Publié le 1 Mar 2021 - 21:18
EFFETS DE L’AFFAIRE ADJI SARR/OUSMANE SONKO

Le front social sous haute tension

 

La société civile, les politiques, les universitaires, les enseignants. De plus en plus de franges de la société s’inquiètent des effets de l’accusation de viols et de menaces de mort à l’encontre du premier opposant du président de la République.

 

Le Sénégal lutte désespérément contre les crises sanitaire et économique liées à la pandémie de coronavirus. Alors que le pays semble entrevoir le bout du tunnel, avec l’arrivée des premières doses de vaccin, de nouvelles heures sombres se profilent, avec l’affaire Adji Sarr vs Ousmane Sonko. D’une affaire civile muée en complot politique, elle est en passe d’embraser le front social.

En effet, l’arrestation de Dame Mbodj, durant le weekend, a marqué un nouveau tournant. L’organisation intersyndicale G20, dont il est un ancien coordinateur, ayant décrété une grève de 24 heures ce lundi, qu’elle considère comme ‘’une journée noire’’.

Tout en affirmant son indépendance totale, son impartialité et sa neutralité indéfectible vis-à-vis des chapelles politiciennes, le G20 exige la libération immédiate et sans délai du secrétaire général du Cusems/Authentique et de ses collègues enseignants arrêtés depuis le début de cette affaire. Dame Mbodj a été arrêté, ce samedi, à la place de l’Indépendance, en compagnie d’une vingtaine de Sénégalais, lors d’une manifestation interdite. Fervent défenseur de la thèse du complot politique dans les accusations de viols et de menaces de mort contre le leader de Pastef/Les patriotes, il participait à un sit-in programmé, avec d’autres organisations de la société civile, pour défendre la démocratie et l’Etat de droit.

Son syndicat dénonce un mal-être au sommet de l’Etat, suite aux positions d’un leader prêt à se saisir de toutes questions majeures concernant le peuple sénégalais. Dans l’affaire Adji Sarr contre Ousmane Sonko, le secrétaire général du Cusems/Authentique a enchaîné les plateaux télévisés et radios pour défendre le principal opposant du président de la République Macky Sall. Son arrestation renforce un sentiment d’injustice qui habite les soutiens d’Ousmane Sonko dont plus d’une cinquantaine sont actuellement en détention.

Dame Mbodj a ainsi rejoint Guy Marius Sagna, Karim Xrum Xax, Clédor Sène et Assane Diouf en prison. Sans oublier les responsables et militants du Pastef, enseignants et étudiants privés de liberté, dans une série d’arrestations menées par la police.

Rien que dans le secteur de l’enseignement, cette grève du G20 est le deuxième effet collatéral des arrestations liées à l’accusation de viol contre le leader du Pastef. Plus de 100 universitaires ont publié, la semaine dernière, un manifeste dans lequel ils dénoncent la crise de l’État de droit au Sénégal. Les signataires appellent les intellectuels, tous les citoyens lucides, à opposer une résistance à l’arbitraire. Désormais, ces qualificatifs ont pleinement investi les discours politico-sociaux.

Au point d’amener ces universitaires à invoquer cette citation de Cheikh Anta Diop : ‘’La plus grande injustice peut être habillée d’une forme juridique parfaite (...). Tous les intellectuels, tous les patriotes doivent comprendre que le combat que nous menons en ce moment est le leur ; c’est le combat qu’il importe de mener avec ténacité pour que l’ère des menaces grotesques, de la crainte, de la peur sous ses formes variées, économique, physique, soit révolue.’’

Aux côtés de Pastef, l’on insiste sur la résistance à l’oppression. Un droit ‘’constitutionnel’’ que le président du parti a invoqué avant la levée de son immunité parlementaire. Lui qui est prêt à pousser ‘’Macky Sall à se salir les mains, s’il veut m’éliminer de la course à la Présidentielle’’. Raison évoquée pour refuser toute convocation ‘’non-réglementaire’’ et récuser le juge du 8e cabinet, magistrat instructeur dans cette affaire. Les troubles éventuels susceptibles de résulter d’une convocation de force font craindre le pire. Encore plus, si un mandat de dépôt s’ensuit.

Dans le giron de la majorité au pouvoir, la confrontation politique ayant mené à la levée de l’immunité parlementaire de l’opposant, redonne peu à peu place aux premières positions : il s’agit d’une affaire civile entre deux justiciables. Hier, le porte-parole adjoint du parti présidentiel (APR) et vice-président de l’Assemblée nationale, Abdou Mbow, mettait en garde : ‘’Tant que le président Macky Sall sera à la tête de ce pays, personne ne va déstabiliser les institutions. Personne ne va déstabiliser ce pays. Le président de la République, à travers son gouvernement, prendra toutes les mesures pour que force reste à la loi et pour protéger les Sénégalais et leurs biens.’’

Les organisations de la société civile ont alerté, depuis les violentes manifestations du lundi 8 février 2021, suite à la convocation d’Ousmane Sonko par la Section de recherches de la gendarmerie. La Rencontre africaine pour la défense des Droits de l’homme (Raddho), la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH), Afrikajom Center, Amnesty International/Sénégal et Article 19 Sénégal/Afrique de l’Ouest ont tous fait part de leur préoccupation du climat de tension qui règne au Sénégal. Ceci, en appelant à la retenue et aux valeurs de justice et de démocratie.

Médiation

La tension sociale autour de cette affaire a également mené le Collectif des religieux pour la sauvegarde de la paix civile à entreprendre une médiation dont la ‘’seule et unique préoccupation est la sauvegarde de la stabilité sociale et de la paix civile’’. Coordonné par l’abbé Jacques Seck et assisté par Jamra, il a rencontré le leader du Pastef, ce samedi. Selon le chef de la délégation, ils ont eu ‘’un entretien franc et ouvert, d’une heure trente minutes, avec Ousmane Sonko’’. Mame Makhtar Guèye d’ajouter que ‘’le collectif compte communiquer plus amplement, lorsqu’il aura bouclé ses entretiens avec tous les protagonistes, mais sans interférer dans l’action de l’institution judiciaire’’.

Toutefois, les religieux se sont plaints des difficultés à rencontrer la plaignante Adji Sarr pour équilibrer leur médiation. Selon un de ses avocats, la jeune femme, auditionnée jeudi par le juge d’instruction, a réitéré ses accusations à rencontre d’Ousmane Sonko. Le collectif continuera tout de même sa médiation ‘’sans se décourager’’, au vu de la tension politique et sociale ambiante.

Jusqu’à l’audition annoncée de l’opposant, cette semaine, la tension restera insoutenable pour les Sénégalais.

Lamine Diouf

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