Publié le 3 Oct 2022 - 11:17
DIMINUTION PRIX DU RIZ

Le grand leurre

 

Pendant que l’État mise sur le contrôle pour rendre effectives les mesures de baisse des prix des denrées de première nécessité, certains acteurs attirent l’attention sur des limites objectives qui pourraient gangréner leur mise en œuvre.

 

Selon les nouveaux prix fixés par l’État, le riz ordinaire coûte désormais 325 F au détail contre 275 au mois de février ; 307 000 F la tonne chez l’importateur contre 260 000 F en février ; et enfin 312 000 F au niveau du grossiste contre 264 500 F en février. Pour arriver à fixer les prix de cette denrée fondamentale à ce niveau, le gouvernement a dû consentir d’énormes efforts, notamment la renonciation à la TVA et aux droits de douane.

A en croire Oumar Diallo, Président de l’Union des boutiquiers du Sénégal, comme les premières mesures prises au mois de février, les nouvelles mesures risquent de rester sans aucun effet sur le terrain. ‘’Théoriquement et pratiquement, c’est impossible pour le détaillant de vendre à ce prix, si les choses restent en l’état. Moi, je pense que les gens doivent arrêter de rester dans leurs bureaux climatisés et de nous mettre en mal avec les populations. Comment peut-on acheter le kilogramme à 330 F hors taxe et hors emballage et qu’on veuille lui faire vendre à ce prix ? En vérité, l’État a surtout essayé de régler le problème des plus forts, mais a complètement laissé en rade les détaillants. Nous pensons que des mesures correctives nécessaires vont être apportées au cours des concertations à venir’’.

Mais comment en est-on arrivé là ? En fait, en fixant les prix et les marges des uns et des autres, l’État a entendu ignorer un acteur qui, pourtant, semble incontournable dans la chaine de distribution. Il s’agit du demi-grossiste. ‘’Ils ont fixé les marges pour l’importateur, les marges pour le grossiste et ils font comme si le détaillant achète directement chez le grossiste. Or, la réalité du marché est tout autre. Moi par exemple, je suis établi à Ouakam. Là-bas, il n’y a pas de grossiste, il n’y a que de demi-grossistes et ils vendent le sac à 16 500 F. Dans certains coins, le sac est vendu même à 17 000 F. Ce qui fait que le kilogramme revient au minimum à 330 F. Et si je me hasarde à aller à la Médina pour acheter auprès du grossiste, je vais payer pour le transport entre 10 000 et 15 000 F. Et je vais perdre encore plus’’.

Voilà pourquoi, malgré les efforts de l’État, les populations n’ont eu de cesse de se plaindre. Entre avril et mai, lors des premières mesures de baisse, la Cicodev avait mené une enquête qui avait démontré qu’en fait, la baisse des prix des denrées, notamment sur le riz n’a pas été appliquée sur le terrain. Lors de la réunion présidentielle, le directeur exécutif de l’organisation, Amadou Kanouté, revenait sur les résultats de l’enquête. ‘’Sur l’effectivité de l’application de cette décision (de février), souligne-t-il, l’enquête révèle que 82,22 % des consommateurs enquêtés disent qu’elle n’est pas appliquée dans leurs différents points d’achat ; 44 % des grossistes soutiennent qu’ils ne l’appliquent pas ; 42,42 % des boutiquiers détaillants enquêtés disent ne pas être en mesure d’appliquer la décision’’.

Les détaillants achètent à 330 F hors transport et sont forcés de vendre à 323 F

De l’avis du représentant des boutiquiers détaillants, avec les dernières mesures de l’État, c’est comme si l’État leur mettait un couteau à la gorge. ‘’Nous ne pouvons pas ne pas vendre le produit, parce que nos clients qui sont nos parents nos amis en ont besoin. Si on le vend au prix fixé par l’État, nous vendons à perte. Si on vend au prix réel du marché, le contrôle va nous faire payer des amendes. Que doit-on faire ? Ils veulent que nous fermions boutique ?’’, s’interroge M. Diallo avec beaucoup de dépit. Il ajoute : ‘’Même quand nous leur montrons la preuve que ce prix est impossible à travers la facture, ils nous rétorquent qu’ils ne gèrent pas la facture. Ce qu’ils vérifient, c’est si le prix homologué est appliqué ou non.’’

A l’en croire, il devrait y avoir les assises de la distribution pour prendre définitivement en charge ces difficultés. Pour lui, cette réalité sur le riz est valable sur tous les autres produits ; et chaque région a sa propre réalité. Oumar Diallo de supplier l’État et les associations de défense des consommateurs : ‘’Arrêtez, s’il vous plait, de nous mettre en mal avec nos clients, nos amis et parents. Ce n’est pas parce que nous refusons, c’est parce que nous ne pouvons pas. Demandez plutôt à l’État de fixer des prix raisonnables. En ce moment, les sanctions auront un sens et nous serons les premiers à les soutenir. Malheureusement, nous les détaillants ne sentons l’État que quand la sanction doit tomber sur nous. Autrement, on ne le sent nulle part. Quelqu’un qui est au fond d’un puits, il faut l’aider à sortir du puits. Il ne faut pas l’accabler davantage en le sommant de sortir du puits’’.

A l’intention des hommes et femmes de médias, il demande : ‘’Parfois, ça nous fait mal d’entendre certains parler à la radio et à la télé. Ils nous jettent en pâture sans aucun fondement. On fait croire au citoyen déjà très éprouvé que si les prix sont chers, c’est à cause du boutiquier. Et personne ne pense à donner à ce boutiquier la possibilité de se défendre. Tout le monde tape sur le détaillant, sans aucune preuve. Heureusement, les Sénégalais sont très compréhensifs et on se comprend bien avec nos clients, en tout cas en ce qui me concerne et c’est valable pour ceux avec qui je discute’’.

Si les prix sont chers, le produit est jusque-là disponible sur le marché national. Déjà, sont disponibles sur le marché quelque 305 000 t, compte non tenu des plus de 100 000 t encore en rade au Port autonome de Dakar, selon le directeur du Commerce intérieur. Pour lui, le Sénégal dispose ainsi d’un stock pouvant couvrir son marché jusqu’au mois de janvier 2023.

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Les mises en garde du magnat du riz Moustapha Ndiaye

Capitaine des importations en riz, le milliardaire Moustapha Ndiaye avertit que rien ne peut empêcher l’augmentation du riz, à moins que l’État casse encore sa tirelire.

Malgré ces nouvelles rassurantes, des nuages persistent sur les perspectives du riz. D’abord, il y a l’Inde et d’autres pays asiatiques qui ont commencé à édicter des mesures de rétention de leurs productions pour faire face aux chocs exogènes. A ce propos, le président Macky Sall n’a pas manqué de demander un régime de préférence pour le Sénégal. ‘’Il ne faut pas oublier que le Sénégal fournit l’Inde en acide phosphorique pour sa production d’engrais. Je pense que sur cette base, ils ont aussi besoin de nous comme nous avons besoin d’eux. Et je l’ai dit récemment aux autorités indiennes quand on était à New York’’, expliquait le chef de l’État.

L’autre gros nuage qui pèse sur l’approvisionnement du Sénégal en denrées alimentaires, particulièrement en riz, ce sont les difficultés au niveau du Port autonome de Dakar. Sur cette question, l’importateur Moustapha Ndiaye s’est voulu clair et net. Face au président de la République, il a soutenu : ‘’Aujourd’hui, je voudrais surtout parler d’un problème qui, s’il n’est pas réglé, tous les efforts du gouvernement seront nuls. Il s’agit du problème lié à l’attente des navires au port. Aujourd’hui, le temps minimal d’attente c’est 40 jours, avec un taux d’amarrage de 35 000 dollars par jour. Avant de venir, quand j’ai fait la simulation, compte tenu des bateaux que j’ai là-bas, si l’État ne met pas la main à la pâte, le riz va augmenter de 45 000 la tonne minimum. Moi, j’ai trois navires qui sont là, dont un depuis 40 jours il est rentré aujourd’hui ; un deuxième qui est là depuis 47 jours et qui n’est pas rentré. Je paie 35 000 dollars par jour. J’ai un troisième navire qui est là depuis 20 jours ; on n’en parle même pas. Et je ne suis pas le seul, c’est valable aussi pour les autres. Et ça n’a pas de limite.’’

Si on ne règle pas ce problème, menace l’importateur, même si l’État injecte des subventions, cela n’aura aucun impact. ‘’Le plus grave, c’est que si ça persiste, on risque de classer le Sénégal zone incertaine. L’armateur dit que quand je vais au Sénégal, je ne sais pas quand je vais rentrer, je ne sais donc pas quand j’aurai un autre chargement. La conséquence est qu’au lieu de payer 80, on va payer plus. Et cela va se répercuter sur le prix’’, a-t-il mis en garde. Et pour résumer tout son propos, le capitaine des importations en riz a jugé bon de trancher net le débat sur le riz. ‘’Aujourd’hui, ce qu’il faut savoir, c’est que le riz ne peut pas ne pas augmenter. Je le dis tout de suite, à moins que l’État subventionne davantage. Parce que le temps d’attente est de 45 000 F la tonne, on ne peut le supporter. On peut arrêter l’hémorragie, mais une augmentation est inévitable.’’

Quand les chiffres officiels sont démentis par la réalité du marché  

Malgré les promesses d’autosuffisance en riz et les quantités énormes prononcées, les acteurs sont presque unanimes. Il y a quelque chose qui cloche dans les chiffres officiels par rapport aux productions en riz. Et cette fois, c’est le président de la République lui-même qui s’interroge sur le paradoxe entre les chiffres annoncés par ses services et les importations qui ne fléchissent presque jamais. Chez les producteurs, on se veut prudent. ‘’Clairement, nous pouvons affirmer que nous n’avons pas atteint l’objectif d’être autosuffisants. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer. Quant aux quantités produites, on ne peut que s’en tenir aux chiffres officiels qui font état de 1 300 000 t. Nous n’avons pas les moyens de le confirmer ou l’infirmer’’, a déclaré Ousseynou Ndiaye, Président du Comité interprofessionnel sur le riz, non sans reconnaitre il y a de vrais problèmes sur les chiffres.

 A l’en croire, le Sénégal a tous les atouts pour atteindre l’autosuffisance, à condition que l’État y mette les moyens. ‘’C’est juste de l’arithmétique. Notre objectif est de 1 600 000 t. Avec un rendement de 6 t/ha, il nous faut emblaver 150 000 t par an pour atteindre l’objectif. Comment faire pour mettre en valeur les 150 000 ha ? Combien va-t-il falloir ? Je pense qu’il est bien possible de relever le défi. Nous sommes encore loin de cet objectif’’.

Malgré les difficultés, le représentant des producteurs magnifie les efforts qui ont été faits, mais demande plus d’efforts pour aller vers une autosuffisance effective. Pour ce faire, il faut, selon lui, régler les problèmes d’emblavement des terres, de matériels agricoles…

A la question de savoir si les producteurs arrivent à s’en sortir avec les prix actuels d’u marché, il déclare : ‘’C’est très difficile. A un moment, le prix était fixé à 130 F. On ne pouvait s’en sortir et le transformateur ne pouvait pas non plus faire plus au risque de ne pas être compétitif. Finalement, l’État a décidé de subventionner le prix pour le porter à 160 F. Mais depuis, nous avons vendu notre production, mais l’État a mis du temps pour nous payer. Nous espérons qu’avec l’engagement du président, les choses vont se décanter.’’

Vendu au même prix que le riz importé, le riz local n’a certes rien à envier en termes de qualité, mais sa disponibilité sur le marché reste problématique, malgré les nombreuses invitations au ‘’consommer local’’. 

 

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