Publié le 19 Feb 2014 - 12:01
CRISE AU RASSEMBLEMENT DU PEUPLE

Les héritiers de Mamoune Niasse à l'épreuve des ''délices'' du pouvoir

 

Embrouillé dans une crise politique que certains jugent profonde, le Rassemblement du peuple (RP) traverse un tournant décisif de sa très jeune histoire (onze ans d'existence), autour des divergences entre deux des héritiers du père fondateur. Une crise sérieuse qui porte en elle les germes d'une scission potentielle qui affaiblirait davantage ce parti.

 

Un parti, un leader, un candidat déclaré à l'élection présidentielle de 2017 autre que le leader. Voilà le scénario qui se joue actuellement au parti Rassemblement du peuple (RP) secoué depuis quelques semaines par une crise de croissance et/ou de pouvoir. 

Créé en 2003 par feu Serigne Mamoune Niasse, le «1er serviteur» rappelé à Dieu juste avant le scrutin présidentiel de 2012, le Rp a été contraint de faire sa mue un peu plus tôt que prévu. «Quand Serigne Mamoune Niasse est décédé, c'est le bureau politique du parti qui, pour lui rendre hommage, a souhaité qu'un de ses fils lui succède.

Mais beaucoup pensaient que c'est moi qui devais lui succéder'', a confié Baye Mamoune Niasse à EnQuête. «Mais des gens sont venus me demander de m'occuper de l'héritage spirituel et de laisser le soin à Mansour de diriger le parti. J'ai alors demandé l'arbitrage du Bureau politique qui, de manière démocratique, a porté son choix sur Mansour. Même si j'avais les ambitions de diriger le parti, j'ai respecté la décision rendue par cette instance de notre parti.»

«Dévolution monarchique du pouvoir» 

La transition politique n'a pas été facile, loin de là. Cela, d'autant plus que d'après certaines indiscrétions, beaucoup de militants sont allés voir ailleurs pour protester contre une «dévolution monarchique» du parti dans le renouvellement de ses instances.

Mais pour Baye Mamoune Niasse, «s'il y a des gens qui ont quitté le parti au motif que son leader l'a hérité de son père, c'est la faute au Bureau politique. Serigne Mansour a été démocratiquement élu... Tout le Bp était d'accord sauf une seule personne du nom de Daouda Guèye qui a soutenu devant l'assistance que Serigne Mansour Niasse me préparait pour assurer sa succession», souligne-t-il.

Cette étape franchie, le Rp semble désormais à la croisée des chemins. Ce parti tagué ''parti religieux'' mais toujours démenti par ses responsables, semble aujourd'hui être à l'épreuve des délices du pouvoir, étant entendu qu'il est membre à part entière de la mouvance présidentielle regroupée dans la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY). 

D'abord allié d'Idrissa Seck dans la coalition «Idy4 président», jusqu'après la chute d'Abdoulaye Wade et l'accession de Macky Sall au pouvoir, le Rp version Serigne Mansour Niasse migre vers la coalition BBY. Débute dès lors un compagnonnage avec le président Sall qui, en récompense, nomme au Conseil économique, social et environnemental non pas le Premier serviteur du parti, mais son grand frère, Baye Mamoune Niasse.

Ce dernier, sous l'ancien régime, était déjà sénateur par la grâce du Président Wade, en remplacement de son père. «Je n'ai été demandeur d'un quelconque poste, que ce soit sous Wade ou sous Macky Sall», tient-il à préciser, lors d'un entretien avec EnQuête à son domicile de Liberté 6 Extension.

«La candidature de trop»

Adjoint du Premier serviteur du Rp en charge des questions sociales, Baye Mamoune Niasse nourrit aujourd'hui l'ambition d'être candidat à la présidentielle de 2017. En effet, c'est le 21 janvier dernier, une semaine après le Maouloud, qu'il lance publiquement cette candidature depuis Kossi, un village situé à quelques kilomètres de Kaolack.

La discorde naît alors au sein du Rp dont la direction ne réagit que près de trois semaines plus tard. «Cette candidature n'engage en rien le parti dont les instances ne reconnaissent aucun courant ou mouvement en son sein», a répliqué Abdoulaye Thiam, responsable régional du Rp de Dakar et membre du Bureau politique, interrogé par nos soins. 

Réplique de Baye Mamoune Niasse : «Je n'ai jamais dit que je vais à l'élection présidentielle 2017 sous la bannière de Rp, mais avec l'emblème du mouvement «And ak askan wi natal Sénégal», que j'ai créé le 25 septembre 2011 à Keur Massar en présence de mon père fondateur du Rp...» Les autres responsables présents à cette occasion, dit-il, sont : le Dr Moustapha Fall, ex porte-parole, Abdoulaye Thiam, responsable régional pour Dakar, Awa Ami Sy, ancienne assistante de Serigne Mamoune Niasse et Serigne Mansour Niasse, actuel Premier serviteur du Rp. 

Allant plus loin, il ajoute : «Serigne Mamoune Niasse m'avait accordé sa bénédiction et avait prié pour le triomphe de ce mouvement dont l'objectif premier 'était de soutenir mon père, et non d'être un courant au sein du Rp. Je suis au Rp, mais je compte postuler en tant que leader de mon mouvement», a-t-il précisé. 

Mais il y a un hic, lui rappelle le porte-parole du Rp, Dr Alioune Camara. C'est que «le parti n'accepte pas de mouvement ou de courant en son sein». Rien que de ce point de vue, il a transgressé les principes et règles de fonctionnement interne, indique Camara.

«Ma candidature, une émanation divine»

Ces arguments, apparemment, ne suffisent pas pour arrêter Baye Mamoune Niasse. Pire ou mieux, c'est selon, il justifie cette candidature comme une «émanation divine» dont Serigne Mamoune Niasse était au courant avant sa disparition. «Ce n'est pas quelque chose que j'ai médité. C'est une candidature qui va sauver le Sénégal», insiste-t-il. Puis il en vient à une explication terrestre.

«En réalité, dit-il, je n'ai pas demandé à être candidat. Ce sont des Sénégalais membres du mouvement que je dirige, (…) des jeunes et des femmes, qui m'ont demandé d'être candidat en 2017 car, disent-ils, ils ont confiance en mes compétences et ils pensent que je peux sortir le Sénégal des difficultés qu'il traverse.» Un couplet qu'il finit avec une certaine distance. «Le pouvoir ne m'intéresse pas. Ce qui m'attire, c'est la dévotion à Allah et le bien-être des Sénégalais».  

«Lettre de mise en demeure à Baye Mamoune Niasse»

Face à cette posture jugée récalcitrante, des «mesures conservatoires» ont été prises par le Bureau politique du Rp sur initiative du Premier serviteur. Selon le Dr Alioune Camara, «les postes d'adjoint étant supprimés par le Bp sur demande du leader du parti, Baye Mamoune Niasse n'est plus adjoint au Premier serviteur». Néanmoins, «il demeure toujours le chargé des questions sociales». Explication du porte-parole : «Si le frère du Premier serviteur en vient à prêcher dans un sens contraire aux principes du parti, on le traite comme les autres militants. Cela montre que le Rp est un parti démocratique.»

«Risques d'exclusion»

Outre cette mesure conservatoire, le Rassemblement du peuple envisage quand même des démarches auprès de Baye Mamoune Niasse afin de «le ramener à la raison dans le sens du respect des dispositions du parti». C'est ainsi qu'au sortir du Bp tenu l'autre semaine, le Premier serviteur, Serigne Mansour Niasse, lui avait envoyé une délégation munie d'une «lettre explicite» relative aux décisions rendues par le parti sur ses différentes positions.

Cependant, rappelle le porte-parole Alioune Camara, «les procédures (pourraient) aller de la mise en demeure à la suspension ou à l'exclusion tout court». Précision du porte-parole :  «S'il n'obtempère pas après la mise en demeure, et après l'avertissement, c'est lui qui se sera exclu du Rp.» Réplique de Baye Mamoune Niasse : «Celui qui a des soutiens à un niveau insoupçonné (dans le parti) n'a rien à craindre.»

Au-delà des apparences, la crise au Rp paraît plus profonde. Certaines indiscrétions font part d'un problème d'héritage qui se serait posé entre les descendants. «Faux, rassure le fils ainé de Serigne Mamoune Niasse, il n'en est rien. Il n'y a aucun problème entre Mansour et moi, et encore moins un problème d'héritage. L'héritage de mon père a été exécuté selon les règles établies par l'islam et la sounah (NDLR : pratiques) de son prophète. Et jusqu'ici, il n'y a eu aucune contestation au sein de la famille.»

ASSANE MBAYE

 

 

 

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