter les impôts qui peuvent aller jusqu’à 40 % du prix de la location. En outre, fait-elle remarquer, il y a l’exonération fiscale sur les nouvelles constructions qui est passé de 10 à cinq ans. L’Etat, selon Mme Diack, devrait également agir à ce niveau pour compenser les pertes des bailleurs. Pour elle, on ne peut pas tout mettre sur le compte du bailleur par rapport à l’échec de la loi de 2014. ‘’La loi même, dans certaines situations, posait problème. Par exemple, dans une même aire géographique, vous pouvez avoir des bailleurs qui pratiquent des prix raisonnables et d’autres qui exagèrent. La loi est venue s’abattre indistinctement sur les deux personnes. Cela posait véritablement problème’’.

Embouchant la même trompette, l’expert immobilier M. Thiam déclare : ‘’On ne peut prendre certaines mesures qui touchent les poches d’une partie de la population, sans un encadrement rigoureux, constant et des mesures d’accompagnement.’’

Momar Ndao accuse les services du ministère des Finances

Relativement aux surfaces corrigées, puisque le texte précité ne visait que les loyers des baux à usage d’habitation dont les prix n’étaient pas fixés selon la règle des surfaces corrigées, les bailleurs ont tout simplement décidé de faire appliquer ladite réglementation pour échapper à la loi sur la baisse. D’autres n’avaient pas hésité de rompre les contrats avec leurs locataires, avant de conclure de nouveaux accords qui échappent à l’emprise de loi 2014-03. Autant de facteurs qui ont fini de vider ce texte de toute sa substance.

Selon lui, pour que les nouvelles réformes puissent produire des effets, il faudrait revoir le décret de 2010 sur les surfaces corrigées. ‘’Quand on parle de maitrise du loyer, souligne-t-il, ça implique surtout la révision du décret 2010-439. Ce décret devait être révisé tous les deux ans, parce que les conditions géographiques et économiques sont en perpétuelle mutation. Cela n’a pas été fait depuis 2010. La réalité du marché fait que pour la sauvegarde des intérêts des bailleurs, il faut, en urgence, réviser ce texte’’.

Pour ce faire, il préconise la réactivation des commissions d’évaluation. ‘’En effet, analyse-t-elle, le barème de 2010 qui est utilisé donne un montant irréel. Déjà, pour le foncier, les choses ne sont plus les mêmes. Par exemple, on dit que le m2 sur la VDN est à 90 000 F. Tout le monde sait qu’on ne peut avoir un terrain à Dakar à ce prix. Les matériaux aussi ont augmenté. Il est donc urgent de revoir la loi sur les surfaces corrigées’’.

Par ailleurs, les acteurs ont regretté l’absence de pouvoir de coercition pour les services du commerce, en cas d’inobservation des dispositions, l’insuffisance de la collaboration entre les différentes administrations…

Représentant des consommateurs, Momar Ndao peste : ‘’Ce n’est pas normal que le ministère des Finances ne soit pas là aujourd’hui. C’était la même chose, il y a quelques années, lors de la présentation du projet de loi. Cela a été présenté par le ministre du Commerce, alors que c’est le ministre des Finances qui devait le faire. Depuis 2014, vous ne les entendez pas. Parce que beaucoup de bailleurs sont dans ces zones, voilà la réalité.’’  

Pour lui, ‘’la loi a été très bien faite, mais c’est l’application qui pose problème’’.

La ministre assomme ses urgences

Consciente que le loyer grève le plus le budget des ménages sénégalais, la ministre du Commerce estime qu’il urge d’y trouver des solutions pérennes. En attendant les solutions structurelles, elle propose : ‘’C’est nécessaire pour nous de faire des propositions concrètes, urgentes pouvant permettre d’aider à alléger le coût du loyer. Mais comme l’ont indiqué les experts, il y a des solutions qu’on ne peut tout de suite mettre en œuvre, parce que cela requiert un examen en profondeur de la situation. Mais il y en a qu’on peut proposer au président de la République en urgence.’’

Dans ce cadre, la ministre est d’avis qu’il faut nécessairement une structure dédiée qui centralise les actions. Elle précise : ‘’Nous sommes tous d’accord que l’observatoire est une nécessité. Parfois, il faut agir, mais c’est difficile, compte tenu de la multitude d’acteurs qui interviennent. D’où l’importance d’avoir une structure dédiée avec des experts qui ne s’occuperont que de cette problématique.’’

En outre, soutient Mme Assome Diatta, il y a la question de la caution qu’il va falloir revoir en urgence. ‘’Quand les bailleurs demandent trois, quatre, jusqu’à cinq mois de caution, c’est extrêmement difficile. Il faut proposer des mesures pour que la caution ne dépasse pas deux mois. Pour le mois de commission, elle doit être supportée par les deux parties : le bailleur et le locataire. Car tous les deux profitent des services de l’agence’’. Il en est de même, selon elle, du taux forfaitaire pour l’enregistrement qui doit être revu, mais également de la réglementation des agences immobilières.

‘’Non seulement, cela permet de renforcer la sécurité en identifiant aussi bien les locataires que les bailleurs, mais aussi pour permettre à l’Etat de tirer des recettes et de lutter contre le blanchiment de capitaux’’, a plaidé Aminata Assome Diatta.

Lors de cette réunion, le grand absent a été le ministère des Finances qui joue un rôle central dans le respect de la législation en la matière.

MOR AMAR

 

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