Publié le 20 Oct 2020 - 20:36
DESOBEISSANCE CIVILE

Abidjan et plusieurs villes en feu

 

Les affrontements se multiplient à travers le pays et la Côte d’Ivoire compte chaque jour ses morts. A quelques jours de la Présidentielle, la situation socio-politique empire.

 

La journée aurait pu être ordinaire, mais dès les premières lueurs du jour, de grosses flammes ont assombri l’horizon. La capitale ivoirienne qui, depuis début octobre, affiche triste mine, a renoué, hier, avec les affrontements liés à une élection présidentielle. Dans le village d’Anono, sis à la commune de Cocody, dès 7 h, plusieurs barrages ont été érigés sur des routes et ruelles par les manifestants. Incendie de véhicules, de pneus… Un désordre soutenu par de violents affrontements entre les forces de l’ordre et des jeunes déterminés qui n’ont cure des bombes lacrymogènes lancées pour les disperser.

‘’Non au troisième mandat ! Nous sommes prêts à mourir pour qu’Alassane quitte le pouvoir. Ces petits policiers ne nous effraient pas du tout. La jeunesse ne travaille pas. Manger est devenu une équation. La Côte d’Ivoire n’a jamais connu telle situation. Tu entends des milliards à longueur de journée, mais on ne voit rien changer dans nos vies. Au contraire, on devient de plus en plus pauvre. Alassane doit partir !’’, hurle un jeune manifestant répondant au nom d’Issouf.

Les yeux rougis par les gaz, le pantalon déchiré par endroits, il opte pour une petite pause derrière une des habitations. L’homme est essoufflé, s’éponge le visage en attendant le signal de ses compagnons. On se croirait dans un cimetière, tant les populations terrées chez elles n’osent émettre le moindre bruit.

La résidence du chef du village, quelques minutes plus tard, est prise à partie par les forces de sécurité. Plus loin, au niveau de la Riviera 2 (commune de Cocody), des individus non identifiés ont mis le feu, aux environs de 8 h, à un bus de la Société de transport d’Abidjan (Sotra) avant de prendre la fuite. L’entreprise fait toujours les frais, en période de crise. Elle a d’ailleurs suspendu ses liaisons dans la commune de Yopougon, exaspérée par les actes de vandalisme du mois d’août dernier. Un autre véhicule de particulier est aussi parti en fumée.

Le grand carrefour du quartier, habituellement bruyant et bondé de monde, est désert. Quelques élèves reviennent, le pas pressé, de l’école. Bon nombre d’établissements ont fermé leurs portes. Certains ne les rouvriront que le 9 novembre prochain. Nadège Kouassi, visiblement stressée, s’arrête pour remonter sa jupe noire, porte sa fille et presse le pas. La jeune dame étudie dans un institut de la place. Vu les échauffourées, elle a préféré rebrousser chemin pour aller récupérer sa fille à la maternelle. Elle aurait aimé courir, mais son poids est un frein.

‘’Allo, tu es où ? S’il te plait, rentre maintenant, c’est plus sûr. Je t’avais dit de ne pas y aller. Rentre s’il te plait, C’est gâté ici (NDLR : plus rien ne va ici)’’, dit-elle dans une voix tremblante, au bord des larmes. Son mari est à l’autre bout de la ville pour une course.

Derrière nous, les flammes grossissent. Les rues se vident. Le rond-point de la Riviera 2 est bloqué par des individus assez remontés. Aux jets des gaz lacrymogènes par la police, les retardataires courent pour regagner leurs domiciles. Elle a, pour l’occasion, sorti la grosse artillerie. Deux manifestants ont été arrêtés. Du côté de la commune de Yopougon, les établissements scolaires sont également fermés.

Une fois de plus, l’intérieur du pays enregistre les échauffourées les plus violentes. La ville de Bonoua (fief de l’ex-première dame Simone Ehivet Gbagbo) a été le point le plus chaud durant pratiquement toute la journée. Tôt le matin, des centaines de manifestants se réclamant de l’opposition ont pris d’assaut la voie principale.  Ces derniers ont, selon nos sources, érigé plusieurs barricades dans les artères les plus fréquentées de la ville. Les commerces et les écoles sont restés fermés. Un habitant sur place nous confirme la mort par balle d’un jeune homme. ‘’On aurait pu éviter tout cela, mais comme vous le savez, la politique, en Côte d’Ivoire, est une affaire d’ethnie, de sentiments. Et ces genres de choses ne peuvent que conduire à des excès. Que Dieu nous garde’’, ajoute-t-elle au bout du fil. Des heurts ont éclaté dans d’autres villes telles que Daoukro, Gagnoa et Jacqueville.

C’est peu dire que le mot d’ordre de désobéissance civile est largement suivi sur le territoire, avec son lot de pertes en vies humaines et en dégâts matériels. L’opposition ivoirienne avait d’ailleurs prédit, vendredi dernier, que la mobilisation irait crescendo cette semaine.

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La CEDEAO demande à l’opposition de ‘’reconsidérer’’ son mot d’ordre

Abidjan a reçu une nouvelle délégation de CEDEAO avec, à sa tête, la ministre ghanéenne des Affaires étrangères, Shirley Ayorkor Botchwey. Pour la mission, il est impératif que les différents candidats et partis impliqués dans la Présidentielle trouvent un consensus. Elle a fortement condamné les actes de violence en cours dans le pays.

De retour à Abidjan dimanche, après une première mission du 4 au 7 octobre, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) demande à l’opposition ivoirienne de privilégier la voie des urnes plutôt que celle de la violence. Sa délégation ministérielle a invité la Plateforme de l’opposition à ‘’reconsidérer sérieusement la décision de boycotter l’élection et l’appel à leurs partisans à se lancer dans la désobéissance civile’’.

Les médiateurs estiment que le salut de la Côte d’Ivoire se trouve dans la recherche d’un consensus autour du processus électoral. Car la tournure des évènements avec son lot d’excès pourrait échapper au contrôle de ceux qui sont à l’origine de cet appel à la désobéissance. Il devient donc primordial, insiste la délégation, de se ‘’focaliser sur des points réalistes devant aider au dénouement en vue d’une participation inclusive, transparente, crédible et non violente à l’élection présidentielle’’.

Les partis politiques et les candidats devront, à cet effet, privilégier la voie du dialogue en lieu et place de propos incendiaires afin d’aboutir à un accord. Une table de discussion qui va devoir s’élargir à la Commission électorale indépendante. Par ailleurs, la mission a invité les forces de sécurité à rester neutres, impartiales et professionnelles, dans l’exercice de leurs fonctions. Elle entend accompagner le processus électoral pour le maintien de la paix et de la stabilité de la Côte d’Ivoire.

En début octobre, une première mission de la CEDEAO a eu lieu et, à cet effet, le président du Front populaire ivoirien, P. Affi Nguessan a décliné les propositions de l’opposition : ’’Dans l’autre hypothèse où nous voulons reconstruire totalement, et c’est ce que nous avons dit à la mission, notre préférence aurait été aujourd’hui que nous ouvrions une transition de 12 mois au moins, pour mettre tout à plat. Car, depuis ces 30 années, nous vivons des situations de violence. Le pays a besoin de refondation, donc nous pouvons le faire, mais cela est un projet politique. Si nous ne voulons pas de cette transition alors il faut qu’on garantisse des élections véritablement transparentes. Et dans ce cas, il faut qu’on se donne trois mois’’.

 ‘’Dans l’hypothèse où nous nous concentrons sur les élections, on va se donner un délai de trois mois pour le report de la Présidentielle’’, avait-il ajouté.

REACTIONS SUITE A LA MISSION DE LA CEDEAO

 ‘’J’interpelle tous les Ivoiriens. Le monde entier a les yeux rivés sur la Côte d’Ivoire. Il faut absolument que les choses se passent dans la paix. Que chaque Ivoirien œuvre en faveur du calme et de l’apaisement. Les citoyens ne doivent pas s’adonner à de tels actes (blocage des rues, saisie du matériel électoral). Ce sont des actes criminels. Nous sommes dans une démocratie. Donc, si le peuple veut s’exprimer, qu’il le fasse par les urnes.’’ Shirley Botchwey (Cheffe de délégation)

‘’Nuance ! Nous ne désobéissons pas à la loi, mais à la violation de la loi.’’ Pascal Affi Nguessan

‘’Les pathologies de la démocratie en Afrique de l’Ouest, sont très profondes et ne peuvent se régler par des déclarations de principe qui marquent l’impuissance des mécanismes africains de régulation des conflits. Il est temps de diagnostiquer le mal et de le soigner par des réformes.’’ Alioune Tine (Fondateur d’Afrikajom)

‘’Ainsi, la CEDEAO qualifie d’inclusive une élection où 40 candidats sur 44 ont été éliminés ! Qui a recruté ces gens ?’’ Gnamien Konan (Président de l’Union pour la Côte d’Ivoire)


ECHOS DE CAMPAGNE

MAMADOU TOURE, DIRECTEUR REGIONAL DE CAMPAGNE DU RHDP

‘’Au moment où notre parti a décidé d’aller aux élections - ce qui est un principe démocratique - d’autres ont décidé de ne pas y aller. Ils créent aujourd’hui des incidents qui sont signalés dans des localités à travers le pays. Face à cette situation, il faut éviter les représailles. Préoccupez-vous des élections uniquement. Nous sommes dans un pays de droit. Il appartient aux policiers et aux gendarmes de s’occuper de la sécurité. Faire des représailles ne sert pas le pays et notre candidat le président Alassane Ouattara. Il faut privilégier la sensibilisation et la dissuasion avec des éléments de langage bien élaborés pour la circonstance.’’

ALASSANE OUATTARA

‘’La paix est très importante pour notre pays et ici, aucun heurt n’a été enregistré. C’est parce que vous, responsables du parti et élus, vous parlez aux jeunes pour leur expliquer que leur avenir c’est la formation, l’éducation et l’emploi. Ce n’est pas manifester dans les rues. Je vous félicite. Le plus important est que la Côte d’Ivoire continue d’être stable. Nous devons tout faire pour préserver l’héritage du feu président Félix Houphouët-Boigny, car sans la paix, aucun développement n’est possible. Si elle est effective, tout ce que nous avons comme programme sera exécuté à la lettre.’’

KOUASSI KONAN BERTIN

‘’Je serai le président de l’union. Je serai ainsi le président qui constituera un gouvernement d’union nationale au bénéfice de la population ivoirienne. Mon projet est d’initier, aussitôt élu, un plan de soutien massif à nos petits commerçants, artisans et petits exploitants. L’heure est à la relance. Je serai ainsi le président de la prospérité. Ensemble, nous allons tout changer. Pour mettre fin au pillage de nos ressources, je propose la création d’une contribution de solidarité sur les grandes routes des projets et contrats avec l’Etat. Je serai le président de la jeunesse. Je propose la création d’un prêt sans intérêt dans l’enseignement supérieur remboursable après le premier emploi.’’

EMMANUELLA MARAME FAYE (ENVOYEE SPECIALE A ABIDJAN)

 

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