Ambition personnelle ou défi diplomatique africain ?

L'ancien président du Sénégal, Macky Sall, pourrait-il devenir le premier Africain francophone à diriger les Nations Unies ? Depuis la fin de son mandat en avril 2024, l'ex-chef d'État se positionne discrètement, mais résolument pour succéder à António Guterres, renseigne ‘’Africa Intelligence’’. Entre diplomatie souterraine, réseaux d'influence, défis géopolitiques et obstacles internes, cette ambition soulève autant d'interrogations que d'espoirs.
Depuis la fin de son second mandat à la tête du Sénégal, Macky Sall ne s'est jamais totalement éclipsé de la scène internationale. Après avoir brièvement occupé le poste d'envoyé spécial du Pacte de Paris pour les peuples et la planète, il dirige, depuis septembre 2024, le Global Center on Adaptation (GCA), une structure spécialisée dans les enjeux climatiques, basée à Rotterdam, mais très active sur le continent africain. Installé à Marrakech, il se mue progressivement en "diplomate global", rôdant un profil taillé pour les exigences du Secrétariat général des Nations Unies.
Si sa candidature n'est pas encore officielle, plusieurs éléments laissent penser qu'elle est bel et bien en préparation. Selon ‘’Africa Intelligence’’, Macky Sall a rencontré Emmanuel Macron en mars 2025 pour sonder le soutien de la France, traditionnellement influente au sein du Conseil de sécurité. Il aurait également activé des relais auprès de diplomates américains proches du camp républicain, avant même le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. L'ancien président du Sénégal joue à fond la carte du multilatéralisme pragmatique. Il met en avant son expérience à la présidence de l'Union africaine en 2022, durant laquelle il avait plaidé pour une meilleure représentation du continent africain au Conseil de sécurité ainsi qu'une plus grande justice climatique. L'une de ses forces demeure sa capacité à dialoguer avec toutes les parties : Occidentaux, pays du Golfe, Chine, Russie. Récemment, des échanges avec l'ancien ambassadeur chinois en France, Lu Shaye, laissent entrevoir un soutien possible de Pékin. Un voyage en Chine serait même envisagé pour consolider cette relation.
Obstacles internes : Dakar, entre silence officiel et méfiance politique
Le soutien du pays d'origine est une condition sine qua non pour toute candidature au poste de secrétaire général. Or, les relations de Macky Sall avec le nouveau pouvoir de Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko sont tendues. Depuis leur arrivée, les demandes de reddition des comptes et les risques de poursuites judiciaires visant l'ex-président fragilisent sa position. Si Macky Sall conserve une stature internationale enviable, il fait face à une contestation nationale persistante. Accusations de gestion opaque, climat social tendu à la fin de son mandat, gestion de la crise préélectorale… Son passif pourrait être exploitable par ses détracteurs au moment opportun. Malgré cela, il continue de bénéficier d'un capital symbolique fort sur la scène mondiale : élu trois fois "Leader africain de l'année" entre 2014 et 2022, récipiendaire du Prix Mandela pour la paix, il sait incarner le visage d'une Afrique réformiste et engagée dans la gouvernance mondiale.
Par ailleurs, selon certaines sources proches de son entourage, des discussions informelles seraient en cours pour arrondir les angles. L'objectif : éviter que le Sénégal ne s'oppose pas publiquement à la candidature de son ancien chef d'État. Une opposition frontale serait, en effet, contre-productive pour l'image internationale du pays. Le choix du secrétaire général de l'ONU repose sur une coutume de rotation géographique non écrite. Après l'Amérique latine (Pérez de Cuéllar), l'Afrique (Boutros-Ghali, Kofi Annan), l'Asie (Ban Ki-moon) et l'Europe (Guterres), plusieurs experts estiment que l'Amérique du Sud pourrait être favorisée pour 2026. Des noms comme Michelle Bachelet ou Alicia Bárcena circulent.
Cependant, la crise de représentation que traverse l'ONU, notamment du côté africain, pourrait relancer l'idée d'une candidature africaine forte. Macky Sall, francophone, anglophile et trilingue (français, anglais, wolof), pourrait apparaître comme un compromis acceptable, à condition de neutraliser les réticences.
Une ambition encore officieuse, des alliés sur la réserve
Interrogé sur la RTS à propos de la possible candidature de Macky Sall au poste de secrétaire général des Nations Unies, l’ancien ministre des Transports et des Collectivités territoriales, Omar Youm, a tenu à tempérer les spéculations. ‘’Je ne suis pas au courant d’une telle démarche officielle’’, a-t-il déclaré, ajoutant que ‘’cette question n’a, à ce stade, fait l’objet d’aucun débat au sein de notre famille politique’’. Une prudence qui trahit l’embarras ou, à tout le moins, la volonté de ne pas précipiter les positions publiques sur un dossier encore entouré de discrétion. S’il confirme la présence remarquée de l’ancien chef de l’État dans plusieurs conférences internationales ces derniers mois, Omar Youm préfère parler de ‘’repositionnement global’’ plutôt que de campagne. Néanmoins, il ne cache pas son admiration pour la stature internationale de Macky Sall. ‘’Il a toutes les qualités pour exercer de hautes fonctions au sein du système multilatéral. Il a été l’un des premiers dirigeants africains à porter la réforme du Conseil de sécurité à l’agenda diplomatique. Si l’Union africaine dispose aujourd’hui d’un siège au G20, c’est en grande partie grâce à lui. Il a contribué à redonner à l’Afrique une place dans les discussions sur les systèmes de notation et les règles du jeu économique mondial’’.
Cependant, lorsqu’il est interrogé sur les critiques visant Macky Sall concernant les violations des droits humains sous son régime — notamment le lourd bilan des manifestations ayant conduit à la mort de plusieurs dizaines de jeunes Sénégalais — Omar Youm élude. ‘’Il n’est pas le principal responsable. Il y avait des policiers en fonction qui faisaient le maintien de l’ordre’’, balaie-t-il sans s’appesantir. Une posture de déni ou de défense qui contraste avec la sensibilité attachée aux droits humains au sein de l’ONU et qui pourrait peser dans une évaluation plus politique de la candidature, si elle venait à se formaliser.
En attendant, les proches de Macky Sall oscillent entre prudence institutionnelle et hommage à un bilan international qu’ils jugent exceptionnel.
Soutiens internationaux : Paris oui, Washington en attente, Chine probable
En Europe, la France semble être l'allié le plus stable de Macky Sall. Emmanuel Macron, malgré les tensions avec le nouveau pouvoir sénégalais, pourrait y voir un levier pour maintenir une influence francophone au sein des Nations Unies. Aux États-Unis, le retour de Donald Trump pourrait bousculer les équilibres traditionnels, mais Sall semble avoir anticipé cette donne en nouant des liens dans la nouvelle administration américaine. Il était même présent à l’investiture de Trump. Avec la Chine, les signaux sont au vert, Pékin voyant d'un bon œil un dirigeant africain pragmatique et expérimenté.
Cette candidature est possible, mais semée d'embûches. Si Macky Sall décide de franchir le pas de manière officielle, il devra conjuguer finesse diplomatique, soutien de puissances internationales et apaisement des tensions internes. La course pour succéder à Guterres ne se gagnera ni à New York ni à Paris uniquement, mais sur les cinq continents, dans les couloirs feutrés du multilatéralisme et, surtout, au Conseil de sécurité.
Réussira-t-il à surmonter les écueils et à réunir les conditions d'un large consensus ? Reste à voir si la diplomatie mondiale est prête à confier ses clés à un ancien chef d'État africain dont le parcours est aussi contrasté qu'internationalisé.
Amadou Camara Gueye