Publié le 13 Jan 2020 - 23:10
CAPACITE D’ACCUEIL DANS LES STRUCTURES SANITAIRES

Le désarroi des blouses blanches

 

Les manquements notés dans les urgences des structures sanitaires constituent un mal endémique qui désespère les médecins. Ces derniers font le constat de la faible capacité de prise en charge des hôpitaux et justifient les refus d’admettre certains patients. Ils portent aussi un regard critique sur le système sanitaire.

 

Le marathon imposé à certains patients, en particulier aux femmes en travail, n’est pas sans conséquence. Certaines perdent leurs bébés, d’autres rencontrent des complications en couches. Une situation qui n’enchante guère le personnel de santé, souvent obligé de fermer ses portes à ces patientes. Dans les hôpitaux, c’est la même explication qui revient, pour justifier cette situation : manque d’espace. Le gynécologue à l’hôpital général Idrissa Pouye de Grand-Yoff explique qu’il y a une large discordance entre l’offre et la demande. Aux yeux de Dr Alphouseyni Gaye, il y aura toujours des grossesses et des naissances. Donc, ce sont des choses à prévoir.  ‘’Entre 2 h et 4 h du matin, les femmes font le tour des hôpitaux pour accoucher. Elles commencent par les structures sanitaires de la banlieue, vont au CTO, à Le Dantec, Nabyl Choucair, Philippe Senghor… Si c’est réellement plein partout, c’est parce que les infrastructures n’ont pas suivi’’, regrette Dr Gaye.

Pour la blouse blanche, il est impossible d’accueillir un malade, alors que la structure est au maximum de sa capacité. Par conséquent, dit-il, la qualité et la quantité ne peuvent pas aller ensemble, il faut faire la part des choses. Dr Alphousseyni Gaye souligne, dans son analyse, un autre problème lié aux accouchements prématurés ; ce qui nécessite forcément l’existence d’une crèche dans la structure d’accueil.  Parmi les conséquences de ce retard dans la prise en charge, le gynécologue souligne la souffrance accrue de la patiente et de son enfant. ‘’Une femme qui doit bénéficier d’une césarienne, en cas de retard, le premier à souffrir, c’est l’enfant, ensuite la mère. Ce sera dommage d’en arriver à perdre un ou les deux’’, ajoute la blouse blanche.

D’après ses dires, ils sont plus confrontés à ces situations en période de rush, particulièrement aux mois de juillet, août et septembre. Au même moment, explique-t-il, des femmes porteuses de pathologies voient leur durée d’hospitalisation allongée et d’autres, pour des raisons administratives, séjournent plus longtemps, ce qui bloque l’accessibilité.  ‘’On reste, on occupe un lit, ce qui fait un lit de perdu pour les nouvelles malades’’, déclare le gynécologue.

A ce tableau loin d’être idyllique, Dr Gaye ajoute la trentaine de lits dont dispose son service dont 4 cabines individuelles ou privées et 5 salles à deux. ‘’J’ai un certain nombre de sages-femmes un peu âgées que je ne peux pas utiliser dans les gardes. Cette année, ça va. On parvient à répondre à la hauteur de la tâche. Le renouvellement du personnel est un problème général. Le ministère ne recrute pas ou affecte essentiellement à l’intérieur du pays. Or, Dakar est plus peuplée’’, fait-il remarquer.

Absence d’une politique de santé

Son collègue et par ailleurs secrétaire général du Syndicat démocratique des travailleurs de la santé et de l’action sociale renseigne qu’ils sont les premiers à souffrir de cette situation. En effet, renseigne le Dr Cheikh Seck, c’est avec un cœur meurtri qu’ils renvoient un malade. ‘’Mais qu’est-ce que vous voulez ? Quand un malade arrive et que vous n’avez pas où le mettre ; quand vous avez uniquement moins de trois cents lits en termes de capacité et que l’écrasante majorité des lits sont dans des services d’hospitalisation ?’’, s’interroge le kinésithérapeute à l’hôpital général de Grand-Yoff. Qui renseigne qu'en termes de lit chaud pour l’urgence médicale, il n’y a que 4. En chirurgie, c’est pratiquement la même chose et pour la prise en charge des grands brûlés, seuls l’hôpital Principal est aux normes à 4 lits pour tous le Sénégal. Ce qui fait dire au responsable syndical que le mal est très profond. Le Dr Cheikh Seck indexe ainsi une absence de politique de santé au Sénégal.

‘’Quand on tombe malade dans une localité, en peu de temps, on doit pouvoir accéder à une structure sanitaire et être pris en charge. Pour l’accessibilité financière, une fois dans la structure, le patient devrait être en mesure de payer ses soins. Ce sont des éléments de base’’, relate le collègue du Dr Gaye.  A l’en croire, les postes de santé ne peuvent prendre en charge tous les cas. Il arrive, dit-il, que l’infirmier soit limité par rapport aux moyens pour prendre en charge un malade. ‘’Tout ce qu’il fait, c’est le référer au centre de santé qui, s’il est dépassé, le réfère à l’hôpital régional. Et il faut se demander si tous les hôpitaux régionaux répondent aux normes pour prendre en charge ces malades. On croit souvent qu’il s’agit de construire de jolis bâtiments, pour régler le problème de la population. Si les conditions d’équipement et de personnel qualifié ne sont pas là, c’est une perte’’, renseigne le syndicaliste.

Dr Cheikh Seck de noter que, malgré la hausse notée dans le budget du ministère de la Santé, les populations vivent la même chose, sinon pire. Il pense ainsi que l’important n’est pas le montant qu’on augmente, mais plutôt son utilisation efficiente. ‘’Actuellement (mois de décembre), certaines activités sont à l’arrêt, à cause d’une coupure d’eau. Vous croyez que c’est normal, dans un pays, au XXIe siècle, que le fonctionnement de l’hôpital s’arrête à cause d’une coupure d’eau ? Des dispositifs doivent être mis en place pour pallier ces situations. Des malades ne sont pas opérés, à cause d’une grève dont on ignore la fin’’.

‘’On a vu des personnes mourir, on sait pourquoi’’

Le Dr Cheikh Seck déplore, en outre, le manque de personnel qualifié. Ce qui, à ses yeux, ne facilite pas la prise en charge correcte des malades. Pour lui, il faut penser à recruter, alors que l’Etat, dit-il, n’affecte que du personnel politique et des bureaucrates. ‘’Dans le système de santé de beaucoup d’hôpitaux du Sénégal, ceux qui interviennent directement aux soins ne font pas 30 %. Quand on écrit pour réclamer un infirmier d’Etat, on nous affecte du personnel administratif’’, dénonce-t-il.  A la place des projets lancés comme le Ter et le BRT qui nécessitent d’énormes investissements, le secrétaire général du Syndicat des travailleurs de la santé pense que l’Etat doit augmenter la capacité des hôpitaux ou en créer d’autres. ‘’Les hôpitaux qui sont là sont soient coloniaux, soient construits par les partenaires. Dans les dix dernières années, aucun hôpital n’a été construit par l’Etat du Sénégal. Dans certaines régions, par contre, il faut penser à améliorer l’existant ; mieux, renforcer certains hôpitaux régionaux pour améliorer la capacité d’accueil’’.

Compte tenu de toutes ces difficultés qui minent le secteur de la santé, on est tenté de se demander quelle est la partition du personnel et des syndicalistes pour l’amélioration des conditions de travail et de la prise en charge des patients ? A cette question, le gynécologue Alphousseyni Gaye rétorque : ‘’Dans le syndicat des médecins auquel j’appartiens, le problème est toujours posé. On ne peut pas se substituer aux décideurs pour décider à leur place. On ne le peut pas. C’est une question de priorité. La santé et l’éducation, c’est la base.’’

Il invite ainsi les patientes à respecter la pyramide sanitaire pour alléger les problèmes, en cas d’accouchement. Si tous les cas normaux assiègent les hôpitaux, comment est-ce qu’on va faire pour accueillir les cas critiques ?’’, s’interroge le gynécologue.

Dr Cheikh Seck souligne, lui, que leurs différentes protestations face à ce problème ont été réprimées sévèrement. ‘’Combien de fois vous nous entendez faire des sorties et nos directeurs recrutent des lutteurs armés pour nous intimider. J’ai été agressé plusieurs fois ici. J’ai de la famille aussi’’, dit-il, le sourire aux lèvres. A l’en croire, ce qui se passe dans le système sanitaire sénégalais est très grave. ‘’On a vu des personnes mourir et on sait ce qui a causé leur perte. Mais comme on est dans une société croyante, on remet tout entre les mains de Dieu. Si on était en Europe, beaucoup de personnes seraient emprisonnées’’.

HABIBATOU TRAORE

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